Les changements recommandés par la Commission pour une agriculture durable et en santé.

Vu l’ampleur du Rapport de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois, nous présenterons que les recommandations concernant la production agricole et l’aide de l’État.

La production agricole québécoise.

En 2006, le portrait des principales productions agricoles du Québec en pourcentage de recette monétaire se présentait comme suit :

Produits animaux               73 %

Lait                                      35 %

Porcs                                   16 %

Volailles, œufs, dindons         11 %

Autres                                  11 %   

Cultures                               27 %

Maïs, oléagineux, céréales    9 %

Cultures maraîchères              8 %

Fleurs et pépinières               5 %

Fruits et autres cultures           3 %

Produits de l’érable                  3 %   

Comme dans les autres pays industrialisés, les entreprises agricoles québécoises se sont agrandies et spécialisées. Le nombre de fermes est passé de 95 777 en 1961 à 30 675 en 2006, alors qu’il était de 155 000 en 1941. Elles se sont modernisées, ont bénéficié d’importants investissements et ont accru considérablement leurs rendements.  Les pourcentages suivants donnent un aperçu de l’évolution de la structure des fermes québécoises au cours des 45 dernières années, soit de 1961 à 2006 :

Nombre de fermes                          – 68 %

Superficie des terres agricoles          – 40 %

Superficie moyenne des fermes        – 88 %

Superficie en culture                       – 8 %

Superficie en culture/ferme              + 268 %

Capital par entreprise                      + 4595 %

Recette monétaires par entreprises + 4535 %

En 2005, 34% des entreprises agricoles affichaient un chiffre d’affaires supérieur à 250 000 $, encaissant à elles seules 80 % des recettes agricoles : ce phénomène peut-être observé dans les autres secteurs d’activité. Par ailleurs, 26% enregistraient un chiffre d’affaires situé entre 100 000 $ et 250 000 $ ; les autres, soit quelque 40 % des entreprises agricoles, se répartissaient comme suit : 10 % touchaient des recettes se situant entre 10 000 $ et 25 000 $ alors qu’elles variaient de 25 000 $ à 50 000 $ pour 15 % d’entres elles et de 50 000 $ à 100 000 $ pour le dernier 15 %.

La production laitière, la production de la volaille et celle des œufs sont assujetties à la “ gestion de l’offre ”, régime de régulation de l’offre sur le marché canadien. Il s’agit, d’une part, de la fixation d’un quota pour chaque production en fonction de la demande et, d’autre part, de l’imposition de tarifs douaniers élevés aux produits importés. En 2006, 46 % des recettes monétaires totales des agriculteurs québécois provenaient des productions sous  gestion de l’offre.

La production agricole québécoise tend à se diversifier, même si elle demeure largement axée sur les produits de grande consommation. La culture de nouveaux fruits (canneberges, bleuet, petits fruits) prend de l’expansion et de nouvelles productions animales se développent (chèvre, grand gibier, canard, lapin). De même, les pratiques culturales et d’élevage changent et l’importance de l’agriculture biologique s’accroît.

Dans l’ensemble, les familles agricoles ont un revenu global correspondant à celui des autres familles québécoises, selon les données du recensement de 2001. Statistique Canada a évalué à 69 577 $ pour l’année 2004 le revenu total moyen des familles agricoles québécoises dont la ferme n’est pas constituée en société. Toutefois, 62 % de ce revenu est produit en dehors de l’agriculture proprement dite (43 200 $). L’importance des revenus tirés d’autres occupations tient au fait que le conjoint de l’agriculteur travaille de plus en plus en dehors de l’entreprise agricole et que les producteurs eux-mêmes touchent des revenus d’un travail à temps partiel à l’extérieur de la ferme ou qui provient d’autres sources (foresterie, pension, placements…). Cette situation n’est pas propre au Québec. En Ontario, les revenus agricoles ne comptent que pour 17 % du revenu des ménages agricoles. Aux États-Unis, selon le United States Department of Agriculture (USDA), la proportion des revenus provenant de l’extérieur s’élevait à 85 % du revenu d’une famille agricole en 2006. 

Enfin, soulignons l’augmentation de la valeur des entreprises agricoles. En 2006, la valeur nette d’une entreprise agricole moyenne s’établissait à 1 039 650 $ (soit le résultat d’un actif moyen de 1 410 612 $ et un passif moyen de 370 962 $) selon l’édition 2007 de l’Enquête financière sur les fermes effectuée par Statistique Canada.

L’état de l‘agriculture actuelle.

À plusieurs égards, la production agricole québécoise est en sérieuse difficulté, voire en crise. Les revenus stagnent ou augmentent à un rythme plus lent que celui que celui des dépenses d’exploitation. La production agricole dépend de plus en plus de l’aide des gouvernements et l’endettement des entreprises agricoles a doublé au cours des dix dernières années. Certaines productions sont systématiquement déficitaires, année après année et l’augmentation de la valeur des quotas pose un grave problème de transfert des fermes à la relève. Les quelques données énumérées ci-dessous, illustrent l’état global de la viabilité de la production agricole au Québec.

30 % des entreprises agricoles ne réussissent pas à couvrir leurs dépenses.

Le ratio d’endettement est passé de 28,4 % en 2001 à 32,2 % en 2005. En comparaison, ce ratio s’élevait à 20,4 % en Ontario et à 11,4 % aux États-Unis en 2005.

En 2004, les paiements faits par les gouvernements aux entreprises agricoles non constituées en société furent en moyenne, deux fois plus élevés que le revenu net tiré de la vente des produits de ces entreprises.

Le Programme québécois d’assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA), a versé des compensations de 5,5 milliards de dollars au cours des dix dernières années aux producteurs agricoles afin de suppléer à la faiblesse des revenus par rapport aux coûts de production.

La Financière agricole du Québec, qui administre les programmes de soutien à l’agriculture et les fonds fiduciaires de l’ASRA accusent un déficit qui devrait atteindre un milliard de dollars en avril 2008.

Ces difficultés persistent même si plus de 40 % de la production agricole québécoise est assujettie à la gestion de l’offre. Dans une large mesure, ce régime est viable grâce à la protection contre la concurrence des produits importés, protection qui se traduit par l’imposition de tarifs douaniers qui vont de 154 % (dindon) à 298,5 % (beurre). Bien sûr, les chiffres globaux et les moyennes cachent de multiples situations. Il existe à l’évidence des entreprises agricoles de diverses tailles qui sont rentables. De même, certaines crises exceptionnelles ont pu déstabiliser momentanément des entreprises viables qui ont la capacité, si elles reçoivent une aide adéquate dans ces situations incontrôlables, de retrouver leur santé financière. Cependant, on aurait tort de minimiser l’ampleur des problèmes structuraux qui affligent la production agricole. Il serait illusoire d’espérer résoudre certains d’entre eux par la simple reconduction des programmes d’aide financière actuels ou par l’accroissement des budgets qu’on y consacre.

L’agriculture actuelle comparée aux caractéristiques de l’agriculture de l’avenir.

Comparons les caractéristiques de la production agricole actuelle par rapport aux attributs souhaités pour l’agriculture québécoise de l’avenir retenus par la Commission, c’est-à-dire qu’elle soit professionnelle, entrepreneuriale, plurielle, multifonctionnelle, durable, qui nourrit d’abord les québécois et qui exploite tout son potentiel.

Professionnelle.

Il n’y a aucun doute que les exigences de l’agriculture d’aujourd’hui imposent un haut niveau de professionnalisme. Les producteurs se doivent d’être des professionnels qui possèdent et gèrent des entreprises en prenant appui sur le savoir, les avancées de la science et les technologies. Cette professionnalisation touche les entreprises de toute taille. Le raffermissement du caractère professionnel de l’agriculture passe ainsi par un relèvement de la formation de base et de la formation continue.

Entrepreneuriale.

