Citoyen en sociétés numériques

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Le reportage intitulé : Tous surveillés : 7 milliards de suspects, décrit le fait que sous le couvert de la lutte contre le terrorisme et la criminalité, les grandes puissances se sont lancées dans une dangereuse course aux technologies de surveillance, ce qui donne naissance à une nouvelle forme de régime : le totalitarisme numérique dont la forme la plus aboutie est le système de crédit social chinois qui risque de se propager à d’autres pays avec l’expansion de la nouvelle route de la soie.

De quoi s’agit-il ?

Il s’agit d’un système de crédit social de 1000 points attribués à chaque citoyen chinois dont les comportements sont surveillés en permanence par un système d’intelligence artificielle de reconnaissance faciale à l’aide de caméra qui couvre tout le pays. Pour situer l’ampleur de cette couverture, en 2020, 600 millions de caméra étaient installées, soit une caméra pour deux habitants. Ce contrôle social est dorénavant sans limite avec l’instauration d’un système de notation qui pénalise et récompense le citoyen en fonction de son comportement dans sa vie privée, professionnelle et sur les réseaux sociaux. Les chinois sont donc tous fichés par ce système de surveillance qui, par ailleurs, ne se limite uniquement au territoire chinois. En effet, le parti communiste a réussit à limiter les droits et libertés des chinois qui vivent à l’étranger en imposant leurs règles à Facebook, entre autres. Concrètement, le système attribue à toute la société chinoise des notes allant de AAA à D. Si vous avez un niveau de crédit AA, vous bénéficiez d’avantages tels être considéré comme un modèle de conduite, la possibilité d’adhérer au parti communiste et de bénéficier de soutiens politiques ou encore d’obtenir un prêt sans hypothèque. Par contre, si votre crédit a été rétrogradé au niveau B, parce que vous avez conduit sous l’effet de l’alcool, vous ne pouvez pas adhérer au parti communiste ou encore être maire de village. Si vous êtes discrédité au niveau C suite à une détention administrative, alors vous subissez des limites partout, par exemple vous ne pouvez pas avoir de prêt. Si vous vous retrouvez souvent devant la justice et que votre niveau de crédit est rétrogradé à D, alors vous serez puni et intégré sur la liste noire des discrédités. Vous ne pouvez pas postuler sur des postes de fonctionnaire, ni entrer dans l’armée, ni prendre l’avion, ni bénéficier du soutien de l’État, etc.

Ce système généralisé de notation est officiellement un moyen pour le gouvernement chinois de lutter contre les incivilités mais surtout pour diffuser la morale communiste dans tous les recoins du pays. Par exemple à Rongcheng, un petit village côtier au nord de la Chine où fut d’abord expérimenté ce système, le barème de points est affiché bien en vue dans chaque quartier pour informer les habitants des règles à suivre. À titre indicatif, 5 points déduits pour la découpe illégale et le séchage de nourriture, 5 points déduits pour le brûlage d’ordures ménagères ou de feuilles. De plus, certaines des règles incitent clairement à la délation, par exemple signaler la participation à des sectes, les faux et contrefaçons, les constructions illégales = 5 points de gagnés. Crainte de la réprobation et de l’ostracisation, les citoyens sont muselés. Les mieux notés ont droit au tableau d’honneur et deviennent la fierté de toute la nation comme à l’époque maoïste. À Rongcheng, leurs visages s’affichent aux abords du siège local du crédit social comme dans toute la ville et sont reconnus comme des modèles de moralité donc des exemples à suivre. Mais qu’advient-il des “ mauvais citoyens ” ? Expulsés hors des villes, pointés du doigt et dans certains centres commerciaux leurs visages défilent sur des panneaux lumineux pour mieux les humilier. Dans d’autres provinces, les autorités leur ont même attribué une sonnerie de téléphone particulière qui non seulement signale que la personne a été mal notée par le tribunal local mais qui invite aussi à l’inciter à se responsabiliser et à respecter la loi. En 2020, c’est plus de 20 millions de chinois qui figuraient sur la liste noire et interdits de voyage à cause de leur mauvaise note.

