La Commission sur l’avenir de l’agriculture et l’agroalimentaire québécois.

Comment modifier le modèle agricole québécois et ses structures pour qu’il favorise le développement de nouveaux types d’agriculture et ouvre les portes à toutes les formes de relève agricole ?

L’agriculture québécoise s’est profondément transformée au cours des cinquante dernières années. Elle s’est modernisée, a accru substantiellement ses rendements, s’est spécialisée et a agrandi la taille des unités de production. Au Québec comme dans la plupart des pays industrialisés, l’intensification de l’agriculture, bien qu’elle ne fût pas sans conséquence, a été la réponse du milieu agricole aux besoins et aux attentes de la société. L’agriculture du Québec a aussi permis l’expansion considérable de la transformation alimentaire qui, par la valeur de ses expéditions, est devenue le premier secteur manufacturier québécois. Quant à la distribution, elle a enregistré des changements majeurs, s’est complètement réorganisée et a graduellement atteint un haut niveau de concentration.

Mais au cours des dernières années l’agriculture et l’agroalimentaire ont été profondément secouées. L’environnement national et international a changé, marqué notamment par l’augmentation spectaculaire du commerce mondial et l’émergence de nouvelles puissances agricoles exportatrices. Ces changements ont exacerbé les problèmes de concurrence de prix entre nos produits agricoles et ceux qui nous arrivent de partout dans le monde et envahissent nos marchés.

De nouvelles incertitudes ont surgi, soulevant des questions troublantes sur les conséquences d’une agriculture qui n’est pas toujours respectueuse de l’environnement.

Les citoyens et les consommateurs sont entrés en scène et désormais expriment davantage leurs préoccupations et leurs exigences à l’égard de l’environnement et de la santé, interpellant directement l’agriculture et l’agroalimentaire. On ne voit plus l’agriculture de la même façon. Les interrelations entre le secteur agroalimentaire et la santé se sont raffermies et la production agricole est maintenant subordonnée au respect de l’environnement et à l’acceptation sociale. Bref, l’agriculture est devenue un enjeu de société.

Dans cet univers qui change et se complexifie, les agriculteurs et les acteurs du secteur agroalimentaire réalisent que les solutions qui avaient prévalu jusqu’alors et les mécanismes mis en place au cours des quarante dernières années pour seconder le développement de l’agriculture et de l’agroalimentaire ne suffisent plus, que certains dispositifs semblent avoir atteint leurs limites. Insidieusement, l’agriculture est entrée dans une phase de doute, de remise en question et même de crise. Cet état de tension peut être illustré par certaines observations :

la baisse des revenus agricole, exacerbée par des crises sanitaires conjoncturelles ;

l’endettement sans précédent des agriculteurs, en partie lié à la recherche de gains de productivité, au prix des quotas ainsi qu’à l’augmentation de la taille des fermes et à la modernisation de celles-ci ;

la hausse des coûts de certains programmes d’aide financière à la production agricole, dans un contexte où la société doit répondre à d’autres priorités, notamment en matière de santé, d’éducation et d’infrastructures ;

la difficulté de transférer les fermes à la relève, assombrissant les perspectives d’avenir de la profession ;

le resserrement des normes environnementales et phytosanitaires, la prise en compte des impératifs du développement durable et l’expression de nouvelles exigences sociales, qui ont pour effet de faire grimper les coûts de production au-delà de ce que les marchés sont prêts à reconnaître ;

la perte de confiance d’une certaine proportion de citoyens et de consommateurs à l’égard de la production agricole et de tout le secteur agroalimentaire, accusés de poursuivre des activités polluantes et d’accorder une importance trop grande aux gains économiques à court terme, au détriment de la qualité des aliments produits et de l’environnement ;

les pressions exercées notamment à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en faveur d’une plus grande ouverture des marchés agricoles, ce qui déstabilisent les productions québécoises assujetties à la gestion de l’offre. Les autres productions sont de plus en plus exposées à la concurrence internationale résultant de la mondialisation ;

la montée inquiétante de la détresse psychologique en milieu agricole ;

les faibles perspectives de croissance et de développement au Québec du secteur de la transformation alimentaire, qui fait face à des problèmes de plus en plus aigus de capitalisation, d’approvisionnement, de productivité et de disponibilité de la main-d’œuvre, dans un contexte d’accroissement de la concurrence étrangère ;

les modes d’organisation et le très haut niveau de concentration qui caractérisent la distribution alimentaire, ce qui soulève des inquiétudes quant à l’accessibilité des produits québécois aux réseaux de distribution.

L’agriculture et l’agroalimentaire du Québec ont d’importants acquis et leurs acteurs, qui ont manifesté dans le passé de remarquables capacités d’adaptation, démontrent une volonté farouche de défier les épreuves du temps présent. Mais la phase d’instabilité qu’ils traversent et les causes qui l’alimentent demeurent hautement préoccupantes. Plusieurs représentants du secteur agricole et agroalimentaire ont soutenu, lors des audiences de la Commission, qu’ils sont rendus pour ainsi dire à la croisée des chemins et qu’ils ont besoin d’un nouvel élan.

La Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois.

C’est sur cette toile de fond que le gouvernement du Québec a créé en 2006, la Commission sur l’avenir de l’agriculture et l’agroalimentaire québécois, chargée du mandat suivant :

faire un état de situation sur les enjeux et les défis de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois ;

examiner l’efficacité des interventions publiques actuellement en place, tant celles sous la responsabilité du ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) que celles sous la responsabilité d’autres ministres touchant le secteur agricole et agroalimentaire dans les domaines tels que l’environnement, la santé, l’occupation du territoire et le développement régionale ;

établir un diagnostic et formuler des recommandations sur les adaptations à faire, compte tenu des défis de la compétitivité et des revenus agricoles, des attentes sociétales et de la mise en valeur des potentiels régionaux.

La Commission a rencontré des agriculteurs, des transformateurs, des distributeurs, des organismes de développement, des écologistes, des élus municipaux, des professionnels travaillant en amont et en aval de la production agricole, des fournisseurs d’intrants et d’équipements, des exportateurs, des chercheurs, des formateurs, des citoyens et des consommateurs ; bref, tous ceux qui vivent du secteur agricole et agroalimentaire ou qui y portent un intérêt. Elle a tenu, dans toutes les régions, sauf celle du Nord-du-Québec, des audiences publiques au cours desquelles furent présentés quelque 600 mémoires et témoignages, illustrant toute la diversité des situations et exprimant les inquiétudes, les espoirs, les attentes de personnes de toute provenance sociale et professionnelle. La Commission a également tenu deux semaines d’audiences publiques nationales où elle a reçu 110 mémoires présentés essentiellement par des organisations établies dans plusieurs régions ou dans l’ensemble du Québec.

Ce que la Commission a entendu confirme largement les interrogations et les inquiétudes qui assaillent le secteur agricole et de l’agroalimentaire. Dans toutes les régions du Québec, des citoyens et des citoyennes de divers horizons se sont ouvertement demandés où allait notre agriculture. Ils craignent que, dans ce monde en mutation profonde, la simple poursuite des politiques qui ont fait le succès de ce secteur jusqu’ici ne conduise à une amplification de la crise, à une sorte d’impasse. Du coup, ils ont été nombreux à souhaiter et même à réclamer une “ nouvelle vision ” de l’agriculture et de l’agroalimentaire qui prendrait appui sur les acquis et qui s’adapterait aux grands courants d’une société qui, toute urbaine qu’elle soit, veut redéfinir ses rapports avec l’agriculture. Bien entendu, le spectre des préoccupations exprimées devant la Commission est très large et à travers la pluralité des points de vue, la Commission a décelé des constats largement partagés, des questionnements incessants, des grandes tendances et des attentes incontournables. La Commission a pu relever les questions de fond qui doivent être examinées avec plus d’attention et identifier les principaux changements qu’il faut impérativement engager. La Commission a également fait appel à divers experts afin d’évaluer plus finement les mérites et les lacunes des grands instruments de la politique agricole du Québec. Elle a aussi examiné les politiques de certains pays. Au moment de faire la synthèse de cette masse d’informations, la Commission a voulu aller à l’essentiel. Elle s’est avant tout employée à dégager une vision d’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire pour les 15 à 20 prochaines années. Elle s’est appliquée à formuler les recommandations qui lui apparaissent les plus structurantes pour baliser les voies de la réussite et s’attend à ce que le gouvernement y porte une attention toute particulière. La Commission a voulu proposer les assises d’une future politique agricole qui, en 2020, n’a pas encore été élaborée par le gouvernement du Québec.