Les producteurs agricoles sont à la tête d’une entreprise : ils sont de facto des entrepreneurs. Le professeur Raymond Levallois, de l’université Laval à Québec, a beaucoup étudié la gestion des fermes québécoises et il a observé des lacunes importantes à ce chapitre, notamment que les agriculteurs québécois ont “ une nette tendance à surcapitaliser dans des investissements non productifs (machines et bâtiments), qu’ils éprouvent de la difficulté à transformer des intrants en extrants de façon économique (en 2004, dans au moins 50 % des fermes laitières du Québec, il y avait un gaspillage de moulée) ”. Le professeur Levallois en conclut que “ l’agriculteur québécois est plus technicien que gestionnaire d’entreprise ”.

Plurielle.

À certains égards, l’agriculture actuelle est plurielle. Elle est plurielle en raison de la diversité de la taille des entreprises, de sa production et des recettes générées. Toutefois, sur le plan des politiques agricoles, trois lacunes peuvent être notées au regard du caractère pluriel de l’agriculture québécoise.

Le soutien aux entreprises de petite taille est largement déficient et les entrepreneurs qui veulent démarrer une telle entreprise éprouvent de grandes difficultés à la développer.

Les productions en émergence (biologique, caprine, grands gibiers, petits fruits) peuvent contribuer à la diversification de la production agricole, sont peu soutenues par la recherche, le transfert technologique, les services-conseils, la formation et l’aide financière.

La priorité accordée à la ferme familiale de taille moyenne ne se traduit pas vraiment dans les mesures d’aide financière. Il faudrait favoriser, pour ceux qui le souhaitent, la transition d’une ferme de petite taille à une ferme moyenne, d’une part, et plafonner le montant de l’aide perçue par les très grandes entreprises, d’autre part.

Il faut corriger ces lacunes pour donner à l’agriculture québécoise un caractère nettement pluriel.

Nourrit d’abord les québécois.

En 2006, le Québec vendait, sur les marchés internationaux 18 % de sa production agricole. En ajoutant les ventes faites aux autres provinces canadiennes, on constate que 53 % des recettes agricoles résultent de la vente, sur le marché québécois, des produits transformés. Soulignons que 72 % des recettes agricoles du Québec proviennent de la transformation des produits. Les retombées économiques de la production agricole pour le Québec sont d’autant plus importantes. La Commission est d’avis qu’on peut vraisemblablement faire mieux. Des stratégies qui consistent à développer, tant en production qu’en transformation, des produits correspondant davantage aux attentes des consommateurs peuvent contribuer à accroître la part de marché des produits québécois. Ces stratégies ont trait notamment aux mécanismes de mise en marché, à la transformation alimentaire, à la différenciation des produits, à l’identification de l’origine des produits et à la distribution alimentaire.

Exploite son plein potentiel.

On peut aussi espérer que l’agriculture québécoise pourra mieux exploiter son plein potentiel en s’orientant vers certains créneaux afin d’aller chercher, dans les marchés d’exportation, les bénéfices qui lui permettront d’accélérer son développement. Par exemple, le Québec produit plus de 40 % du lait et des produits laitiers consommés au Canada. C’est en grande partie grâce aux profits tirés des ventes hors Québec que nos entreprises sont capables de mettre au point de nouveaux produits laitiers particulièrement recherchés par les consommateurs québécois.

Multifonctionnelle.

Le Québec n’a pas cherché à tirer profit de la multifonctionnalité de l’agriculture. L’augmentation de la taille des fermes a considérablement réduit le nombre d’entreprises agricoles. La spécialisation de l’agriculture a forcément réduit la polyvalence des fermes. Les activités complémentaires de l’agriculture n’ont pas été très valorisées ou n’ont pas bénéficié d’un appui technique et financier adéquat. Le potentiel de l’agroforesterie n’a pas été pleinement exploité. Des contraintes ont été imposées au développement de l’agrotourisme, notamment en raison d’une interprétation restrictive de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles. On a trop peu encouragé les activités des producteurs-transformateurs. Le secteur de la transformation alimentaire n’a pas bénéficié d’opportunités de développement en région. Et surtout, on n’a pas vraiment géré le milieu rural sur une base territoriale, c’est-à-dire en faisant de l’occupation dynamique du territoire l’objet de ses préoccupations. Une vision multifonctionnelle de l’agriculture commande des politiques et des mesures de soutien qui favorisent les interrelations entre l’agriculture et d’autres activités économiques, récréatives, culturelles et sociales des communautés rurales.

Développement durable.

Dans l’état actuel des choses, l’agriculture québécoise n’a pas complété le virage vers le développement durable à moyen et à long terme. Globalement, sa viabilité économique pose problème. Les pratiques agricoles ne sont pas toujours respectueuses de l’environnement et certains projets soulèvent des problèmes d’acceptabilité sociale. L’agriculture québécoise est évidemment soumise à des facteurs hors de son contrôle et certains facteurs sociaux s’imposent également aux agriculteurs. Certains facteurs internes freinent la capacité des entreprises agricoles de devenir pleinement concurrentielles et rentables. Parmi ces facteurs, notons l’augmentation du prix des quotas, la difficulté de percevoir les signaux du marché, la faible incitation à accroître la productivité, à modifier une partie de la production ou à développer des produits différenciés, la difficulté de se repositionner dans un univers marqué par une grande fragmentation de la demande des consommateurs, la rigidité de certains aspects du système de mise en marché et le manque de concertation au sein de la filière agricole. Le système de gestion de l’offre n’incite pas les producteurs à rechercher, par tous les moyens, à réduire leurs coûts de production. On devrait pourtant s’inquiéter du fait que le prix du lait à la ferme soit deux fois plus élevé au Québec qu’aux États-Unis. Pour une bonne part, les programmes d’aide financière du gouvernement renforcent ces lacunes plutôt que de les corriger. Autant le secteur agricole et agroalimentaire a peu de prise sur son environnement externe, autant sa capacité d’intervention sur les facteurs internes est grande. Selon la Commission, non seulement il faut agir mais il y a urgence d’agir. À cela, il faut ajouter qu’il y a quelques filières qui sont tenues en marge et sous-exploitées. Il faut considérer l’horticulture ornementale comme une composante à part entière du secteur agricole et agroalimentaire et lui accorder le soutien technique et financier qui découle de cette reconnaissance. De même, des stratégies et des plans d’action du gouvernement du Québec en matière de santé et de saine alimentation devraient inciter le secteur agroalimentaire à accroître la production de légumes en serre, en complément de la production maraîchère. Très peu de producteurs biologiques bénéficient d’un soutien financier de l’État québécois. Pourtant, ils pratiquent une agriculture différente qui est de plus en plus valorisée par la société et dont les produits sont recherchés par les consommateurs. On estime que 85 % des produits biologiques vendus au Québec proviennent de l’étranger. Le gouvernement du Québec doit donc appuyer de manière plus tangible la production biologique afin qu’elle puisse occuper la place que la demande des consommateurs justifie amplement. Afin d’épauler la filière biologique, il faut mener une action sur plusieurs plans, notamment sur celui : de l’aide à l’installation en production biologique ; de l’aide à la transition d’une production conventionnelle à la production biologique ; du soutien à la recherche et des services-conseils ; du développement de la transformation des produits biologiques ; de la mise en marché ; des mesures plus énergiques applicables à l’étiquetage des produits biologiques et de la protection de l’appellation qui garantit au consommateur l’authenticité du processus de production biologique.

Le soutien de l’État à l’agriculture québécoise.

Un soutien global significatif.

Tous les pays développés soutiennent leur agriculture par divers moyens. Que ce soit par la réglementation, les tarifs, le soutien des prix ou les aides directes offertes aux producteurs, les gouvernements cherchent à préserver une agriculture viable sur le territoire national. Le Québec ne fait pas exception à la règle. Dans les conditions de nordicité de notre agriculture québécoise, il serait pratiquement impossible de maintenir une production agricole compétitive sans la contribution des gouvernements. À peu près personne ne remet en question la pertinence du soutien de l’État à l’agriculture. Des divergences peuvent se faire jour à propos de l’importance de la contribution gouvernementale, du choix des mesures d’aide et de leur mode de gestion, mais un large consensus prévaut à l’égard de la nécessité d’un appui tangible à l’agriculture d’ici.