Le modèle de la société chinoise de Xi JinPing repose sur une promesse centrale, celle de l’enrichissement pour tous présenté comme le “ rêve chinois ”, mais en échange la société toute entière doit marcher dans la même direction sans contre-pouvoir. Les libertés d’opinion politique, de manifestation, de préférence sexuelle ou religieuse sont sous surveillance, tous manquements à l’idéologie du parti communiste est une infraction à la loi chinoise et le moindre faux pas est sanctionné, d’où les prisonniers politiques qui se comptent par centaines de milliers. Pour Lin Junyue, théoricien du crédit social, il s’agit d’une bonne méthode technologique pour d’abord assurer la paix et la stabilité et que chacun vive bien, ensuite on pourra réfléchir aux droits de l’Homme. Selon Lin Junyue plusieurs pays, dont le Sri lanka, le Camboge, le Chili et la Pologne, seraient intéressés par ce système de crédit social. Le Big Brother chinois s’exporte et ce n’est qu’un début, car avec sa nouvelle route de la soie numérique Pékin estime que c’est entre 60 et 80 pays qui pourraient vouloir de cette technologie de surveillance chinoise.  

Du contrôle social à un ethnocide culturel.

Les Ouïghours, population à majorité musulmane, vivent dans la province du Xinjiang située dans le nord-ouest de la Chine. En 2009, suite au soulèvement des Ouïghours accompagné d’actes de violences à l’endroit des Han, l’ethnie majoritaire chinoise, Pékin a mis en place, sous le couvert d’une lutte contre le terrorisme et l’extrémisme religieux, un vaste plan de sécurisation de la province qui, avec l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, va prendre un virage totalitaire. Xi Jinping appelle dès 2014 à lutter contre le terrorisme, l’infiltration et le séparatisme en utilisant les outils de la dictature et ne montrant absolument aucune pitié. En 2019, le budget pour la sécurisation du Xinjiang atteignait les 10 milliards de dollar et la région devenait alors la zone plus surveillée au monde. À Urumqi, capitale de la province : CheckPoint avec reconnaissance faciale contrôlé par l’armée, commissariat à chaque coin de rue, les Ouïghours constamment fouillés, leur téléphone portable minutieusement inspecté, interdiction de quitter la province sans autorisation, les musulmans pratiquants qui fréquentent la mosquée sont particulièrement ciblés et envoyés en prison ou plus précisément dans des camps de rééducation où selon une ONG, il y aurait plus de 1 million de personnes détenues soit 1/10 de la population Ouïghour. Pour déterminer les personnes suspectées, les forces de l’ordre utilisent une application pour téléphone portable appelée “ la plateforme d’opérations conjointes intégrées ” qui permet de colliger un ensemble d’informations détaillées sur chaque ouïghour et qui relie en temps réel au dispositif de surveillance la liste des milliers de nom de personne à interner chaque semaine. L’ONG Human Rights Watch a analysé cette application et démontré qu’elle constitue une preuve évidente de violation des droits humains qui implique de Xi Jinping aux autres architectes de ce système incluant les entreprises qui ont développé cet algorithme de la répression. Cet ethnocide culturel Ouïghour mené par le gouvernement chinois qui implique des prisons à haute sécurité, des camps de rééducation idéologique et de travail forcé, des déplacements massifs des internés en train rappelle cette période de l’histoire humaine assez dramatique du XX ᵉsiècle. Lorsqu’elle sert une idéologie totalitaire, la technologie peut faire des dégâts irréversibles comme la répression chinoise des Ouïghours en est aujourd’hui le symbole.