Le diagnostic que pose la Commission se veut limpide : le secteur agricole et agroalimentaire est en train de se refermer sur lui-même. Les systèmes qu’il a mis en place créent des obstacles à l’émergence de nouveaux types d’agriculture, au développement de produits originaux et l’exploration de nouvelles possibilités commerciales. Ces systèmes sont axés sur un modèle dominant de l’agriculture où tout est imbriqué dans une vision protectrice du secteur. On a voulu, dans une certaine mesure, mettre l’agriculture à l’abri de la concurrence et des risques que présente l’innovation dont on ne maîtrise pas tous les tenants et aboutissants. On a en quelque sorte créé une place forte pour l’agriculture, ce qui limite sa capacité d’explorer tout son potentiel et qui constitue une protection de plus en plus désuète dans un monde d’ouverture.  Le secteur agricole et agroalimentaire ne pourra pas faire face aux défis de l’avenir en reconduisant simplement le statu quo intégral de ses façons de faire. Certes, les changements préconisés comportent leur part de risque. Après avoir soupesé les avantages et les inconvénients des réformes proposées, la Commission est fermement convaincue de la nécessité de procéder à ces changements de manière ordonnée et progressive. Il n’y a pas de véritable alternative. Ou bien les acteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire s’engagent dans ces changements avec le soutien proactif de l’ensemble de la société et ouvrent leurs systèmes à l’innovation et aux initiatives des entrepreneurs ou certains changements vont s’imposer d’eux-mêmes, sous les effets de la conjoncture, des nouvelles tendances de consommation et de la concurrence d’autres produits d’ici et d’ailleurs. La Commission espère rallier une grande majorité de ses concitoyens à la vision qui se dégage du présent rapport grâce à une compréhension partagée d’une agriculture qui puisse nous ressembler, qui soit le reflet de notre histoire et de notre modernité, qui traduise notre différence et qui contribue à notre alimentation et à notre développement. Il s’agit véritablement d’un projet collectif. Les enjeux de l’agriculture et de l’agroalimentaire méritent cet effort de mobilisation. La Commission invite le gouvernement et toutes les personnes actives du secteur et de l’ensemble de la société à s’engager résolument dans la voie du changement. La Commission a été soucieuse d’équilibrer les efforts attendus des uns et des autres, de favoriser la concertation et le dialogue et de tracer des voies où les acteurs et partenaires cheminent ensemble vers l’atteinte d’objectifs communs et partagent les mêmes ambitions.

La Commission a remis officiellement son rapport au Ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation de l’époque, Monsieur Laurent Lessard, le 31 janvier 2008. Il contient 49 recommandations concernant la production agricole et l’aide de l’État ; la mise en marché des produits agricoles ; la transformation et la distribution alimentaires ; la formation et le perfectionnement des ressources humaines ; la recherche et l’innovation ; l’environnement ; l’alimentation, la santé et les attentes des consommateurs ; la protection du territoire et le développement régional ; l’utilisation de l’agriculture à d’autres fins que l’alimentation ; la gouvernance.  En complément de son rapport, la Commission propose un plan de mise en œuvre de ses principales recommandations. Ce plan s’adresse bien entendu au gouvernement. En le publiant, la Commission veut également signaler aux personnes intéressées par l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire que les changements qu’elle préconise devraient être implantés de manière progressive, selon un scénario qui maintient le cap sur les orientations qu’elle privilégie, tout en accordant aux personnes et aux organisations  touchées le temps et les moyens nécessaires à leur participation aux décisions et à leur gestion correcte des changements. Ce plan de mise en œuvre tient compte du processus décisionnel du gouvernement. Il peut se décliné en quatre phases :

Phase 1 : l’appropriation du rapport de la Commission ;

Phase 2 : la réalisation des études techniques et la consultation des acteurs ;

Phase 3 : les décisions du gouvernement et de l’Assemblée nationale ;

Phase 4 : le processus d’implantation des mesures, programmes et stratégies.

Les facteurs qui influenceront l’avenir.

La Commission a identifié les facteurs ou phénomènes les plus significatifs, les plus lourds de conséquences pour le développement du secteur, bref, les facteurs dont il faut impérativement tenir compte, pour dégager une vision réaliste de l’agriculture de demain. Elle en a retenu dix, que nous vous présentons brièvement ci-dessous.

La démographie.

Cinq faits saillants à retenir : la population québécoise augmentera très peu ; des variations beaucoup plus significatives de la population seront enregistrées dans les régions ; la population québécoise poursuivre son urbanisation ; la population vieillira ; dès 2011, le nombre de personnes qui quitteront le marché de l’emploi, principalement pour prendre leur retraite, sera supérieur à celui des personnes intégrant le marché du travail.

Le commerce mondial.

Le commerce des produits agricoles occupe une place de plus en plus importante dans les négociations sur le commerce mondial qui se tiennent sous l’autorité de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ce sont les nouveaux exportateurs (Chine, Inde, Brésil), regroupés stratégiquement avec des pays en voie de développement au sein du Groupe des vingt (G20), qui exercent le plus de pression à l’OMC en faveur d’un plus grand accès aux marchés des pays développés. Ils visent deux cibles principales. D’abord, ils réclament la réduction du soutien financier qu’accordent les pays développés à leurs producteurs agricoles, l’estimant déloyal. Ensuite, ils s’en prennent aux droits de douane comme ceux que le Canada impose – dans le cadre de la gestion de l’offre – à l’égard des produits laitiers (299 % pour le beurre et 246 % pour le fromage), de la volaille (238 % pour le poulet) et des œufs (164 % pour les œufs en coquille). Ces pays estiment que ces tarifs empêchent ou nuisent considérablement à l’entrée de leurs produits sur le marché canadien. Ailleurs dans le monde, certains produits sont également soumis à des tarifs douaniers très élevés. Toutefois, les tarifs douaniers applicables dans une nette majorité des pays atteignent rarement les niveaux fixés comme soutien au régime de la gestion de l’offre au Canada.

Les besoins et le coût de l’énergie.

À quelques nuances près, le prix du pétrole sert un peu de référence pour l’évolution du prix des autres formes d’énergie. Certaines techniques de production d’énergie propre ou d’énergie nouvelle ne sont économiquement envisageables que dans un contexte de prix élevé du pétrole. Nous sommes entrés dans l’ère de l’énergie coûteuse et les mesures qui seront adoptées pour réduire les gaz à effet de serre accroîtront vraisemblablement la pression sur le prix de l’énergie. L’agriculture est également devenue productrice d’énergie avec le recours à l’éthanol d’origine végétale pour satisfaire une partie des besoins en carburant. Toutefois, le déplacement des cultures de maïs afin d’alimenter les usines de production d’éthanol déclenche des réactions en chaîne : hausse appréciable du prix du maïs, diminution de la production de soya et de quelques autres cultures entraînant une augmentation des cours, coûts accrus de certaines productions animales, bonification des revenus agricoles, changements dans les exportations internationales, etc. Le choix de la filière de l’éthanol soulève des critiques sur le gain énergétique réel et les impacts environnementaux de ce “ carburant vert ”. Soulignons que l’éthanol n’est que l’un des 1,055 bioproduits fabriqués au Canada. De grands espoirs sont placés dans la production de biocarburants à partir de la cellulose des végétaux agricoles ou forestiers et de la biomasse.

L’environnement.