Les gouvernements viennent en aide de multiples façons au secteur agricole et agroalimentaire et aux producteurs agricoles eux-mêmes. Notons d’abord les programmes généraux de soutien à la recherche, à l’innovation et à la formation. D’autres programmes, associés plus spécifiquement à l’agriculture, concernent toute la société et ne doivent pas être perçus comme des mesures de soutien. C’est le cas, par exemple, de l’inspection des aliments, de la santé animale, de l’homologation des produits et de l’étiquetage des produits agricoles. Viennent ensuite les paiements directs faits aux agriculteurs. Ils sont pour ainsi dire de deux ordres. En premier lieu, il s’agit de subventions liées à une activité précise (cofinancement d’une structure d’entreposage pour le lisier) ou au caractère particulier de l’activité agricole (remboursement des taxes foncières). En deuxième lieu, des versements sont effectués en vertu de certains programmes d’assurance et de stabilisation du revenu, programmes dont les frais sont partagés par les agriculteurs et les gouvernements.

Selon Statistique Canada, les producteurs agricoles du Québec ont touché des paiements directs de 838 millions de dollars en 2006. À ces montants, il faut ajouter une aide fiscale de 67 millions de dollars du gouvernement du Québec, principalement pour les exemptions sur les gains en capital et le remboursement d’une partie de la taxe sur les carburants. Bref, en 2006, les producteurs agricoles québécois ont touché des aides directes de l’ordre de plus de un milliard de dollars. Les programmes gouvernementaux destinés aux agriculteurs ont augmenté de 248 % au cours des 25 dernières années, soit une croissance annuelle moyenne de 5,1%.

Où se situe l’aide financière à la production agricole québécoise par rapport à celle offerte dans d’autres provinces et d’autres pays ? Le MAPAQ a réalisé en 2007 une analyse de l’intervention gouvernementale dans le secteur agricole et agroalimentaire québécois et ontarien. Il a alors estimé qu’en excluant la gestion de l’offre, si l’on avait établi les paiements directs aux producteurs agricoles du Québec dans la même proportion qu’en Ontario, les producteurs québécois auraient reçu, sur la base des recettes monétaires de l’agriculture, 179 millions de dollars de moins en paiement directs par année durant la période de 2001 à 2005. Et comment se compare-t-on aux autres pays qui, eux aussi, apportent un important soutien à leurs agriculteurs. L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) fournit de nombreuses statistiques sur le soutien offert à l’agriculture par ses 30 pays membres. Elle a mis au point un indice appelé Estimation du soutien au producteur (ESP) qui permet de comparer l’aide globale offerte aux agriculteurs par ces pays développés. L’indice tient compte des toutes les aides directes et indirectes des gouvernements à leur agriculture. Cet outil de mesure a été précisément élaboré pour pouvoir effectuer des comparaisons entre les pays. Si l’on considère la part du soutien des États offert aux agriculteurs en proportion de leurs recettes agricoles brutes, pour la période de 2003-2005, on constate que le niveau de soutien à l’agriculture au Canada est légèrement inférieur à celui de la moyenne des pays de l’OCDE. Ce niveau est plus élevé (20%) que celui des États-Unis (15%) tout en demeurant inférieur à celui des pays européens (35%). Il serait difficile d’établir une estimation du soutien au producteur (ESP) pour le Québec. Notons cependant que l’aide financière sur laquelle peuvent compter les producteurs agricoles québécois est supérieur à celle de leurs homologues canadiens. Bref, l’agriculture québécoise reçoit des gouvernements un soutien qui se compare à celui offert par un grand nombre de pays développés à leur secteur agroalimentaire.

Les principaux programmes d’aide financière applicables au Québec. 

Le Programme canadien de stabilisation du revenu agricole (PCSRA) constitue le premier niveau d’intervention gouvernemental d’amélioration et de stabilisation du revenu des agriculteurs. Il s‘agit d’un programme de type assurance à frais partagés. Le PCSRA est universel : toutes les productions y sont admissibles, bien que certaines restrictions s’appliquent à celles sous gestion de l’offre. L’objectif du programme est d’assurer un revenu relativement stable et adéquat à l’agriculteur, malgré les fluctuations des prix sur les marchés. Le PCSRA, même s’il s’agit d’un programme fédéral, est administré par la Financière agricole du Québec, qui gère la plupart des programmes de prêts, d’assurance et de subventions aux agriculteurs québécois.

Le Programme d’assurance récolte vise à amoindrir les effets des risques naturels et incontrôlables : crue des eaux, sécheresse, excès de vent, ravages causés par les insectes, etc. Le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec assument 60 % des primes. Comme son nom l’indique, il ne touche que les cultures : céréales diverses, fruits, cultures maraîchères, légumes de transformation, miel, lin, pommes de terre. Selon les productions, les primes payées par les agriculteurs dépendent du type de régime et du niveau de couverture d’assurance choisi. En 2005-2006, plus de 13,500 entreprises agricoles québécoises étaient assurées grâce à ce programme, soit 44 % des entreprises. Soulignons que le fonds d’assurance récolte n’a jamais été déficitaire depuis 1988 et qu’il est considéré en équilibre. Ce programme joue un rôle précieux et il doit être maintenu. Le gouvernement fédéral envisage de l’étendre aux productions animales et la Commission l’invite à emprunter cette voie.

Les remises pour impôt foncier constituent un paiement effectué par le gouvernement aux municipalités pour le compte des producteurs agricoles et qui couvre une partie importante du montant des taxes foncières municipales et scolaires. En matière de fiscalité municipale, les machines de production industrielle sont exemptées de l’impôt foncier. Une terre et des bâtiments agricoles peuvent donc être assimilés à des “ outils de production ”, ce qui justifie leur exemption de taxes. Comme il en résulterait un important manque à gagner pour les municipalités, le gouvernement, de longue date, a offert des compensations aux agriculteurs.

Le Programme d’assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA) est de loin le plus important programme d’aide financière du gouvernement du Québec. Ce programme est financé aux 2/3 par le gouvernement et au 1/3 par les producteurs agricoles. En réalité, la contribution du gouvernement est plus élevée puisqu’il assume seul la totalité des frais d’administration de La Financière agricole pour l’ensemble des programmes québécois qu’elle administre. Notons que les productions sous gestion de l’offre, qui bénéficient déjà d’une protection particulière contre la concurrence étrangère, ne sont pas admissibles à l’ASRA.

Le financement agricole.

Les dettes de l’ensemble des producteurs québécois s’élevaient à 10,5 milliards de dollars en 2006. Les banques et les caisses populaires ont consenti des prêts aux agriculteurs pour une valeur de 8,5 milliards de dollars. Près de la moitié du montant de cette dette (4,1 milliards de dollars) fait l’objet d’une garantie de prêt de La Financière agricole du Québec. Il s’agit d’investissements à long terme. Financement agricole Canada octroie aussi des prêts aux producteurs agricoles ; son portefeuille au Québec atteignait 1,1 milliard de dollars en 2006. Enfin, les agriculteurs doivent 668 millions de dollars aux fournisseurs d’intrants.

La financière agricole du Québec est un acteur de premier plan dans ce domaine. Les garanties de prêt qu’elle offre aux institutions prêteuses, dont la limite est de 5 millions de dollars par ferme, constituent une condition souvent déterminante de l’accès au crédit. En 2007, La Financière agricole comptait 15,812 clients bénéficiant de ses programmes de financement, soit plus de la moitié des producteurs agricoles. Malgré les difficultés financières que connaît le secteur depuis quelques années, la proportion d’entreprises qui enregistraient des arrérages de paiement sur les prêts de La Financière agricole se situait à 5,5 % en 2007 et de 4,4 % sur les prêts consentis par Financement agricole Canada. On constate que le nombre annuel moyen de faillites est relativement faible en agriculture. Entre 1992 et 2006, le nombre annuel moyen de faillites d’entreprises agricoles était de 45. Soulignons qu’au Québec, en 2006, on a enregistré 19,672 faillites, tous secteurs confondus.