Se nourrissant de nos peurs et de la course effrénée à l’intelligence artificielle, le “ virus de la surveillance ” ne semble avoir aucune limite. Peut-on encore l’endiguer ? Comment éviter que notre désir de sécurité nous conduise dans un futur dépourvu de toute humanité ? La ville de San Francisco a fait un choix radical, la capitale de la Silicon Valley est devenue en 2019, la toute première ville du monde à bannir la reconnaissance faciale de ses rues. Oakland, Berkeley, Somerville, d’autres américaines suivent l’exemple de San Francisco et ont fait un autre choix de société : refuser le meilleur des mondes et remettre le génie dans sa bouteille.

La démocratie numérique taïwanaise, le contre modèle chinois.

Xi Jinping croit dans une nation chinoise unifiée dans le patriotisme et la loyauté au parti communiste. Dans cette société, toutes les minorités religieuses doivent être assimilées à la culture dominante de gré ou de force. Au Xinjiang, c’est plus de 10 millions de chinois ouïghours, casaques, musulmans et turcophones qui posent problème à Xi Jinping. En 2022, lors du 20ième congrès du parti communiste chinois, Xi Jinping obtient un troisième mandat en tant que président de la République populaire de Chine en échange d’un engagement à réintégrer Taïwan, considéré comme une province chinoise rebelle, dans le giron chinois, de gré ou de force si elle proclame son indépendance. Cet enjeu est d’autant plus sérieux que la démocratie taïwanaise constitue le contre modèle chinois et que Taïwan se considère comme un État indépendant, souverain et veut le demeurer. Depuis des années, selon tous les sondages, c’est à peine 1 % de la population – de 22 millions de personnes – qui est pour le rattachement de Taïwan à la Chine communiste.