De nombreux facteurs ont concouru à la détérioration des milieux de vie et des ressources renouvelables depuis la révolution industrielle : l’explosion de la population mondiale, rejets industriels largués sans traitement dans le milieu physique, développement accéléré de l’agriculture amplifiant la pollution diffuse, exploitation massive des carburants fossiles, déforestation accélérant l’érosion, etc. Il en est résulté de graves problèmes de dégradation de l’environnement qui ont incité les gouvernements à prendre des mesures afin de réparer les dégâts, tant que faire se peut, d’éliminer graduellement les sources de pollution, puis d’agir de façon proactive afin de protéger les écosystèmes et la biodiversité. Le désir de freiner ou même d’éliminer les préjudices causés à l’environnement par l’activité humaine et industrielle a donné lieu à des législations ayant une portée de plus en plus étendue. Les préoccupations relatives à l’environnement ont mené à plusieurs conventions internationales, dont celles traitant spécifiquement de la biodiversité et des changements climatiques. De même, le concept de développement durable, d’abord présenté à une session de travail de l’Organisation des Nations unies (ONU), a été largement adopté par de nombreux pays. Appliqués au contexte québécois de l’agriculture et de l’agroalimentaire, les enjeux de l’environnement, qui sont incontournables, ont au moins trois significations concrètes :

Ils commandent des actions et des pratiques qui éliminent toute détérioration de l’environnement ;

Ils requièrent une vigilance particulière à l’égard de la qualité de l’eau qui demeure le réceptacle ultime des polluants et font appel à des comportements axés sur l’utilisation rationnelle de cette ressource ;

Ils ouvrent la voie à des contributions de l’agriculture à l’atteinte des objectifs environnementaux qui vont au-delà de la simple conformité à la règlementation en vigueur.

Les changements climatiques.

Un fort consensus s’est établi au sein de la communauté scientifique internationale sur l’ampleur du phénomène des changements climatiques. La lutte contre les gaz à effet de serre et les mesures préventives à l’égard des changements climatiques figurent parmi les mesures et les plans d’action à longue portée adoptés par une très forte proportion de gouvernement dans le monde. Les changements climatiques sont susceptibles de bouleverser plusieurs aspects de notre mode de vie et d’affecter particulièrement l’agriculture. On voit déjà s’étendre la désertification de certaines régions du monde, provoquant des déplacements de populations. Les sècheresses sont plus fréquentes et plus graves, y compris au Canada. Les inondations et autres catastrophes naturelles se multiplient et leur ampleur croissante les rend plus dévastatrices d’une année à l’autre. Des insectes et des plantes qui n’avaient jamais affecté notre production agricole migrent vers le nord. En même temps, certaines cultures qui semblaient impossibles à cause de la rigueur de notre climat peuvent désormais être envisagées. Face aux enjeux considérables des changements climatiques, les gouvernements adoptent par convention internationale, des mesures visant à freiner l’émission des gaz à effet de serre et à agir sur les autres causes du phénomène, de manière à atténuer les conséquences pour les populations et pour l’environnement. Ces mesures affecteront les méthodes de production consommatrices d’énergie, les modes de transport, les politiques des pays en matière de protection et d’utilisation de l’eau et des ressources renouvelables, la production de biocarburants et d’autres produits énergétiques, etc. Le développement de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois s’opérera dans ce contexte qui exercera une influence significative sur leurs choix stratégiques et sur la conduite de leurs activités.

Les préoccupations pour la santé.

À mesure que croissaient les préoccupations environnementales, les citoyens ont porté une attention de plus en plus grande à l’innocuité des aliments. Puis, l’idée que des produits alimentaires puissent causer des préjudices à la santé s’est accréditée à mesure que certaines maladies causant des taux élevés de mortalité, comme le cancer ou les maladies cardio-vasculaires, ont atteint des niveaux presque endémiques et que cette évolution fut associée à certains comportements, dont l’alimentation. La lutte aux aliments potentiellement cancérigènes, au cholestérol, puis aux gras trans s’est généralisée. Aujourd’hui, la progression alarmante des cas d’obésité renforce le lien qu’établit la population entre l’alimentation et la santé. On réclame dès lors une collaboration plus étroite entre les organismes de santé et le secteur agricole et agroalimentaire. L’importance qu’accordent les consommateurs à leur santé ne peut que s’amplifier dans l’avenir. Leurs exigences à l’égard de l’innocuité, de la qualité nutritionnelle des aliments et de leur contenu spécifique vont inévitablement s’accroître. La capacité de répondre à une demande à la fois généralisée et nettement éclatée de produits alimentaires différenciés et spécifiques, en relation avec les préoccupations sur la santé exprimées de multiples façons, fait partie des grands défis du secteur agroalimentaire des prochaines années.

Les avancées de la science.

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), au cours des 50 dernières années, l’augmentation de la production agricole mondiale a été 1,6 fois plus importante que la production totale atteinte en 1950 après 10,000 ans d’histoire agricole. C’est dire l’importance de la contribution de la science et des technologies au développement de l’agriculture. Cet exploit, qui ne fut pas sans conséquence, résulte de la révolution agricole qu’ont connue les pays industrialisés, à savoir :

Une révolution industrielle qui a permis de mécaniser la production à grande échelle, d’effectuer une fertilisation minérale intensive, d’appliquer des traitements contre les ennemis des élevages et des cultures et de déployer des moyens de conservation des produits alimentaires ;

une révolution biotechnique qui a fourni, par la sélection, des variétés de plantes cultivées et de races d’animaux à haut potentiel de rendement ;

une révolution des transports qui a facilité les approvisionnements et l’écoulement des produits sur de très grandes distances. Le savoir scientifique va continuer de s’étendre et les innovations techniques vont se multiplier, notamment en mécanique, en agronomie, en génétique, en transformation et en conservation des aliments. Mais les changements les plus significatifs pourraient venir du développement intensif des sciences de la vie appliquées à l’agriculture et à l’agroalimentaire, développement caractérisé par la découverte et la mise en marché de nouvelles molécules, de matières énergétiques, de médicaments, de protéines, de nutraceutiques et de nouveaux aliments. Le champ d’application des nouvelles technologies associées aux sciences de la vie dépasse nettement celui des organismes génétiquement modifiés (OGM), même si ces derniers suscitent plus d’inquiétude et soulèvent plus de controverse. On peut anticiper une grande utilisation des biotechnologies et du génie génétique dans plusieurs sphères du domaine agricole. En même temps, le Québec devra savoir exercer un jugement critique à l’égard de ces technologies d’avant-garde, notamment sur le plan éthique. La portée considérable de cette tendance est telle que le Québec devra s’y intéresser et chercher à saisir, dans le respect de ses valeurs et de ses priorités, les perspectives de développement que présentent ces nouvelles avenues. Il devra aussi se doter des capacités de gérer les changements qui vont découler de ces nouveaux procédés ou productions et faire ses choix dans le respect des principes du développement durable.

L’acceptabilité sociale.

Dans les pays développés, la population participe de plus en plus activement au processus de décision au sujet des projets de développement économique. Cette participation a cours aux niveaux municipal, régional ou provincial selon les enjeux des projets en cause et la portée de leurs impacts potentiels. Elle est parfois encadrée par des mécanismes formels, comme c’est le cas, au Québec avec les procédures du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Le Québec est une société moderne, développée et démocratique. Le concept même du développement durable qu’elle véhicule fait appel à la conciliation des enjeux économiques, sociaux et environnementaux du développement et tient pour acquis qu’un projet majeur de développement peut difficilement se réaliser s’il est rejeté par une forte majorité de la population. L’acceptabilité sociale est devenue une condition incontournable de réalisation des projets industriels, commerciaux ou agroalimentaires les plus sensibles. Au Québec, la question de l’acceptabilité sociale a été soulevée en matière agricole, à l’égard du développement de la production porcine. On peut aisément prévoir que la population portera une attention tout aussi grande aux autres projets susceptibles d’interférer avec la vie de la communauté rurale ou qui soulèvent des questionnements au regard des avaleurs associées à la conception que se font les citoyens de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Les actions prises à l’égard de la protection de la qualité de l’eau, les préoccupations relatives aux OGM, les valeurs attribuées à la ferme familiale, l’importance accordée à la protection du paysage, le souci de permettre des usages multiples du territoire rural et les problèmes de cohabitation sont autant d’éléments qui incitent  les citoyens à s’intéresser au développement du secteur agricole et agroalimentaire et à prendre part aux débats qui président aux décisions d’autoriser la réalisation des projets. Cet intérêt a tendance à croître et posera un défi grandissant pour la gestion et la règlementation des usages dans les zones agricoles. Au nom de l’acceptabilité sociale, il faut aussi pouvoir expliquer et justifier clairement la nature et le niveau de l’aide financière accordée à la production agricole. En somme, l’agriculture et l’agroalimentaire doivent composer avec les valeurs et les points de vue de l’ensemble des citoyens, tenir compte de l’intérêt que ces derniers portent au développement du secteur et de leur volonté d’être associés aux décisions qui engagent son avenir, globalement et localement. La participation aux audiences de la Commission de nombreux citoyens dont l’activité professionnelle n’est pas associée à l’agriculture ni à l’agroalimentaire témoigne de cet intérêt.