Les mesures d’aide à la relève agricole.

La Financière agricole du Québec offre à la relève des services-conseils d’analyse financière, une subvention à l’établissement de 20,000 $ à 40,000 $, selon le niveau de formation du candidat et des prêts assortis de conditions avantageuses. En 2007, 355 personnes ont obtenu une aide à l’établissement pour un montant de 9,9 millions de dollars. La Financière agricole leur a en outre accordé des garanties de prêt pour un montant de 89,2 millions de dollars. De plus, 63 nouvelles entreprises ont bénéficié du programme d’aide au démarrage pour un montant total de 870,000 $. Aux yeux d’observateurs de l’extérieur du secteur agricole et agroalimentaire, l’aide offerte à la relève peut sembler très généreuse. Il faut cependant réaliser que l’établissement en agriculture requiert d’importants investissements et que le rendement sur le capital est faible. Les mesures actuelles d’aide financière sont absolument indispensables à la relève agricole. Il faut même chercher à les rendre encore plus accessibles.

La Financière agricole du Québec est, et de loin, la plus importante institution d’aide à la relève agricole. Malgré tout, elle ne fournit du financement de départ qu’à environ 60 % des agriculteurs qui démarrent. En effet, on estime qu’entre 600 et 800 jeunes s’établissent en agriculture chaque année et La Financière agricole offre des subventions et des prêts à environ 410 d’entre eux. Les raisons de cette accessibilité restreinte aux agriculteurs débutants sont multiples : niveau de formation trop faible des jeunes par rapport aux exigences de La Financière agricole, transmission de la ferme au sein de la famille sans besoin d’emprunt, démarrage à très petite échelle ne nécessitant pas d’investissement en capital, financement par une entreprise d’intégration, difficulté de pouvoir offrir des garanties minimales à une institution financière, etc.

En 2006, 33 % des producteurs agricoles du Québec avaient plus de 55 ans et les moins de 40 ans ne représentaient que 15 % des agriculteurs. Selon la Fédération de la relève agricole de l’UPA, il faudrait qu’environ 1,100 jeunes s’établissent en agriculture chaque année pour espérer conserver à moyen et à long terme plus de 30,000 fermes au Québec. Or, le nombre de nouveaux candidats à l’établissement se situe plutôt entre 600 et 800 et il n’augmente pas depuis plusieurs années. L’écart est très significatif. On estime que plus du quart des entreprises qui ont besoin de relève ne trouvent pas, dans la famille immédiate ou apparentée, une personne intéressée à prendre la succession à la ferme. L’importance de la relève non familiale, qui ne compte que pour 10 % des nouveaux établissements en agriculture, sera donc de plus en plus marquée. En effet, 90 % des personnes appartenant à la relève non familiale sont titulaires d’un diplôme d’études collégiales ou universitaires, comparativement à 72 % pour les membres de la relève familiale. 

Des expériences de constitution d’une banque de terres ou de fermes destinées à la relève ont été menées dans diverses régions du Québec et toutes ont été abandonnées, en raison de la complexité de la gestion d’une telle banque foncière. Le problème de la relève agricole peut résider dans la disponibilité de fermes ou dans les règles d’admissibilité de La Financière agricole. Cependant, d’autres facteurs pèsent aussi de tout leur poids, parmi lesquels :

Le prix des fermes. La valeur des actifs d’une ferme moyenne était de 1 400 000 $ en 2006. Ce prix est gonflé par l’augmentation considérable de la valeur des quotas dans les productions sous gestion de l’offre ;

Les investissements à consentir. Il faut en effet cinq dollars d’actifs agricoles pour générer un dollar de revenu brut, alors que le ratio est de l’ordre de 1 : 1 dans l’ensemble du secteur manufacturier ;

Le faible rendement de l’actif, qui limite la capacité d’emprunt ;

Les réticences de certains jeunes à poursuivre des études les préparant à exercer la profession d’agriculteur, ce qui les prive des avantages du programme ;

L’interprétation restrictive donnée à la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, interprétation qui empêche ou complique singulièrement le démarrage d’une entreprise agricole de faible taille ou d’une agriculture différente du modèle dominant ;

La non-admissibilité de la plupart des productions agricoles qui démarrent à des programmes de soutien du revenu ou d’assurance-stabilisation ;

La relative dévalorisation de certains segments de l’agriculture au cours des dernières années et les conditions de travail difficiles associées à la production agricole ;

La perception très négative, au sein de la classe agricole et dans la société, de la formule d’interprétation de certains types de fermes à une entreprise qui fournit des intrants et qui achète généralement les produits, même si 17 % des revenus agricoles proviennent d’entreprises sous contrat d’intégration.

Bref, pour aider la relève, il faut agir sur plusieurs fronts.

Objectifs et dérives de l’Assurance stabilisation des revenus agricoles.

Le Programme d’assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA) vise à garantir aux producteurs un revenu net positif et stable. Une compensation est versée à l’agriculteur lorsque le prix du marché est inférieur au coût de production établi. En ce sens, l’ASRA complète le Programme canadien de stabilisation du revenu agricole. C’est aussi, théoriquement, un régime d’assurance. Les producteurs ont tiré de très grands bénéfices de ce programme qu’ils considèrent comme le programme phare du gouvernement du Québec. Le programme québécois n’est pas universel : il ne s’applique pas à toutes les productions. L’ASRA repose sur un coût de production établi de manière relativement complexe. Il tient notamment compte, par unité de production, des paramètres suivants : les revenus du marché, les frais variables, les frais fixes, l’intérêt sur les emprunts, la rémunération du travail de l’agriculteur et l’amortissement. Entre la nature et les objectifs du programme et son application concrète, un fossé s’est graduellement creusé. Cette situation a été examinée de près par la Commission qui a identifié plusieurs dérives et déficiences importantes à corriger.

Le caractère d’assurance de l’ASRA.

L’ASRA se présente comme un régime d’assurance, mais certaines productions (agneau, veaux d’embouche, de grains et de lait, bouvillons, avoine, orge, blé pour animaux et pour la consommation humaine, maïs-grain) ont donné lieu au versement de compensations pour chacune des 10 dernières années. Dans ces productions, les agriculteurs ne s’assurent pas contre un risque de fluctuation de prix : ils cotisent en fait à un régime de sécurité du revenu et reçoivent chaque année une compensation nettement supérieure à leur contribution propre. Il serait plus juste de parler de subvention dans ces cas. Le Mouvement des caisses Desjardins a rappelé avec à-propos que “ les programmes d’assurance stabilisation ont été conçus pour exercer une compensation dans les années creuses, soit de façon ponctuelle et ce principe doit être préservé. Si la compensation s’exerce chaque année dans une production, il ne s’agit plus à proprement dit de stabilisation, mais d’un programme de soutien ”.

Le programme masque considérablement les signaux du marché. Dans tout autre régime d’assurance, ces situations auraient incité les producteurs à réduire leurs coûts ou à réorienter progressivement leur production. Entre 1986 et 2006, la production de maïs-grain a baissé de 9 % en Ontario (ce qui est normal puisque cette production était déficitaire), maisdans les mêmes conditions de marché, elle a augmenté de 85 % au Québec. Durant la même période, ce fut la même situation pour la production d’agneaux, de vache-veau mais dans des pourcentages différents. Bref, le caractère déficitaire de l’activité couverte par l’ASRA au Québec ne semble pas influer sur le niveau de production. Les agriculteurs Ontariens qui ne bénéficient pas d’un tel régime, manifestent davantage de sensibilité à l’égard de l’évolution des prix.