La situation géopolitique s’est davantage tendue suite à la révolution des tournesols qui a évincé du pouvoir les politiciens pro-Chine qui avaient déjà entamé le processus d’intégration à l’insu de la population taïwanaise et qui de plus voulaient faire adopter un projet de loi sans débat parlementaire. Une fois ce coup d’État réussi, le nouveau gouvernement élu s’est employé à renforcer la démocratie en instaurant une démocratie numérique avec le soutien de sa jeunesse connectée et des citoyens. Audrey Tang, ministre en charge du numérique, précise travailler non pas “ pour ” mais “ avec ” le gouvernement et les citoyens. Lors de la pandémie du covid-19, la population à adhérer en toute confiance à la politique participative du gouvernement et la gestion de la pandémie a été maîtrisée. Contrairement à ce qui se passe en Chine à l’égard des valeurs universelles et démocratiques, Taïwan démontre que les Chinois ou la culture chinoise peut  fonctionner avec un modèle tout à fait démocratique. Taïwan comme la Chine communiste, utilise des outils numériques dans la sphère publique et politique mais l’usage que chacun en fait est à l’opposé. La pandémie a d’ailleurs été le révélateur de ces divergences. Alors que la Chine impose, contrôle et désinforme, Taïwan choisit une démocratie toujours plus numérique, plus inclusive, plus transparente. Lors de la pandémie par exemple, le gouvernement taïwanais communique ouvertement sur ses données et il incite la société civile à prendre part à l’élaboration des solutions. Contrairement à l’opacité du gouvernement chinois, le gouvernement taïwanais est à l’écoute des voix des citoyens avec l’aide de pirates (hackers)  civiques qui l’aide à détecter les innovations des citoyens, tel Audrey Tang, ministre en charge du numérique. Les citoyens sont conscients que leurs principes démocratiques constituent un rempart face au gouvernement de Pékin et ils soutiennent toute mesure qui peut améliorer le bien commun. Les QR codes par exemple, tiennent un journal de bord des déplacements de chacun et partout dans le monde des gens sont attentifs à l’innovation et à la transparence du processus démocratique instauré. À Taïwan, les résultats sont transparents comme les moyens mis en œuvre parce cela constitue la garantie des valeurs communes. C’est lors de la révolution des tournesols que Kao chia-Liang, pirate civique, a créé avec des collègues programmeurs la plateforme “ gouvernement zéro ” ou “ gouvernement ouvert ” pour permettre aux citoyens de comprendre  l’accord opaque dit de coopération avec la Chine qui visait à renforcer son emprise économique sur Taïwan élaboré par le gouvernement du parti conservateur national chinois qui s’apprêtait à le signer sans consultation publique ni débat parlementaire. La plateforme gouvernement ouvert inverse les choses, car en plus de pouvoir écouter un grand nombre d’avis, les citoyens peuvent discuter entre eux et se trouver des valeurs communes et partager leur créativité. C’est ainsi que la démocratie numérique a vu le jour à Taïwan grâce à des échanges ouverts et une large participation de la société civile qui a réalisé avec le mouvement des tournesols que le peuple est le véritable pouvoir. Le laboratoire d’initiative sociale ; une émanation de l’esprit de ce mouvement, initié par Audrey Tang nommé en 2016 ministre en charge du numérique, est un lieu d’invention créative autour du numérique. Citoyens et jeunes informaticiens s’y retrouvent pour apporter des solutions aux problèmes sociaux et environnementaux par des moyens efficaces et innovants. Par exemple, Zhuo Chih-yuan, spécialiste des interfaces utilisateurs, a proposé une application sur la plateforme collaborative gouvernementale de déclaration d’impôt repensée avec les autorités fiscales pour être plus performante et plus conviviale. Partout à Taïwan des équipes de designers informaticiens prolongent ce travail de simplification de l’expérience de l’internaute et d’efficacité des processus administratifs tels la présentation du budget de l’État et de ses différents ministères. Le mouvement des tournesols a stimulé l’émergence d’une innovation démocratique à la taïwanaise, une innovation qui passe par le numérique. Par exemple, Howard Wu, informaticien activiste, a créé une application qui donne en temps réel toute la disponibilité des masques dans les pharmacies du pays, ce qui est une mise à disposition des données publiques à toute la population.  Pour Howard Wu la démocratie c’est quand un gouvernement résout les problèmes des citoyens, que les problèmes soient mineurs ou majeurs, peu importe le gouvernement doit apporter une solution et avec plus d’outils on obtient une information plus juste et on peut améliorer l’auto-gouvernance du peuple et la qualité de la démocratie. L’application taïwanaise de Howard Wu, la carte interactive, a été utilisée en Corée du Sud par un hacker civique et ce, à cause d’un sentiment commun d’urgence et une convergence de valeurs, qui a permis d’établir instantanément une “ Hack-Racie ”, soit un système nouveau où chacun peut participer. Comme le précise Audrey Tau, ministre chargé du numérique, son travail ne consiste pas à superviser des applications utiles mais plutôt en une réflexion qui amène les citoyens à comprendre l’intérêt de la démocratie, car elle est un outil créatif et chacun peu y contribuer. Deux années après l’élection de Tsaï Ing-wen comme présidente du pays, Taïwan adopte une série de loi progressive telles le référendum d’initiative populaire qui permet de soumettre une loi au vote parlementaire si 200,000 électeurs le demande, la légalisation du mariage homosexuel, l’établissement d’un système de quota interne dans les partis politiques  qui a d’ailleurs permis d’augmenter de 42 % le nombre de femmes en politique.

Comme le dit Audrey Tang, ministre en charge du numérique : “ si les technologies de l’information connectent les machines, le numérique relie les humains ”. Il fait référence à une promesse de campagne de la présidente actuelle Tsaï Ing-wen, celle de la “ bande passante comme droit de l’homme ”, c’est-à-dire non seulement pouvoir accéder à l’internet mais aussi communiquer au-delà des frontières. Avec le Web, Taïwan cherche à s’exprimer et à exister aux yeux du monde. Le 30 août 2021, la chaîne internet Taïwan + est lancée à un moment favorable, celui où Taïwan a atteint un haut niveau de démocratie. Taïwan qui partage les mêmes valeurs comme l’ouverture, la démocratie, la liberté, les droits de l’homme, souhaite le statu quo et être reconnu à l’international comme un partenaire sûr pour avancer ensemble.