La place du consommateur.

En matière d’alimentation, le consommateur exprime maintenant ses attentes en faveur de produits différenciés et il va là où l’on répond à ses exigences. C’est ainsi que, dans la plupart des pays industrialisés, la demande de produits différenciés est en augmentation constante. Une autre manifestation de l’importance des produits différenciés est la popularité grandissante des produits du terroir et la crédibilité généralement accordée aux appellations réservées. Enfin, bien que les aliments biologiques ne représentent au Canada qu’un faible pourcentage du commerce alimentaire de détail, ils connaissent une croissance annuelle supérieure à 15 % depuis 2001. Le marché des produits biologiques répond aux attentes d’un nombre grandissant de consommateurs. Dans un contexte où une concurrence de plus en plus vive s’exerce sur les produits agricoles standards, la stratégie de plusieurs pays qui ont revu leur politique agricole est de miser sur les marchés de niche et les segments dits de gamme moyenne offrant le meilleur rapport qualité-prix. Une vision d’avenir du secteur agricole et agroalimentaire doit accorder une place aux consommateurs et leur donner des occasions de participer aux débats sur les enjeux de ce secteur.

L’état des finances publiques.

Depuis de nombreuses années, le gouvernement du Québec éprouve des difficultés à équilibrer son budget. L’augmentation des dépenses de santé est en partie responsable de cette situation. Une part considérable de la marge de manœuvre du gouvernement est donc affectée à la santé. On assiste, par voie de conséquence, à une diminution (au mieux à une augmentation jusqu’au niveau de l’inflation) des crédits accordés à la plupart des autres ministères. Compte tenu du vieillissement de la population et du fardeau fiscal des Québécois, parmi les plus élevés en Amérique du Nord, on ne voit guère d’embellie à l’horizon sur le plan des finances publiques. Le secteur agricole et agroalimentaire, comme les autres, devra composer avec une situation où chaque dollar de fonds public devra être affecté là où l’effet multiplicateur et structurant apparaît le plus clair. Tous les gouvernements des pays développés soutiennent leur agriculture. Ceux du Canada et du Québec doivent aussi contribuer à la viabilité d’une agriculture diversifiée et à l’amélioration des conditions économiques et de la qualité de vie de ceux et celles qui ont décidé de vivre de cette profession et des activités qui y sont associées. Dans le contexte budgétaire du Québec, cet appui tangible de l’État au secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire oblige, pour être efficace, à faire les choix les plus judicieux.

Telles sont, sommairement présentées, quelques tendances lourdes susceptibles de marquer de leur influence le parcours d’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois.

Principaux messages adressés à la Commission.

Parmi les observations qui ont été soumises à de nombreuses reprises et par un grand nombre d’organisations, nous présentons ci-dessous les principaux éléments que la Commission a retenus.

À l’égard de la production agricole :

L’attachement des acteurs de la classe agricole et de la population à la ferme familiale à “ dimension humaine ”. Les participants aux audiences ont, dans une forte proportion, vivement souhaité que les fermes québécoises continuent d’appartenir à des familles et d’être gérées par elles.

La protection du territoire agricole. Deux attentes complémentaires ont été exprimées à ce sujet. D’une part, de nombreux intervenants souhaitent une consolidation, voire un renforcement, des dispositions de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles québécois, notamment en milieu périurbain. D’autre part, on souhaite davantage de souplesse dans l’application de cette loi dans la “ zone verte ” afin de faciliter l’implantation dans cette zone de fermes de taille variable et l’exercice d’activités complémentaires à l’agriculture, dans une dynamique de revitalisation des communautés rurales. Les élus municipaux réclament une meilleure harmonisation de la loi protégeant le territoire agricole avec celle qui leur confie des responsabilités en matière d’aménagement et de développement du territoire.

La nette priorité à accorder à la production agricole destinée avant tout au marché du Québec. Pour un grand nombre de participants, la finalité première de l’agriculture est de nourrir la population du Québec. Une forte proportion d’entre eux considère toutefois que l’exercice de cette mission est compatible avec l’exportation de produits agricoles.

Le besoin de diversifier la production, de miser sur la valeur ajoutée, de développer les produits de niche et du terroir de même que la production biologique. Sans négliger pour autant les productions qui constituent l’assise principale du secteur, beaucoup d’intervenants ont fortement suggéré de miser sur des produits diversifiés et de développer de manière complémentaire, une agriculture dit de proximité.

La nécessité d’assurer la relève agricole. Tout en soulignant qu’ils doivent composer avec un environnement économique et social où l’agriculture est moins valorisée, les membres de la relève agricole et leurs proches ont fait part de leurs difficultés à s’installer en agriculture. Parmi les facteurs qui contribuent à ces difficultés, ils ont notamment évoqués : la valeur élevée des fermes potentiellement disponibles pour la relève ; le prix des quotas dans les productions sous gestion de l’offre qui accroît substantiellement la valeur marchande des fermes et par voie de conséquence, le montant du capital à investir, ce qui est prohibitif pour la plupart des aspirants agriculteurs ; le difficile accès au financement pour la relève ; la complexité des démarches administratives et des obstacles posés aux jeunes qui veulent démarrer une ferme de petite taille ou conjuguer l’exploitation d’une ferme et une autre activité professionnelle.

L’Importance stratégique des programmes d’assurance et de stabilisation des revenus. De nombreux participants aux audiences ont rappelé l’importance de protéger les agriculteurs contre les fluctuations importantes des prix et contre les désastres naturels. Ils ont insisté au nom de la viabilité même de l’agriculture sur la nécessité de préserver les régimes d’assurance récolte et d’assurance stabilisation. Plusieurs syndicats de producteurs ont fait valoir que ces régimes étaient d’une importance vitale pour notre agriculture. Sans ces piliers du système d’aide financière, l’agriculture du Québec serait vouée à l’extinction dans la plupart des régions.

L’iniquité résultant de l’exclusion des productions émergentes et de certains types d’établissements agricoles des principaux programmes d’aide financière. Cet élément est perçu comme une lacune majeure des programmes financiers de soutien à la production agricole et comme un manque de reconnaissance de ce type d’agriculture.

La multifonctionnalité de l’agriculture. La réalité voulant que l’agriculture ne joue pas strictement une fonction alimentaire est reconnue par une nette majorité des participants. On s’entend largement sur l’importance de valoriser sa contribution au développement économique et à la revitalisation du milieu rural ainsi que ses fonctions environnementales, patrimoniales et sociales. Il fut beaucoup question de l’occupationdynamique du territoire et de la contribution essentielle de l’agriculture et de l’agroalimentaire à l’atteinte de cet objectif.