Les coûts de production.

En 1975, un nouveau concept a été introduit, soit l’établissement d’un coût de production qui permet au producteur de percevoir un revenu à 90 % de celui d’un ouvrier spécialisé Québécois. Le “ revenu stabilisé ” est établi pour chacune des productions à partir d’une enquête faisant la moyenne des coûts des entreprises spécialisées dans cette production. Comme les enquêtes sur les coûts sont complexes et coûtent cher, elles ne sont réalisées qu’à des intervalles de 5 à 10 ans. Cette démarche d’estimation des coûts de production et son application dans le régime de l’ASRA comporte toutefois des déficiences majeures. C’est ainsi que les coûts de production sont indexés entre deux enquêtes, mais que les rendements demeurent fixes. Par exemple, les rendements utilisés pour la production de porcelets pendant la période de 1983 à 2003, n’ont été révisés qu’à deux reprises. Si l’on avait ajusté la productivité par truie chaque année entre 1997 et 2003, l’ASRA aurait épargné 161 millions de dollars. Il faut, dans un premier temps, corriger ces déficiences parce que les paiements versés en trop drainent inutilement des ressources financières au-delà des objectifs de stabilisation des revenus agricoles, alors que d’autres besoins criants du secteur ne sont pas satisfaits.

Un programme qui contribue à accentuer les problèmes environnementaux.

Plusieurs auteurs ont établi un lien entre l’ASRA et le recours plus soutenu à des pratiques comme l’intensification de la production et la réduction de la fréquence de rotation des cultures, qui contribuent à la détérioration de l’environnement et de la qualité des sols et de l’eau. D’une certaine manière, l’assurance stabilisation oriente le choix de l’agriculteur qui est fortement incité à se concentrer sur les productions “ stabilisées ” où les risques sont assumés aux 2/3 par le gouvernement. Ils sont donc appelés à faire le choix d’une spécialisation accrue qui est souvent contraire à l’adoption de pratiques ayant des effets moins perturbateurs sur l’environnement. La Chaire de recherche du Canada en éducation relative à l’environnement soutient qu’un programme comme l’ASRA “ nuit à l’adoption de pratiques culturales ou d’élevage plus environnementales et limitent les choix de cultures ou d’élevage ”.

Un programme qui crée une iniquité entre les productions.

L’une des principales lacunes de l’ASRA tient au fait que le régime ne bénéficie qu’à 17 productions animales et végétales admissibles. Plusieurs porte-parole d’autres productions réclament leur admissibilité au régime au nom de la stricte équité. Les producteurs de légumes, de sirop d’érable, de fruits et ceux en horticulture ornementales sont au cœur d’une production dynamique, importante et hautement exposée aux risques sur le plan de la stabilisation du revenu. Pour la Commission, il est tout à fait inéquitable de ne pas les rendre admissibles au plus important programme québécois de soutien à l’agriculture. La même remarque vaut pour les productions à faible volume et les productions en émergence, qui sont largement laissées pour compte.

Un régime qui n’encourage pas l’amélioration.

Il serait tout à fait excessif de soutenir qu’avec un régime comme l’ASRA, les producteurs agricoles ne se préoccupent pas de la rentabilité de leur entreprise. Par contre, comme le programme compense les pertes de revenu et que le gros de la facture est assumé par le gouvernement, on ressent moins d’incitation à redresser des situations critiques pour ce qui est de la viabilité financière. La coopérative Purdel a soutenu que “ l’État pourrait continuer d’intervenir par ses programmes d’assurance stabilisation, mais que les fermes devront démontrer leur adhésion à un programme d’amélioration continue pour bénéficier de l’ASRA. Cette obligation favoriserait la mise en place de méthodes permettant une plus grande efficacité ”. Le syndicat des producteurs ovins du Bas-Saint-Laurent suggère que “ le modèle de l’ASRA tienne compte de l’efficacité des entreprises au lieu de leur taille ”.

On aurait pu s’assurer que l’ASRA incite davantage à l’amélioration de la productivité en établissant les coûts de production à partir d’un modèle qui n’aurait pas tenu compte des entreprises les moins performantes. On demanderait en somme à toutes les entreprises de s’améliorer plutôt que de se fier sur les rendements de l’ensemble, pour établir une sorte de zone de confort. Le régime deviendrait un peu plus exigeant au lieu de placer délibérément la barre à un niveau trop bas en tenant compte des coûts de production des fermes les moins efficaces. Soulignons, que dans un modèle où les données proviendraient des fermes les plus performantes, les installations seraient de toutes tailles. On pourrait aussi concevoir des mesures complémentaires d’accompagnement des entreprises qui affichent les plus faibles rendements. En ce sens, la coopérative agricole Comax, tout en proposant le maintien des programmes de stabilisation des revenus, reconnaît que “ l’accent doit être mis sur l’amélioration de l’efficacité des secteurs de production ”. Le MAPAQ a estimé que si les compensations avaient été établies en tenant compte de la moyenne de 75 % des entreprises les plus performantes, les producteurs de porcs à l’engrais et de porcelets auraient reçu respectivement, en 2002-2003, 36,6 millions de dollars et 51,8 millions de dollars de moins que le montant des compensations perçues.

Une donnée plus importante encore concerne les entreprises qui bénéficient d’économies d’échelle ou d’autres conditions particulièrement favorables. Par exemple, en 2003, les 101 plus grandes entreprises de production de porcs ont reçu une compensation qui dépassait d’au moins 200 000 $ ses besoins de stabilisation du revenu en présumant qu’elles se situaient parmi les entreprises les plus performantes, ce qui est généralement le cas des grands élevages porcins. Autrement dit, ces grandes entreprises ont simplement profité de la faible productivité des entreprises les moins performantes et ont obtenu une aide plus élevée que nécessaire. Quant aux autres productions, selon les estimations faites pour le compte de la Commission, le calcul des compensations sur la base de 75 % des entreprises les plus performantes réduirait en moyenne de 4 % le revenu stabilisé, ce qui représenterait une économie de l’ordre de 68 millions de dollars. En adoptant une mesure d’efficacité, on pourrait, avec une marge de manœuvre de plus de 150 millions de dollars d’économie, réduire la précarité financière de l’ASRA et aider les agriculteurs qui en ont vraiment besoin.

Des compensations versées dans une forte proportion aux grandes entreprises.

Des données de La Financière agricole du Québec montrent que pour certaines productions assujetties à l’ASRA, ce sont les grandes entreprises qui tirent profit de ce régime et drainent un part significative de ses ressources. Par exemple, 8 % du total des entreprises de production de bouvillons ont perçu en 2003, 62,7 % des compensations versées à cette production, pour un montant moyen de 441 489 $ par ferme. Les étudiants de la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval suggèrent “ qu’un modèle dégressif aux producteurs en fonction de l’expérience (nombre d’années) et de la taille de l’entreprise pourrait servir de principe de base à la réduction graduelle du budget de l’ASRA ”.

Des bénéfices inégalement répartis entre les régions.

L’aide de l’ASRA est uniformément versée par unité de production, partout au Québec, sans égards aux caractéristiques biophysiques du milieu. On peut raisonnablement considérer que certaines caractéristiques varient d’une région à l’autre et influent sur le coût de production. De plus, en rendant certaines productions admissibles à l’ASRA et en écartant les autres, on cible indirectement certaines régions parce que les diverses productions ne sont pas réparties uniformément sur le territoire québécois. Plus importante encore est la concentration des compensations du programme dans certaines régions agricoles du Québec, ce qui soulève des interrogations. C’est ainsi qu’en 2006, trois régions ont reçu 64 % des compensations de l’ASRA. Ce n’est pas étonnant puisque l’ASRA verse des compensations en fonction du type et du volume de production. Il ne saurait être question de fixer un pourcentage prédéterminé de ce programme par région administrative, mais le constat fait réfléchir.

L’explosion des coûts.