L’innovation démocratique taïwanaise ; source d’inspiration.

L’innovation démocratique taïwanaise est un modèle et une source d’inspiration pour améliorer notre propre pratique démocratique, entre autres choses, en matière de représentativité, de gestion des services publiques, d’implication collaborative et d’information citoyennes.

On doit reconnaître que notre système électoral actuel engendre un déficit démocratique au chapitre de la représentativité à l’Assemblée nationale. Sur un bulletin de vote, on demande à l’électorat de choisir un député parmi des représentants de diverses formations politiques qui ont présenté en campagne électorale un programme politique. Or, au final, on ne tient compte que d’un seul résultat, soit le plus grand nombre de vote accordé à un candidat à la fois pour désigner le député élu dans une circonscription électorale et le parti qui sera au pouvoir. C’est ainsi qu’un parti se retrouve au pouvoir, bien qu’il n’ait récolté dans bien des cas moins de 50 % du vote général. Ce mode de scrutin nominal à un tour crée une distorsion, qui a un impact sur la reconnaissance des groupes parlementaires, le budget de fonctionnement accordé et le nombre de questions posées à l’Assemblée nationale. Cette distorsion, qui est clairement apparue lors de l’élection québécoise en octobre 2022, a donné lieu à un psychodrame politique et nécessité des négociations entre les cinq partis politiques en cause pour tenter de corriger les aberrations produites. Or, le parti de la Coalition avenir Québec (CAQ) et son chef François Legault s’étaient engagés à réformer le mode de scrutin lors de l’élection de 2018 et lorsque la CAQ a pris le pouvoir il n’y a pas donné suite. Jean-Benoît Ratté, membre du conseil d’administration du Mouvement démocratie nouvelle a dénoncé le fait que la CAQ a saboté sa propre réforme des institutions démocratiques pour des considérations strictement partisanes et à très courte vue.

À l’élection québécoise d’octobre 2022, la Coalition avenir Québec a récolté 41 % des voix et 72 % des sièges à l’Assemblée nationale. Le parti Québécois et le parti Québec solidaire ont obtenu plus de votes que le parti Libéral du Québec, alors qu’ils ont obtenu moins de sièges, a souligné la présidente de l’Union étudiante du Québec, Samy-Jane Tremblay. Il y a ½ million de personnes qui ont voté pour le parti Conservateur du Québec mais il n’occupe aucun siège à l’Assemblée nationale.

Selon Samy-Jane Tremblay l’amélioration du mode de scrutin québécois est à portée de main. Le gouvernement, dit-elle n’aurait qu’à ressortir et à dépoussiérer un peu le projet de loi 39 qu’avait présenté Sonia LeBel en 2019, alors ministre responsable des Institutions démocratiques et de la Réforme électorale.  Le projet de loi 39 prévoyait la mise en place d’un nouveau mode de scrutin proportionnel mixte avec compensation régionale. L’électeur aurait été appelé à voter deux fois : la première pour élire un député, la seconde pour élire le parti de son choix. Si le projet de réforme avait vu le jour, l’Assemblée nationale compterait toujours 125 députés, mais uniquement 80 circonscriptions dont le contour aurait correspondu, à peu de choses près, à celui des circonscriptions fédérales. Les 80 députés des nouvelles circonscriptions auraient été élus au scrutin uninominal à un tour à l’aide du premier scrutin. Le second vote aurait permis de pourvoir les 45 sièges restants à des non-élus lors du premier vote. Les sièges auraient été répartis dans 17 régions électorales à partir d’une liste de candidats fournis par les partis politiques. D’autres formules de répartition sont possibles, elles pourraient faire l’objet de débat et même d’expérimentation pour en valider la pertinence avant de statuer sur le mode de scrutin proportionnel à adopter.