Le manque de reconnaissance des agriculteurs. La Commission a reçu des témoignages émouvants de plusieurs producteurs agricoles qui ont souligné les critiques qui leur sont adressées ces dernières années, la difficulté qu’ils rencontrent à faire comprendre les particularités de leur profession à certaines catégories de citoyens et la désaffection qu’ils ressentent de la part de la population qui semble, à leurs yeux, avoir perdu le sens de la mission alimentaire de l’agriculture et de son rôle dans la société. Ils ont dit espérer que les travaux de la Commission permettront de bâtir des ponts entre les agriculteurs et les autres citoyens et que, par le dialogue qui s’ensuivra, le travail des producteurs agricoles soit mieux compris et plus estimé.

La gestion de l’offre. La très grande majorité des participants ont plaidé énergétiquement en faveur de la défense de la gestion de l’offre. La Commission a aussi reçu des témoignages exposant les inconvénients et les limites des systèmes de gestion de l’offre et les besoins pressants d’assouplissement.

La mise en marché collective. Pour la grande majorité des représentants des agriculteurs, la mise en marché collective représente l’aboutissement des efforts pour regrouper les producteurs afin qu’ils puissent établir un véritable rapport de force dans la négociation du prix des produits agricoles. Il s’agit d’un autre pilier du système québécois d’organisation agricole dont les fondements doivent être protégés. Les transformateurs ont déploré la lourdeur du système actuel et la difficulté qu’il démontre à s’adapter à une demande de produits différenciés et ont réclamé l’assouplissement du système de mise en marché collective.

À l’égard de la transformation et de la commercialisation, les points suivants ont été soulignés :

La faible présence d’entreprises de transformation des aliments dans plusieurs régions du Québec, qui sont largement perçues comme l’un des moyens de revitaliser les communautés rurales.

Le développement d’une agriculture de proximité qui emprunterait des circuits courts de distribution pour rejoindre les consommateurs. Les circuits courts le plus souvent notés sont : les marchés publics, les marchands locaux, les comptoirs à la ferme ou au village, les boutiques spécialisées en produits régionaux ainsi que des initiatives comme l’agriculture soutenue par la communauté. De nombreux avantages sont attribués à ce type de circuit de distribution : établissement de liens directs entre le consommateur et l’agriculteur, fraîcheur des produits, faible circulation des produits, économie d’énergie, alternative aux grands réseaux de distribution, meilleurs marges de profit aux producteurs, valorisation des produits biologiques et du terroir, moyen efficace de vente pour les petites entreprises agricoles, etc.

La diversification. En plus de s’appliquer à la production, le virage vers la diversification concerne la mise en marché d’une gamme plus étendue de produits ainsi que les modes d’accès aux produits alimentaires comme des circuits courts de distribution.

L’accès aux tablettes des épiceries. Certains participants ont réclamé une intervention réglementaire du gouvernement afin d’assurer un pourcentage déterminé de produits québécois dans les commerces de détail. La Commission a reçu plusieurs recommandations en faveur d’une politique préférentielle d’achat de produits québécois par les institutions (écoles, hôpitaux, centre de la petite enfance, centres d’hébergement ou centres de détention). Précisons que cette politique vient d’être adoptée en 2020 par le gouvernement du Québec.

L’approche collective. De nombreux participants reconnaissent les bénéfices que le regroupement des producteurs agricoles à engendrer ainsi que le rôle majeur que les coopératives agricoles jouent dans l’agroalimentaire.

À l’égard des attentes des citoyens, les points suivants ont été soulignés :

La responsabilité de tous les acteurs à l’égard du respect strict de l’environnement. Un très large consensus est établi en faveur d’une conformité rigoureuse du secteur agricole et agroalimentaire à des standards environnementaux élevés.

La nécessité d’identifier clairement les produits du Québec et de vérifier le respect de nos normes d’innocuité par les produits importés. Les participants ont réclamé de mettre fin aux fouillis qui caractérise l’étiquetage sur la provenance des produits alimentaires offerts aux consommateurs. Ils ont exprimé leur indignation à l’égard de la présence sur les marchés québécois et canadiens, d’aliments contenant des résidus de produits interdit d’usage au Canada ou des viandes provenant d’animaux se nourrissant de substances bannies ici à cause des risques qu’ils présentent pour la santé.

L’accès à l’information. Plusieurs participants ont signalé l’importance de l’information transmise aux citoyens et aux consommateurs concernant la valeur nutritive des aliments, leur provenance, la présence d’organismes génétiquement modifiés (OGM), les modes de culture ou d’élevage ou certaines caractéristiques plus spécifiques (présence d’allergènes, d’antioxydants).

Les préoccupations pour la santé. Un grand nombre d’interlocuteurs demande au secteur agricole et agroalimentaire québécois d’apporter une réponse dynamique aux attentes de la population en faveur non seulement d’une offre de produits alimentaires de qualité, mais aussi d’une participation proactive à des stratégies plus larges visant l’information et la sensibilisation à une saine alimentation.

Les attentes paradoxales des consommateurs. Certains porte-parole de producteurs agricoles et des transformateurs, entre autres, ont souligné le comportement paradoxal de nombreux consommateurs qui réclament, d’une part, l’imposition de normes environnementales et sociales élevées à la production agricole tout en recherchant souvent, d’autre part, le plus bas prix pour les aliments qu’ils achètent à l’épicerie. On souhaite que les attentes des consommateurs à l’égard d’aliments frais, d’une innocuité sans faille et produits dans des conditions environnementales impeccables, se traduisent par des gestes conséquents au moment de l’achat. Il faudra accepter de payer un peu plus cher un produit d’une qualité supérieure.

À l’égard de la gouvernance, les points suivants ont été soulignés :

La souveraineté alimentaire. Les participants ont exprimé le souhait que le gouvernement du Canada, dans le cadre des accords sur le commerce international, se donne les moyens de développer et de mettre en œuvre au Canada et au Québec, sa propre politique agricole, en prenant appui sur le concept de “ souveraineté alimentaire ”.

Le leaderhip du ministère de l’Agriculture, de Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ). Les acteurs ont déploré l’effritement du MAPAQ au cours des dernières années, sa perte d’expertise, la maigreur de ses budgets et de ses moyens d’action et l’attention disproportionnée qu’il porte au volet économique de sa mission. Plusieurs souhaitent le raffermissement de la capacité de vision du MAPAQ, un engagement plus net de sa part en matière de recherche et d’innovation et une plus grande indépendance à l’égard de certains groupes d’intérêt.

La transparence. Cette préoccupation pour la transparence des organisations agricoles et du gouvernement a été souvent exprimée de pair avec la volonté de nombreux participants de la Commission d’avoir accès à une information plus large et plus objective et de bénéficier d’un dialogue plus ouvert sur plusieurs questions, notamment sur la protection du territoire agricole, l’aménagement du territoire, le développement des communautés rurales, l’état réel de la santé des cours d’eau, la reddition des comptes sur les mesures gouvernementales d’aide à l’agriculture, le syndicalisme agricole et la présence d’OGM ou de pesticides.

Cette brève énumération n’épuise pas, loin de là, l’ensemble des préoccupations ni les multiples nuances et suggestions exprimées lors des audiences de la Commission. Elle permet simplement de rappeler que plusieurs constats repris dans les sujets traités font directement écho aux inquiétudes et aux attentes exprimées lors des audiences.

Une vision d’avenir à partager.

Se rallier à un projet commun.

La Commission juge de la plus haute importance le ralliement des Québécois autour d’une même vision de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Il est essentiel que la société appuie et respecte ceux qui ont la mission de la nourrir. Il importe également de faire connaître le rôle socioéconomique de l’agriculture et sa contribution à la dynamique de l’occupation du territoire. En contrepartie, l’agriculture que l’on pratique au Québec et les entreprises qui y sont associées, en amont et en aval, doivent traduire dans leurs actions les valeurs propres de la société québécoise. Si les Québécois acceptent les fondements du développement durable et s’y conforment, il faut que le secteur agricole et agroalimentaire fasse la démonstration de son concours à l’atteinte de cet objectif et qu’il agisse en conséquence.