L’ASRA, comme tout régime d’assurance, doit maintenir des fonds équilibrés. Un évènement extraordinaire peut causer un déficit momentané, mais les administrateurs du régime voient à ce que l’équilibre soit rapidement rétabli. La situation de La Financière agricole du Québec, qui administre le régime, est hautement préoccupante. Le montant des compensations est passé de 225 à 782 millions de dollars en 4 ans. Le déficit actuariel des fonds assurés atteint maintenant 606 millions de dollars. Le déficit cumulatif des opérations de la société d’État s’établi à 342 millions de dollars. Il faut reconnaître que les producteurs ont été frappés par la crise de la vache folle en 2003 et par celle du circovirus en 2005 dans la production porcine. L’appréciation du dollar canadien a également affecté les revenus des producteurs agricoles.

Cependant, le problème n’est pas uniquement causé par les aléas de la conjoncture. Le MAPAQ a comparé le soutien accordé aux producteurs agricoles québécois en vertu de l’ASRA à l’aide offerte aux agriculteurs ontariens dans les mêmes productions. Le Ministère conclut, que 69,5 % de l’aide offerte aux producteurs québécois  de bouvillons entre 2000 et 2004 est structurelle, autrement dit qu’elle n’est pas liée à une crise conjoncturelle passagère. Ce pourcentage de l’aide structurelle est de 47,6 % dans le porc, de 55,8 % dans le porcelet et de 72, 8 % dans le veau de grain et le veau d’embouche. Bref, nous ne sommes plus dans un régime d’assurance, mais bien dans un programme de soutien du revenu agricole. La part du gouvernement du Québec dans l’assurance stabilisation des revenus a considérablement augmenté au cours des dernières années pour atteindre plus de 500 millions de dollars en 2006-2007. Cette contribution du gouvernement à La Financière agricole du Québec, représente les 2/3 des compensations versées. Il faudrait faire preuve de grand optimisme pour espérer que ces déficits puissent se résorber dans un proche avenir.

La réforme du soutien financier à l’agriculture.

La Commission tient d’emblée à affirmer que l’aide des gouvernements est indispensable au maintien et au développement de l’agriculture au Québec. Elle ne propose aucunement de réduire le niveau actuel de l’aide financière à la production agricole. La Commission souscrit aux objectifs de stabilisation des revenus agricoles et d’assurance contre les risques inhérents à la pratique agricole. Elle note aussi que, dans plusieurs domaines, l’agriculture québécoise est structurellement moins compétitive, compte tenu du climat, des conditions de travail, des régimes sociaux et de la réglementation environnementale. La Commission constate cependant que la conception et la gestion des programmes actuels d’aide aux producteurs agricoles conduisent à une impasse qui risque d’être préjudiciable à l’ensemble du secteur agricole et agroalimentaire. La Commission juge urgent de corriger les dérives du régime de l’ASRA de manière à le recentrer sur ses objectifs fondamentaux d’origine. Les propositions que la Commission formule visent à offrir à l’ensemble des producteurs une aide correspondante à leur désir de travailler à une agriculture viable, correspondant à notre spécificité, dans des conditions économiques comparables à celles des autres entrepreneurs. Il s’agit, en somme, d’être plus efficace et plus équitable à la fois. La Commission est consciente que les agriculteurs ont établi le plan d’affaires et le financement de leur entreprise sur la base des régimes actuels et en escomptant à long terme des prix garantis. Tout changement significatif apporté à ces programmes doit donc comporter une importante phase de transition afin de permettre aux producteurs agricoles qui en auront besoin, de s’adapter à un nouveau contexte sans subir de stress financier excessif.

Les paramètres suivants ont guidé la Commission dans la formulation de ses propositions relatives à la révision des programmes de soutien financier à l’agriculture :

une contribution financière fédérale qui soit la plus significative et la plus étendue possible sur le plan de la stabilisation des revenus et des interventions en cas de catastrophes ;

une aide financière complémentaire du gouvernement eu Québec qui tient compte de la nordicité de notre agriculture et de la volonté de porter davantage attention à la protection de l’environnement ;

l’admissibilité de toutes les productions à l’aide financière ;

la modulation des mesures afin de tenir compte des particularités régionales et de certains besoins environnementaux ;

un soutien aux producteurs en tant qu’entrepreneurs ;

des mesures qui s’inscrivent dans la perspective du développement durable.

Une réforme en quatre volets.

La réforme proposée du soutien financier du gouvernement à la production agricole comporte 4 volets :

Un recours systématique à la nouvelle version du Programme canadien de stabilisation du revenu agricole ;

Un resserrement de la gestion du Programme d’assurance stabilisation des revenus agricoles et sa transformation en un programme de soutien à l’entreprise agricole sur une période de cinq à dix ans ;

L’implantation immédiate d’un nouveau programme de soutien à l’entreprise agricole pour les productions qui ne sont pas couvertes par l’ASRA ;

La mise en place d’un programme d’aide à la transition pour les agriculteurs intéressés à revoir leur mode de production ou à réorienter leur production.

Voyons la signification concrète et la portée réelle de ces quatre volets de la réforme proposée par la Commission.

L’aide fédérale : premier niveau de protection.

En 2007, le gouvernement fédéral a conclu avec les gouvernements provinciaux et territoriaux une entente visant à revoir le PCSRA. Ce dernier a été remplacé par deux programmes  principaux appelés respectivement Agri-investissement et Agri-stabilité.

Le programme Agri-investissement offre une couverture contre de légères baisses de revenu en permettant au producteur de mettre une partie de ses revenus de côté lorsque les conditions économiques sont favorables afin de pouvoir retirer des compensations lorsque les conditions du marché ou les rendements sont mauvais. Pour plus de détails, consultez le manuel du programme Agi-investissement.

D’autre part, tout comme le PCSRA, le programme Agri-stabilité comblera en général, une partie de l’écart entre la marge de production de l’année et la marge de référence qui ne sera pas couverte par Agri-investissement. Pour plus de détails, consultez le résumé du programme Agri-stabilité. Ce volet de l’aide gouvernementale est fondamental. En raison de circonstances exceptionnelles, qui débordent le cadre normal des risques assurables, la production agricole et la transformation alimentaire peuvent subir des préjudices très graves. Les agriculteurs doivent pouvoir compter sur des dédommagements à la hauteur des pertes occasionnées en pareilles circonstances. Les gouvernements sont incontestablement ceux qui sont le mieux placé pour apporter cette aide de secours.

Le resserrement des règles d’admissibilité à l’ASRA.

En attendant l’évolution de l’ASRA vers un programme mieux adapté aux objectifs d’une agriculture durable, il est urgent de réaligner l’assurance stabilisation des revenus agricoles sur son objectif de départ, c’est-à-dire offrir aux producteurs  une juste stabilisation de leur revenu. Les correctifs visent à éviter la “ surcompensation ” observée dans certaines productions, ce qui profite particulièrement aux plus grosses entreprises de ces filières. Soulignons que les économies entraînées par le resserrement des critères d’accès et de gestion de l’ARA devraient être entièrement réorientées vers l’aide apportée aux producteurs agricoles. Ces réaménagements auraient pour effet de rendre nettement plus équitable et plus efficace l’aide financière du gouvernement du Québec aux agriculteurs.