Pour la présidente de la Fédération étudiante collégiale du Québec, Maya Labrosse : refuser de changer le mode de scrutin c’est accepter de nourrir le cynisme pour les années à venir pour la jeunesse et de réduire ainsi la volonté des jeunes à participer au processus électoral.

Concernant la gestion des services publics, au lieu d’attendre 4 années pour constater l’inefficacité ou pire la détérioration de la prestation de certains services publics (santé, éducation, environnement, aides sociales…) ne serait-il pas avisé de confier le suivi de la gestion des services à un comité multiparti. Ce comité de suivi pourrait être une activité gouvernementale statutaire qui serait opérationnelle quelque soit le parti au pouvoir tout en étant sous la responsabilité du ministre en poste. Suite à la révision de la structure, du mode de fonctionnement, des ressources humaines et financières allouées ainsi que des performances constatées, un diagnostic des problématiques, des solutions d’amélioration pourraient être dégagées et des plans d’action planifiés pour atteindre des cibles déterminées afin que les missions de base du gouvernement soient réalisées au mieux pour le bien-être de la population.  Un tel suivi par un comité multiparti assurerait que le gouvernement demeure mobilisé sur la voie de l’amélioration continue en matière de services publics dispensés à la population. Ce comité multiparti serait bien placé pour également informer les citoyens sur l’état de la situation à chacune des étapes de suivi des services publics.

On a bien vue au Québec la valeur du travail accompli par des comités d’élus multipartis, entre autre dans le cas de la commission parlementaire sur la question de l’aide médicale à mourir. Cette même approche trans-partisane a été réclamée par un comité d’élues de différents partis politiques concernant la création d’un nouveau tribunal spécialisé dans le traitement des crimes sexuels. Peut-être même que cette approche de comité multiparti pourrait devenir la norme et être généralisée pour le traitement de divers dossiers gouvernementaux.

L’expérience taïwanaise montre que l’implication collaborative citoyenne repose sur une transparence de l’État sur les objectifs visés et les moyens utilisés ainsi que sur une information claire et accessible aux citoyens sur le travail gouvernemental. Et que, les outils numériques permettent de créer un dialogue permanent entre le gouvernement et les citoyens sur différents dossiers publics. Ainsi par exemple, les résultats du travail du comité de suivi de gestion des services publics proposé pourraient être présentés pour l’essentiel sur un site gouvernemental dédié qui, en plus d’informer, pourrait permettre aux citoyens d’émettre leurs opinions et leurs suggestions d’amélioration.

Démocratie ; de quoi s’agit-il ?

Pour répondre à cette question, nous référons a “ paradoxe démocratique ” que Yves Mény, universitaire et chercheur en science politique, présente dans la préface de l’essai de Pierre Héritier intitulé Gouverner sans le peuple, dont nous présentons également quelques extraits.

Comme le rappelle Pierre Héritier, “ L’Athénien de Périclès, mythe démocratique célèbre s’il en fut, écartait du peuple de la cité, les femmes, les esclaves, les étrangers ce qui faisait pas mal de monde.  De surcroît, ce “peuple souverain ” dans sa délibération sur l’Agora ne pouvait par définition pratique, n’être que de dimension réduite. Les philosophes et en particulier ceux des lumières en tireront une conclusion apparemment inéluctable : la démocratie est le plus beau des régimes mais il ne peut s’appliquer qu’à des petites cités. Le “ miracle ” démocratique naîtra des révolutions française et américaine au prix d’une transformation de l’idée démocratique originale, en fait grâce à la combinaison de quelques principes connus mais jusque là séparés : le principe démocratique (le peuple est souverain), le principe de représentation (le peuple choisit des représentants), le principe de majorité (les détenteurs de la majorité gouvernent dans le respect de la minorité). La démocratie devenait réalisable grâce à la combinaison imprévue de son principe pur avec les éléments impurs du libéralisme politique (séparation et limitation des pouvoirs, sélection des élites, etc.). Pour les esprits radicaux de l’idéal démocratique – le pouvoir du peuple –, ce compromis ou plutôt cette compromission est inacceptable. “ Le peuple est dans les fers ” dira Rousseau. Toutefois, la démocratie faisant son chemin sous  la forme que nous lui connaissons habituellement, c’est-à-dire en s’incarnant dans un régime représentatif caractérisé par la séparation des pouvoirs selon des modalités variables selon les pays. Autrement dit, ce que nous dénommons démocratie est un alliage composite fait de démocratie (le suffrage universel, le parlement, etc.) et des éléments qui en eux-mêmes n’ont rien de démocratiques ou qui peuvent même être considérés comme anti-démocratiques, car ils n’ont pas d’autres ambitions que de limiter le pouvoir populaire mais qui ont fini par devenir des éléments constitutifs de la démocratie telle que nous la connaissons. Concrètement : l’interdiction faite à une majorité de légiférer dans certains domaines (par exemple la réintroduction de la peine de mort) ou selon certaines modalités (par exemple exproprier sans indemniser) constitue une limite indéniable au principe démocratique entendu dans son sens le plus intégriste.