La Commission croit fermement qu’il est possible de mobiliser les Québécois autour d’une même compréhension de l’agriculture  au sens large et d’une même vision de son développement. Le ralliement des Québécois à “ leur ” agriculture commande implicitement des efforts concertés et des actions concrètes de la part des quatre grands protagonistes de cette nécessaire mobilisation :

le gouvernement du Québec, qui doit rétablir le leadership qu’il a perdu dans le domaine de l’agriculture et de l’agroalimentaire et recouvrir sa capacité d’innovation et de vision de même que sa faculté de rassembler et de procéder, au besoin, aux grands arbitrages ;

les producteurs et productrices agricoles, qui doivent définitivement prendre la virage du développement durable, s’engager plus avant dans la participation à des démarches de concertation et de dialogue et s’organiser très délibérément pour répondre aux attentes des consommateurs et des citoyens ;

les transformateurs et distributeurs, qui doivent investir dans l’innovation, rendre accessible aux consommateurs d’ici, puis d’ailleurs, une diversité de produits alimentaires de grande qualité qui contribuent à leur santé et offrir une place plus importante aux produits du Québec ;

les consommateurs/citoyens, qui doivent par leurs impôts et par leurs décisions d’achat, apporter leur soutien à l’agriculture d’ici et respecter ceux et celles qui s’emploient à produire les aliments bénéfiques pour leur santé et qui leur procurent un certain plaisir.

La souveraineté alimentaire. 

De nombreux participants aux audiences publiques de la Commission ont plaidé en faveur de l’adoption du concept  de la souveraineté alimentaire comme élément central devant guider l’élaboration de la future politique agricole du Québec. Cependant, la portée de ce concept, les attentes que l’on exprime à l’égard de l’adoption de cette orientation et l’étendue de ce que le Québec pourrait faire ou ne pourrait pas faire en matière d’agriculture dans la foulée de la mise en œuvre du principe de souveraineté alimentaire diffèrent considérablement selon les intervenants. Par delà le dénominateur commun qui s’exprime comme “ le droit des peuples à définir leur propre politique agricole ”, la compréhension du concept de la souveraineté alimentaire par les participants aux audiences est différente à l’égard de trois points majeurs : le niveau des protections à la frontière qui seraient permises, les capacités d’exportation qui s’ensuivraient et la prise en compte des intérêts complémentaires en matière de commerce des produits alimentaires.

Devant autant de divergence en termes d’attentes, il est difficile d’utiliser le concept de souveraineté alimentaire pour rallier la population autour d’une même conception de l’agriculture et de l’agroalimentaire. C’est pourquoi, pour mobiliser les Québécois autour d’une conception de l’agriculture, il faut les inviter à se solidariser autour des valeurs bien cernées et largement partagées. La commission juge donc important d’appuyer des idées fortes associées au concept de souveraineté alimentaire :

le besoin d’une agriculture québécoise robuste et durable ;

l’importance que les gouvernements du Québec et du Canada conservent la plus grande marge de manœuvre possible afin d’élaborer des politiques agricoles qui répondent à notre spécificité et à nos valeurs et de défendre l’intérêt des citoyens ;

la nécessité pour les producteurs agricoles de vivre correctement de l’exercice de leur profession ;

la haute pertinence d’exploiter tout le potentiel de notre patrimoine agricole aux fins de l’alimentation, de l’occupation du territoire et du développement économique ;

la prémisse voulant que la finalité première de l’agriculture soit de produire, en appliquant les principes du développement durable, des aliments de qualité pour la population québécoise ;

la nécessaire solidarité dont le Québec doit faire preuve à l’égard des pays moins développés.

Les attributs de l’agriculture de demain.

Dans le contexte québécois, compte tenu de notre histoire, de notre culture, du climat, de l’état actuel de développement du secteur agricole et agroalimentaire et de nos avantages concurrentiels, la Commission estime que l’agriculture de l’avenir doit :

être multifonctionnelle, c’est-à-dire aller au-delà de son rôle nourricier ;

avoir pour mission première de nourrir les québécois ;

être plurielle par la diversité de ses entreprises et de ses productions ;

reposer sur une culture entrepreneuriale ;

être hautement professionnelle dans ses pratiques ;

épouser le développement durable ;

tirer profit de son plein potentiel.

Voici, présenté ci-dessous, l’essentiel des diverses caractéristiques de l’agriculture de demain retenues par la Commission.

Une agriculture multifonctionnelle. Au Québec, l’agriculture joue quatre rôles déterminants : en plus de contribuer à l’alimentation de la population, elle représente une activité économique et un mode de vie pour les gens qui décident de s’y consacrer, elle constitue un secteur créateur de richesse et d’emplois et elle contribue à l’occupation dynamique du territoire. C’est pourquoi la Commission reconnaît d’emblée le caractère multifonctionnel de l’agriculture,

La mission première de l’agriculture : contribuer à nourrir les québécois. L’agriculture demeure et devrait être perçue avant tout comme un fournisseur de denrées alimentaires de première qualité pour la population du Québec. C’est en s’acquittant de manière convaincante de cette responsabilité qu’elle peut d’autant mieux développer de nouveaux marchés. L’exportation des produits alimentaires, qui est souvent économiquement nécessaire, devient dès lors utile et socialement acceptable.

Une agriculture plurielle. La Commission souscrit à une agriculture plurielle, c’est-à-dire une agriculture diversifiée par la taille de ses installations, par ses méthodes de production et par la gamme de ses produits. Il faut faire cohabiter dans la ruralité québécoise une pluralité de fermes. Il y a d’abord les fermes de taille moyenne qui représentent pour ainsi dire l’établissement agricole type. On devrait aussi y trouver un plus grand nombre d’installations de taille nettement plus petite qui, pour la plupart, se spécialiseraient dans des productions plus artisanales ou des produits de niche. Enfin, il y a de la place pour un nombre plus restreint de fermes de plus grande envergure qui offrent des produits dits de “ commodité ” et, dans certains cas, des produits de spécialité. L’agriculture ainsi diversifiée pourra mieux répondre aux attentes des citoyens du Québec. On estime qu’environ 90 % de la production agricole québécoise est constituée de produits alimentaires non différenciés destinés à une consommation de masse. Cette production constitue l’assise de l’agriculture québécoise et répond aux besoins d’une nette majorité de consommateurs qui cherchent un produit alimentaire de qualité, vendu au meilleur prix. Il faut donc continuer d’appuyer ce type de production. Il importe également de soutenir, de manière plus tangible que nous l’avons fait jusqu’ici, les fermes différentes, qui ont décidé de répondre à l’appel des consommateurs québécois an faveur de produits différenciés à haute qualité nutritive, de mettre en valeur les terroirs, de pousser les spécialités de niche, d’accroître la production biologique, d’étendre les appellations contrôlées, etc. L’accompagnement de cette agriculture dite émergente est requis au nom de l’innovation dont elle fait preuve, de sa contribution à la diversification de la production agricole et du potentiel qu’elle présente pour la revitalisation de plusieurs communautés rurales.  Bref, l’État et la société québécoise devraient appuyer, dans toute sa diversité, une agriculture plurielle constituée de fermes de taille variable et soucieuse de produire, en respectant de hauts standards environnementaux, des aliments de qualité qui sont d’abord destinés aux consommateurs d’ici. Cela paraît constituer pour la Commission les prémisses d’une agriculture moderne, novatrice et entrepreneuriale.