Pour ce faire, le gouvernement du Québec devrait ajuster certains paramètres de l’ASRA. Trois changements  devraient être apportés :

indexer chaque année, à la fois les coûts de production et les rendements. Il s’agit d’éliminer la distorsion qui se crée et s’amplifie avec le temps, puisque les enquêtes sur ces coûts ne sont réalisées que sur un intervalle de 5 à 15 ans. Les coûts de production sont ajustés chaque année, mais pas les rendements ;

fixer les coûts de production sur la moyenne de 75 % des entreprises les plus performantes. Cette mesure est essentielle parce qu’elle élimine les nombreux cas de surcompensation, car dans le système actuel, les entreprises les plus performantes reçoivent un montant nettement plus élevé que leurs besoins réels de stabilisation du revenu. Le dysfonctionnement actuel profite principalement aux grandes entreprises de production de porcelets, de porcs à l’engrais, de maïs-grain et de veaux d’embouche. Cette mesure devrait être assortie d’un accompagnement personnalisé en matière de gestion et d’agroenvironnement, accompagnement qui serait offert aux entreprises dont les coûts de production sont les plus élevés ou les rendements les plus bas ;

plafonner le niveau de contribution et de compensation de l’ASRA par ferme à un montant de l’ordre de 150 000 $ par année. Si l’on avait appliqué cette limite maximale de compensation par ferme au cours des dernières années, on aurait pu redistribuer à d’autres producteurs agricoles un montant annuel de l’ordre de 100 millions de dollars.

L’évolution de l’ASRA vers un paiement à l’entreprise agricole.

Tous les programmes de soutien à la production ou qui offrent une garantie de prix ont illustré leurs limites. Ils incitent les agriculteurs à continuer de produire même lorsque les conditions du marché sont nettement défavorables. Ils conduisent à la surproduction, encourageant des pratiques qui causent souvent d’importants problèmes environnementaux et ils ne servent pas à améliorer significativement le revenu des agriculteurs. Les pays développés ont presque tous révisé les programmes de ce genre. Ils privilégient nettement des mesures qui visent à stabiliser le revenu global des entreprises, sans égards au type de production. L’Union européenne et la Suisse se sont engagées dans cette voie depuis quelques années. Les nouveaux programmes de soutien  visent à améliorer la capacité concurrentielle de l’agriculture. Ils encouragent aussi la production de biens et de services environnementaux ou l’atteinte d’objectifs sociétaux qui vont au-delà de la fonction productive principale de l’agriculture.

La Commission suggère donc de faire évoluer l’ASRA vers le soutien à l’entreprise agricole. Il s’agirait d’un programme complémentaire qui s’ajouterait au programme fédéral de soutien du revenu agricole. La Commission pose le principe selon lequel le montant consacré à ce nouveau programme correspondrait au budget annuel moyen qu’a consacré le gouvernement du Québec à l’ASRA au cours des cinq dernières années.

Ce nouveau programme viserait les objectifs suivants :

accorder aux agriculteurs québécois une compensation pour certains coûts associés au caractère nordique de notre agriculture et pour des contraintes de nature environnementale et sociale que les agriculteurs doivent respecter et que le marché peut difficilement reconnaître ;

inciter les producteurs à adopter les meilleures pratiques de culture et d’élevage, tant sur le plan du respect de l’environnement que la viabilité économique de leur entreprise ;

laisser à l’agriculteur la liberté de choisir les productions qui lui paraissent les plus appropriées à sa situation.

Le programme de soutien à l’entreprise agricole prendrait la forme d’un paiement annuel stable et prévisible qui permettrait à l’agriculteur de planifier à long terme ses choix de production et ses investissements. Le programme serait entièrement financé par le gouvernement puisqu’il accorderait chaque année une aide financière qui contrebalancerait les conditions particulières de la pratique agricole du Québec.

Le programme aurait les caractéristiques suivantes :

Il serait universel : toutes les productions seraient admissibles ;

Il serait écoconditionnel : il inclurait une prémisse associée au respect des normes environnementales par le producteur agricole ;

Il serait géré par La Financière agricole du Québec.

L’aide financière de soutien à l’entreprise agricole pourrait d’abord se traduire par un “ soutien de base ” offert à l’ensemble des producteurs, sauf à ceux qui ont des productions sous gestion de l’offre, jusqu’à un maximum de 150 000 $ par ferme par année.

Ce paiement direct annuel serait établi sur deux bases :

un premier montant correspondant à 10 % des ventes nettes reconnues, qui s’appliquerait aux premiers 50 000 $ de ventes ;

un montant complémentaire, établi sur la base de la production historique de chaque ferme, qui tiendrait compte de critères comme les superficies cultivées ou le nombre d’animaux élevés.

Ce montant serait versé chaque année, tant que le producteur demeurerait en agriculture et serait indépendant du type de production et de la quantité produite.

À ce paiement direct de base pourrait s’ajouter un “ paiement modulé ” en fonction :

des caractéristiques biophysiques et des conditions climatiques qui rendent plus difficile l’agriculture dans certaines zones agricoles particulières. Il s’agirait d’offrir une aide plus élevée aux agriculteurs situés dans des zones où les rendements sont moins élevés ou encore où les coûts de production sont plus élevés ;

des pratiques qui donnent des résultats pour ce qui est de leur effet bénéfique sur le milieu biophysique, effet allant au-delà de l’écoconditionnalité (semis direct, culture biologique…). Ce volet de la modulation se matérialiserait par un montant forfaitaire par hectare cultivé selon ces pratiques et qui serait limité à un certain nombre d’années ;

de la production de biens environnementaux spécifiques, compensés en proportion des pertes de revenus occasionnées ou d’investissements réaliser pour les produire (bande riveraine au-delà de la norme prescrite, protection d’un boisé, d’une source d’eau potable, d’un milieu humide ou d’une aire présentant un intérêt écologique particulier…).

Les avantages du programme de soutien à l’entreprise agricole.

Quels seraient les avantages de cette transformation de L’ASRA en un programme de paiement direct à l’entreprise agricole ?

En somme, le nouveau programme :

compenserait les agriculteurs québécois pour les inconvénients d’une agriculture nordique ;

serait beaucoup plus équitable pour l’ensemble des agriculteurs québécois parce qu’universel ;

constituerait un appui très important pour la relève parce que les nouveaux producteurs agricoles pourraient toucher des revenus de soutien dès les premières années, quelle que soit la taille de leur entreprise, ce qui est à peu près impossible présentement ;

tiendrait compte des conditions variables de la production agricole dans diverses régions, offrant un appui aux agriculteurs qui ne sont pas situés sur les meilleures terres du Québec, mais qui ont néanmoins la volonté de gagner leur vie en pratiquant l’agriculture ;

inciterait les producteurs à améliorer l’efficacité de leur entreprise parce que les gains additionnels obtenus par la réduction des coûts de production ou l’augmentation des rendements se traduiraient par un accroissement du bénéfice de l’entreprise sans que les paiements obtenus du gouvernement ne soient affectés ;

ferait appel à la culture entrepreneuriale de l’agriculteur et mettrait à profit ses initiatives et son innovation ;

favoriserait les pratiques agronomiques optimales adaptées à chaque ferme telles que la rotation des cultures parce que toutes les productions seraient traitées sur le même pied ;

donnerait à l’agriculteur le libre choix des cultures et des élevages, favorisant la pluralité de l’agriculture québécoise ;

soutiendrait adéquatement les producteurs pour l’adoption de meilleures pratiques environnementales et pour la réalisation de biens environnementaux ;

serait complémentaire par rapport à l’assurance récolte et au programme fédéral de stabilisation des prix  de même qu’à son éventuelle intervention en cas de catastrophe.

Mise en place d’une aide particulière à la transition.

Les pays de l’Union européenne et la Suisse se sont donné une période de 8 à 12 ans pour parvenir à modifier leurs programmes de soutien à la production agricole ou de stabilisation des revenus par un paiement annuel aux agriculteurs. L’agriculture étant une activité de moyen et de long terme nécessitant des investissements importants, il faut par conséquent accorder des périodes adéquates de transition lorsqu’on apporte des modifications de fond à certaines mesures de soutien à la production. De plus, il est essentiel d’offrir aux agriculteurs qui seraient les plus affectés des moyens concrets de s’adapter à la nouvelle réalité.