Le bilan de l’expansion de la démocratie est éloquent : partout, ce que nous appelons démocratie repose sur un double pilier, le populaire qui lui procure la légitimité et le constitutionaliste, qui encadre le pouvoir populaire dans des contraintes aussi variées que nombreuses. Le début du XXI siècle ne fait que renforcer le paradoxe : jamais la démocratie n’a été aussi pratiquée comme norme de référence universelle mais jamais les barrières à l’expression directe n’ont été aussi nombreuses. On comprend mieux comment le débat démocratique est toujours un mélange inextricable d’aspiration et de frustration. Car la frontière est mince entre limitations nécessaires (l’histoire nous a enseigné et à quel prix que totalitarisme, nazisme, fascisme pouvait naître de la matrice populaire) et dépossession injustifiée du peuple au profit d’élites restreintes qu’elles soient économiques, partisanes, juridiques ou technocratiques. Ces tensions ont toujours existé dans les régimes démocratiques forcément imparfaits, dont nous avons fait l’expérience : le mouvement populiste américain de la fin du XIXᵉ siècle dénonçait les banques, les ploutocrates et les grandes compagnies.  Au début du XX siècle des économistes ou sociologues de renom constataient eux aussi, d’un point de vue empirique plus que normatif, que la démocratie n’était rien d’autre que le gouvernement des hommes par les élites. Qu’on le veuille ou non, que cela plaise ou non, force est en effet de constater que ce sont les élites qui gouvernent. Mais elles ne peuvent gouverner qu’en tirant leur légitimité du mandat populaire. Et c’est dans cette fragile relation que tient le caractère plus ou moins démocratique du régime : la composition du corps électoral, la régularité des élections, le respect des règles, la responsabilité effective des dirigeants sont des ingrédients essentiels de la teneur démocratique d’un régime. Or, une élite qui se ferme, une élite qui ne sait pas se renouveler va à sa perte que ce soit par décadence ou par rejet. C’est encore plus vrai en démocratie où la captation indéfinie du pouvoir par une élite restreinte apparaît de plus en plus clairement comme une contradiction fondamentale au regard des idéaux proclamés.