Une agriculture entrepreneuriale. Quelle qu’en soit la taille, une ferme est une entreprise, dans le vrai sens du mot. Le producteur agricole est à la tête d’une exploitation dont le mode d’organisation présente toutes les caractéristiques d’une petite et moyenne entreprise (PME). Soulignons que la valeur des actifs d’une entreprise agricole moyenne au Québec (1,4 million de dollars en 2006) se compare à celle d’un grand nombre de PME. L’agriculteur doit se voir comme un entrepreneur, ce qu’il a toujours été. L’une des grandes qualités des entrepreneurs, quel que soit leur domaine d’activité, est leur capacité de gestion. Cette notion regroupe à la fois des compétences professionnelles et des habiletés particulières. Il s’agit, pour l’essentiel, de la capacité de lire l’environnement dans lequel évolue l’entreprise, d’anticiper les changements susceptibles d’affecter la PME et d’agir de manière proactive afin de saisir les occasions qui semblent se dessiner ou de minimiser l’impact des événements moins favorables. L’entrepreneur est aussi celui qui fait les bons choix dans un univers où il est sollicité de toutes parts. L’entreprenariat, c’est en somme le savoir-faire qui permet de prévoir avec justesse et d’améliorer sans cesse la rentabilité globale d’un établissement par delà les fluctuations conjoncturelles inévitables. Le profil entrepreneurial et les compétences en gestion sont des conditions essentielles  de réussite des entreprises. C’est pourquoi les compétences en gestion doivent occuper une place de plus en plus grande dans les programmes de formation préparant à l’exercice de la profession d’agriculteur et la culture de l’entreprenariat doit être ravivée et valorisée. L’agriculture de demain sera plus que jamais entrepreneuriale.

Une agriculture hautement professionnelle. Le rôle majeur de la science et de la technologie dans le secteur agricole et agroalimentaire est mal connu. Des percées importantes ont été réalisées au cours des dernières décennies, notamment dans l’agronomie, les équipements, la génétique, la santé animale, la préservation des aliments, la transformation alimentaire, le transport et la gestion des stocks et ce, tout au long de la chaîne agroalimentaire. Ces avancées scientifiques et technologiques ont permis d’accroître considérablement les rendements et d’améliorer la qualité de vie des personnes du secteur, tout en exigeant d’elles des compétences professionnelles sans cesse plus étendues. Dans le secteur agroalimentaire comme ailleurs, la technicité est devenue une condition incontournable de production et de rentabilité. C’est par l’innovation et l’amélioration de l’efficacité des moyens de production que les agriculteurs peuvent élever leur niveau de revenu et améliorer leur qualité de vie. La technicité n’est pas une fin en soi et elle n’est pas non plus l’apanage des grands établissements. De nombreux entrepreneurs engagés dans divers projets d’agriculture émergente réclament à juste titre un apport concret de la science et de l’innovation. Qui dit professionnalisation dit savoirs et compétences. Mais la professionnalisation de l’agroalimentaire ne consiste pas uniquement à maîtriser les techniques les plus récentes. Elle permet aussi, et surtout, de raffermir la capacité de faire les meilleurs choix dans un univers qui se complexifie et par rapport à une sollicitation incessante et à une offre considérable d’options de production, d’équipements et de techniques. Cela est particulièrement important dans un contexte où le recours aux technologies s’accroît et pose de nouveaux enjeux. De même, la réussite d’une entreprise agricole résulte largement des compétences en gestion de l’agriculteur. En matière de transformation et de commercialisation, la professionnalisation est aussi une prémisse essentielle à la perception correcte des attentes des consommateurs et au développement des capacités d’innovation qui permettent d’y répondre.

Une agriculture durable. On prête au vocable “ développement durable ” les interprétations les plus diverses. La définition officielle est issue du rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’Organisation des Nations unies “ Notre avenir à tous ”. Il s’agit “ d’un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ”. En appliquant cette définition, reprise dans la Loi sur le développement durable, le gouvernement du Québec vise trois objectifs :

maintenir l’intégrité de l’environnement pour assurer la santé et la sécurité des communautés humaines et des écosystèmes qui entretiennent la vie ;

assurer l’équité sociale pour permettre le plein épanouissement de toutes les femmes et de tous les hommes, l’essor des communautés et le respect de la diversité ;

viser l’efficience économique pour créer une économie innovante et prospère, écologiquement et socialement responsable.

Appliqués à l’agriculture québécoise, les impératifs du développement durable imposent une utilisation appropriée des fertilisants et des pesticides et d’autres pratiques qui préservent la qualité de l’environnement afin que la génération suivante reçoive en héritage un environnement en santé, capable de pérenniser l’agriculture. De même, l’agriculteur doit assurer la préservation des terres de qualité, ce qui requiert un encadrement législatif garantissant la protection des terres agricoles. Grâce à une réglementation environnementale de plus en plus étendue, la Commission est d’avis que le chantier est bien engagé et qu’il s’agit de la parachever, c’est-à-dire de compléter le virage du développement durable. Par ailleurs, les agriculteurs vivent en société et leur travail doit contribuer au développement d’une ruralité dynamique qui entretient des rapports harmonieux avec les divers acteurs économiques et sociaux. C’est ainsi que l’agriculture peut servir de levier au développement d’activités de divers ordres, contribuant à la vitalité des communautés rurales. Ces attentes font notamment appel à des processus davantage participatifs pour la planification de l’aménagement et du développement des territoires. Elles imposent aux résidents ne vivant pas d’agriculture de respecter les spécificités du travail agricole et commandent aux agriculteurs et aux autres acteurs économiques de se soucier des effets de certaines de leurs activités sur la qualité de vie de leurs voisins. Enfin, le développement durable, c’est aussi la viabilité et l’efficience économique de l’ensemble du secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire. L’agriculture se doit en effet d’être rentable. Les préoccupations relatives à la viabilité des établissements et à leur pérennité doivent donc guider les politiques publiques et la conception des programmes d’aide technique et financière. De plus, le secteur agricole et agroalimentaire doit compter sur l’appui des gouvernements en matière de partage des risques, d’aide au développement et d’encadrement règlementaire. Les mesures de soutien de l’État à l’agriculture et à la transformation alimentaire doivent, tout en s’adaptant à la spécificité de ceux-ci, poursuivre sans ambiguïté des objectifs de stimulation d’une agriculture économiquement viable. La viabilité signifie, au-delà des fluctuations conjoncturelles ou des avaries naturelles, la capacité de procurer, de manière durable, un revenu convenable aux exploitants, en rapport avec les investissements et le travail consentis. Nous parlons d’une agriculture entrepreneuriale constituée d’établissements de production et de transformation de tailles fort diverses, qui choisissent de se spécialiser ou de diversifier leurs activités, qui assument leur part de risque, qui tirent profit des innovations et des occasions d’affaires et qui ont la possibilité de croître et de prendre de l’expansion.

Une agriculture qui tire profit de tout son potentiel. Le commerce des produits agricoles est une réalité de longue date. Dès qu’ils ont été capables de dépasser le stade de l’agriculture de survivance, de nombreux pays ont cherché à améliorer leur sort et à relever le niveau de vie de leur population en exportant des produits agricoles vers d’autres régions ou d’autres pays. Le Québec a de toute évidence, le territoire, la qualité des terres, les technologies, le savoir-faire, les fermes, les capacités de transformation et les moyens de produire, dans des conditions impeccables sur le plan environnemental, certaines catégories d’aliments pour une population nettement plus grande que la nôtre. Nous offrons aussi des produits typiques ou particuliers au Québec. Personne ne contestera la pertinence de faire rayonner les produits de l’érable sur les marchés extérieurs. De même, nous produisons un volume de lait de produits laitiers qui dépasse nettement la consommation québécoise ; nous comptons alors sur le marché canadien, dans le cadre du régime de la gestion de l’offre. Bien sûr, la finalité première de l’agriculture n’est pas d’exporter des produits agricoles. D’ailleurs, on connaît un succès sur les marchés extérieurs dans la mesure où on excelle chez soi. C’est d’abord en satisfaisant les clients québécois, qui sont particulièrement exigeants sur le plan de la qualité des aliments et de la rigueur des méthodes de production, que nos entreprises réussissent à accéder  aux plus hauts standards de qualité, à croître et à atteindre une taille importante et un haut niveau d’expertise qui leur permettent de vendre avec profit leurs produits à l’extérieur du Québec et à pénétrer d’autres marchés. Il nous faut contribuer à exprimer ce que nous sommes, ce qui fait notre originalité et prendre appui sur nos valeurs et nos ambitions collectives.

Repères pour une vision mobilisatrice de l’agriculture et de l’agroalimentaire.

Quels devraient être les repères susceptibles de guider l’évolution de l’agriculture et de l’agroalimentaire tout au long d’un cheminement propre à favoriser le ralliement des Québécois et des Québécoises ? Quelles sont, parmi nos forces, celles sur lesquelles nous devrions miser ? Voici, présentées ci-dessous, les propositions formulées par la Commission.

Affirmer notre différence. Les Québécois présentent de nombreux traits distinctifs qui les singularisent, en particulier dans le contexte nord-américain. Cette différence se traduit de multiples façons à l’égard de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Nos fermes sont de plus petite taille, nous pratiquons une agriculture nordique et nous avons un rapport avec la nourriture qui valorise  la gastronomie et le côté festif de l’alimentation. À l’ère du nivellement et de l’uniformisation, nous avons tout intérêt à cultiver notre différence. Misons sur une agriculture nordique à l’image de nos grands espaces et des autres attraits naturels du Québec.  

Stimuler la créativité. Sur les fermes, on voit des manifestations très nettes de la créativité dans les équipements et le matériel agricole, bien adaptés à certaines particularités de l’agriculture d’ici, de même que dans des pratiques et des procédés originaux, inventifs, qui témoignent d’un exceptionnel esprit de débrouillardise. L’expansion considérable qu’ont connue les fromageries artisanales, l’inventivité dont nous faisons preuve dans les méthodes de production et l’essor des produits du terroir au cours des dernières années témoignent de cette créativité. Les défis de demain feront plus que jamais appel à toutes les ressources de la créativité de nos entrepreneurs et ce, tout au long de la chaîne agroalimentaire. Misons sur le talent de nos créateurs qui, en agriculture comme ailleurs, s’illustrent aux quatre coins du monde.

Prendre appui sur la modernité. Dans plusieurs domaines d’activités, nous avons à notre actif des succès scientifiques, technologiques, industriels et artistiques étonnants compte tenu de notre faible population. L’agriculture et l’agroalimentaire valorisent la modernité et participent à cette émulation. Tout en exerçant un jugement critique à l’égard de certaines avancées de la science, les artisans de ce secteur doivent s’engager résolument dans l’innovation et la modernisation de leurs établissements et de leur gestion. C’est la voie qu’empruntent les pays développés qui, en matière agricole, font face aux mêmes défis que nous.

Cultiver l’excellence. Le secteur agricole et agroalimentaire doit tabler sur l’excellence, faire appel au dépassement et se fixer des objectifs exigeants. S’il veut se démarquer, dans un univers où il ne peut remporter la course aux plus bas prix, le secteur agroalimentaire doit relever la barre des exigences de qualité et miser sur l’excellence.

Valoriser l’approche collective. Pour des raisons qui touchent à leur histoire, les Québécois et les Québécoises ont senti le besoin de se regrouper. Les coopératives ont su canaliser cet impératif. Les producteurs agricoles ont beaucoup compté sur cette approche collective et en ont tiré d’indiscutables bénéfices. Cette vision collective, qui doit demeurer compatible avec le développement d’un secteur privé dynamiques, explique aussi la présence plus marquée de l’État québécois dans l’économie, dans l’agroalimentaire en particulier. Sans contester le besoin de revoir certaines modalités de fonctionnement des dispositifs mis en place au nom de cette approche collective, on doit convenir qu’il s’agit d’un important trait distinctif de notre développement économique et que cette approche peut constituer un levier pour l’avenir.

En prenant appui sur ces repères, l’agriculture et l’agroalimentaire devraient progressivement évoluer au cours des prochaines années et tendre vers les points d’arrivée indiqués ci-après. Ce secteur serait donc animé par :

des agriculteurs maîtres de leur art, à la fine pointe des connaissances et du savoir faire :

qui tirent l’essentiel de leurs revenus du marché, tout en pouvant compter sur des programmes de soutien de l’État en cas de désastre naturel ou pour compenser les désavantages associés à une agriculture nordique ;

qui sont attentifs aux attentes changeantes des consommateurs ;

qui, avec le concours des transformateurs et des distributeurs, accroissent significativement la proportion de leurs revenus provenant de la vente de produits différenciés et à haute valeur ajoutée, dont certains auront séduit, par leur originalité et leur qualité, les consommateurs canadiens et étrangers ;

qui respectent intégralement les principes du développement durable ;

des fermes familiales modernes et rentables qui comprennent notamment :

une très forte proportion de fermes de taille moyenne “ à dimension humaine ” ;

un nombre plus élevé qu’aujourd’hui de fermes de petite taille pratiquant, avec des perspectives de croissance, l’agriculture biologique, les productions en émergence et l’agriculture à temps partiel, d’appoint ou de loisir ;

un nombre restreint d’installations de plus grande taille, hautement spécialisée, y compris dans l’agriculture biologique, qui exploitent des créneaux de marché domestiques et internationaux et sont capables de rivaliser avec les concurrents des autres pays ;

des transformateurs :

qui dirigent des entreprises de petite et de moyenne taille présentes dans toutes les régions du Québec, qui font preuve de créativité, convoitent principalement des marchés de niche et se spécialisent dans des produits différenciés destinés à la fois au marché québécois et à l’exportation ;

qui revitalisent les milieux ruraux par leurs investissements et leurs alliances avec les producteurs agricoles et les autres acteurs du développement rural ;

qui gèrent quelques entreprises très novatrices, associées à des organismes de recherche et à des producteurs agricoles, développant de façon transparente et éthique, des produits à très haute valeur ajoutée, issus des biotechnologies et des sciences connexes ;

des distributeurs :

qui sont plus diversifiés, notamment par le développement de marchés publics, de circuits courts de distribution et de réseaux spécialisés offrant des produits québécois régionaux ;

qui recherchent des produits québécois et les rendent disponibles dans les grandes chaînes d’alimentation ;

qui s’assurent de l’innocuité des produits offerts, qui appliquent aux aliments qui viennent de l’étranger les mêmes standards élevés qui satisfont les consommateurs qui ont des exigences particulières ;

qui identifient clairement les produits québécois et canadiens et qui contribuent à offrir aux consommateurs une information compréhensible et adéquate, notamment sur le plan du contenu nutritionnel et des effets sur la santé ;

des citoyens :

qui s’intéressent aux enjeux de l’agriculture et de l’agroalimentaire et qui s’approprient une information adéquate sur la provenance et la qualité nutritive des aliments offerts ;

qui participent aux débats, au sein des instances locales, régionales et nationales de même que dans les coopératives, les entreprises, les syndicats et les autres organismes de la société civile, notamment ceux portant sur l’alimentation et sur les façons de produire et d’acheminer les aliments ; 

qui font acte de solidarité envers les agriculteurs et les transformateurs du Québec, tant pas leurs décisions d’achat que dans leurs prises de position ;

un gouvernement :

qui exerce un leadership nouveau et rassembleur ;

qui facilite l’expression des initiatives diverses et laisse s’épanouir l’inventivité des entrepreneurs ;

qui consolide et clarifie la législation en matière de protection du territoire agricole et facilite une application proactive des pouvoirs locaux et régionaux relatifs à l’aménagement et au développement du territoire ;

qui soutient une infrastructure et des moyens de recherche, de développement et d’innovation et table sur le partenariat avec le secteur agricole et agroalimentaire particulièrement en ces matières ;

qui rend disponible une offre de formation initiale et continue de qualité de même qu’une formation de pointe ;

qui contribue au renforcement des équipes dédiées au transfert des connaissances et des technologies et aux services-conseils aux producteurs et aux transformateurs ;

qui pose les gestes décisifs au moment opportun, permettant d’affronter les menaces qui nous effraient aujourd’hui, de faciliter le choix de nos créneaux porteurs et de développer l’agriculture que nous aurons collectivement décidé de faire et de soutenir chez nous.

Dans la prochaine publication, nous explorerons la signification concrète et la portée réelle de cette vision de l’agriculture et les changements qu’il faut apporter pour que la Québec réussisse cette agriculture durable, dynamique et diversifiée.

Lire la suite : Les changements recommandés par la Commission pour une agriculture durable et en santé.   


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