Contrairement à une vue rapide et opportuniste qui a diagnostiqué la démocratie dans les anciens régimes socialistes parce qu’on y avait réintroduit le capitalisme et organisé des élections, la démocratie est une réalité beaucoup plus complexe, plus sophistiquée et surtout une réalité en devenir, donc perfectible. La question de l’équilibre des pouvoirs et de l’organisation des rapports entre l’État, la société civile et les contre-pouvoirs est fondamentale pour la démocratie. Or, dès la Révolution française, la République démocratique a été ambiguë, élitiste et bourgeoise. Alors la démocratie serait-elle une utopie du XVIII siècle réservée aux pays développés et qui s’est incarnée au XXI siècle sans tenir ses promesses ? Peut-même une idée dépassée aujourd’hui, en tout cas une idée qui a perdu sa force ou alors qui s’épuiserait du fait même de son accomplissement. Les peuples gavés de démocratie auraient atteint un seuil de saturation, la force d’une utopie dépendrait-elle de l’espoir qu’elle fait naître et du chemin qui reste à parcourir ? Faut-il enterrer la démocratie, ou au contraire lui redonner du sens et du souffle ? L’étendre à l’ensemble des domaines qui conditionnent la vie des gens ? Permettre ainsi au peuple de participer enfin au pouvoir ? Alors que faire de plus ici et maintenant pour redonner du sens à la démocratie, l’envie aux citoyens de participer et de l’espace à la société civile ?

Le sommet sur la démocratie 2.0.

Le président américain Joe Biden répète à l’envi que le monde est selon lui à un tournant, travaillé par une tentation de l’autoritarisme qui menace des démocraties pour certaines mal en point. C’est pourquoi, Joe Biden a annoncé la tenue en mars 2023 de la deuxième édition du “ Sommet de la démocratie ”, un rendez-vous international dont son administration est à l’origine. Il présidera les débats avec les dirigeants du Costa-Rica, des Pays-Bas, de Corée du Sud et de la Zambie, ce qui selon la Maison-Blanche illustre l’aspiration universelle à un mode de gouvernement responsable, transparent et respectueux des droits. Cette réunion montrera comment les démocraties profitent à leurs citoyens et sont les mieux équipées pour répondre aux défis mondiaux les plus urgents. La première édition du sommet pour la démocratie s’était tenue en décembre 2021 de manière virtuelle et avait attiré des critiques acerbes de la Chine et de la Russie, qui ne figuraient pas au nombre de la centaine de pays invités. Pékin s’était particulièrement indigné de l’invitation de Taïwan à ce rendez-vous diplomatique. La Maison-Blanche assure que depuis la première édition, les gouvernements concernés ont pris des décisions importantes pour construire des démocraties plus résilientes, combattre la corruption et défendre les droits humains.

Comme le souligne Pierre Héritier : “ la démocratie ne concerne pas seulement un problème politique au sens classique du terme. La capacité de changement repose largement sur la volonté de proposer de nouvelles formes d’organisation de la société, de l’économie et des rapports entre l’État et la société civile. De nouvelles bases pour tenir compte de l’avenir, de l’intérêt des futures générations, du long terme mais aussi des rapports entre les peuples et entre les continents : de nouvelles règles d’échanges et de solidarité sont à mettre en place car le niveau national ne suffit plus et l’économie ne peut fonctionner sans règles, sans un minimum de régulation, sans cadre, sinon, c’est la loi de la jungle, le règne des inégalités. Un nouveau compromis social devrait émerger. Espérons que la 2ième édition de ce sommet ne sera pas un exercice de gargarismes démocratiques mais bien d’ajouts d’exigence participative au fonctionnement de la démocratie comme celle par exemple, qu’expérimente Taïwan, reconnue, par ailleurs par la Maison-Blanche, comme un renouveau démocratique. En matière de renouveau démocratique, d’autres sources d’inspiration sont aussi à considérées dont celle de Thomas Piketty qui propose un socialisme participatif pour le XXIᵉ siècle qui se veut un nouvel horizon égalitaire à visée universelle, une nouvelle idéologie de l’égalité, de la propriété sociale, de l’éducation et du partage des savoirs et des pouvoirs. Il s’agit d’une proposition de renouveau démocratique à portée nationale et internationale qui, en redonnant du sens à la démocratie, pourrait susciter l’envie aux citoyens de participer à la réalisation de ce projet de société et qui, expliqué clairement et en toute transparence, débattu et accepté socialement, pourrait être implanté par un gouvernement visionnaire, responsable,  engagé pour le bien commun et capable de le démontrer concrètement par ses réalisations.

Donc, histoires à suivre…

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