La Commission juge donc de la plus haute importance l’instauration d’un programme d’aide à la transition. Pendant la phase de transition, il faudrait refuser toute augmentation d’unités assurées et exclure de l’ASRA l’admission de nouvelles entreprises. De plus, le gouvernement devrait réduire graduellement le montant des cotisations des producteurs et celui des compensations et convenir du moment où les producteurs couverts par l’ASRA deviendraient également admissibles au nouveau programme de soutien à l’entreprise agricole. Enfin, le gouvernement devrait implanter une aide particulière à la transition. Une telle aide s’adresserait principalement aux agriculteurs qui auraient à s’adapter à ce nouveau contexte. Certains producteurs agricoles ont reçu, année après année, des montants significatifs de l’actuel régime d’assurance stabilisation des revenus. Comme ils devront évaluer le nouvel environnement, il faudra leur offrir, au besoin, les modes d’accompagnement et de soutien financier qui leur permettront de s’adapter à la situation. L’aide particulière à la transition serait conçue avant tout pour les agriculteurs intéressés à revoir leur mode de production ou à réorienter leur production. Elle serait également offerte à des coopératives agricoles ou à des regroupements de producteurs agricoles mis sur pied dans le but de partager certains coûts associés à la production, à la transformation à la ferme ou à la commercialisation. L’aide à la transition pourrait aussi bénéficier, dans des situations particulières, à des organismes régionaux qui l’appliqueraient à un projet permettant de viabiliser l’agriculture régionale. 

Les situations de transition qui seraient couvertes par l’aide particulière à la transition comprendraient :

la réorganisation de la production afin d’en réduire les coûts ou d’améliorer les rendements ;

la conversion à la production biologique ;

la mise sur pied d’une activité complémentaire de transformation à la ferme ;

la mise au point d’un produit différencié ;

le développement d’une production qui compléterait la production principale afin de viabiliser l’entreprise agricole ;

le changement de production ;

le financement d’une infrastructure nécessaire à la viabilité de l’agriculture d’une région dont la rentabilité apparaîtrait réaliste (un abattoir, par exemple).

Le prix et la gestion des quotas de production.

La gestion de l’offre a été mise en place au Canada au début des années 70 dans 5 productions animales : le lait, le dindon, le poulet, l’œuf en coquille et l’œuf d’incubation. Au moment d’introduire ce mode de régulation de l’offre des produits alimentaires visés, le marché canadien était périodiquement affecté par une surabondance de produits agricoles, ce qui provoquait une baisse des prix payés aux producteurs. Afin d’assurer la survie des entreprises agricoles, le gouvernement fédéral, rachetait les surplus, ce qui s’avérait de plus en plus coûteux. La gestion de l’offre consiste donc à adapter les niveaux de production aux besoins du marché. Il s’agit d’une autre façon de stabiliser les revenus agricoles en exerçant cette fois un certain contrôle sur le marché et, par voie de conséquence, sur le prix des produits agricoles. Deux conditions essentielles doivent être réunies pour assurer une véritable gestion de l’offre. En premier lieu, on doit instaurer une discipline chez les producteurs afin d’éviter la surproduction. C’est ainsi que des quotas de production ont été fixés à l’échelle canadienne, puis répartis entre les provinces et finalement attribués à chacun des producteurs. Ces derniers doivent respecter leur quota de production, à défaut de quoi ils subissent des pénalités. L’autre instrument de la gestion de l’offre est constitué des tarifs douaniers aux produits importés. Il ne servirait à rien de contrôler la production intérieure si l’offre de produits pouvait être déstabilisée par les importations. Ces tarifs douaniers sont actuellement de 299 % pour le beurre, de 246 % pour le fromage, de 155 % pour le dindon entier, de 238 % pour le poulet entier, de 164 % pour les œufs en coquille et de 238 % pour les œufs d’incubation.

Pour la majorité des participants aux audiences de la Commission, le régime de la gestion de l’offre comporte de nets avantages. L’idée que l’on puisse ajuster les volumes de production en fonction de la demande de produits agricoles à l’intérieur d’un pays est certainement logique et défendable. On observe cependant qu’un tel régime est remis en question par un grand nombre de pays, principalement en raison des tarifs élevés imposés aux produits importés et qui représentent pour les pays exportateurs d’importantes barrières au commerce. Les gouvernements se sont engagés à défendre ce système et ils s’y emploient comme on a pu le constater lors de la renégociation de l’ALENA.  Quelque soit le sort réservé à la gestion de l’offre. L’ensemble du secteur a avantage à réaliser des gains de productivité, à poursuivre l’amélioration de la gestion, à faire preuve d’innovation dans la production et la transformation et à différencier les produits afin de pouvoir mieux livrer concurrence. Les agriculteurs québécois devraient pouvoir être compétitifs avec les producteurs des pays développés dont les coûts environnementaux et sociaux se comparent aux nôtres. Les efforts d’accroissement de la productivité qui rendrait le secteur agricole et agroalimentaire plus robuste lui permettraient de réagir dans le cas où les tarifs seraient abaissés. Si la protection aux frontières assurée par la gestion de l’offre devrait être battue en brèche, ne serait-ce que dans une faible mesure, les gains réalisés sur le plan de la productivité faciliteraient l’adaptation à une plus grande ouverture des marchés. Quoi qu’il advienne, l’accroissement de la productivité représente une garantie de pouvoir offrir aux québécois des produits de qualité au meilleur prix.

Les quotas de production.

En 1970, les quotas ont été distribués “ gratuitement ” aux producteurs agricoles. C’était en quelque sorte leur “ droit de produire ”. Puis, les quotas se sont transigés entre producteurs et ont pu être vendus. Ils ont donc pris de plus en plus de valeur. Au Québec, en 1981, cette valeur était estimée à 1,5 milliard de dollars, en 2005, elle s’élevait à 9,14 milliards. Le prix des quotas représente l’une des plus lourdes hypothèques qui pèsent sur l’agriculture québécoise. Divers chercheurs ont démontré qu’il était impossible, pour un candidat à la relève, de rentabiliser une ferme sous gestion de l’offre en achetant le quota à sa valeur marchande. À défaut d’un arrangement particulier, entre producteur de deux générations au sein d’une famille, le prix des quotas pose un très grave problème de relève dans les productions contingentées. On estime qu’une ferme laitière de taille moyenne a une valeur marchande d’environ 2,5 millions de dollars, dont près de 1,5 million pour le quota. La valeur actuelle des contingents pose également de grandes difficultés aux entreprises en exploitation. En effet, lorsqu’un producteur réussit à accroître sa production, la production supplémentaire dont il pourrait bénéficier ne peut être livrée, à moins qu’il n’acquière de nouveaux quotas. Le quota est considéré comme la “ rente ” de l’agriculteur. Ce faisant, des sommes énormes sortent de l’agriculture au moment où le producteur vend son quota, tout en provoquant un endettement excessif de l’agriculteur qui l’achète et une diminution des perspectives de rentabilité de l’entreprise agricole. Puisque la ferme est difficilement transférable à la relève, à plus forte raison lorsqu’aucun membre de la famille ne manifeste de l’intérêt, la dynamique des quotas incite fortement au démantèlement de la ferme.

Marcel Mazoyer, professeur et directeur de recherche à l’Institut national agronomique de Paris-Grignon et défenseur du système canadien de la gestion de l’offre, juge très sévèrement l’orientation prise par les producteurs à l’égard des quotas. Oui, il faut remettre de l’ordre dans la manière dont le quota laitier est géré. C’est la concession d’un “ droit public ” qui a été distribué de manière équitable entre les producteurs. C’est abusif d’interpréter ça comme un “ droit de propriété  ”. C’est un “ droit de production ” que l’on distribue ou non et ce, gratuitement en fonction des besoins du marché. En faire une marchandise handicape la production. De plus, vous avez fait du droit de produire un “ coût de production ”. Vous chargez une production d’un coût supplémentaire qui est une “ rente attribuée à quelqu’un qui n’est plus producteur ”. Vous la chargez ensuite à quelqu’un qui devra produire en la supportant. C’est un mécanisme autodestructeur. Il coûtera un jour tellement cher qu’il ne sera plus possible de produire de manière rentable et plus personne ne pourra en acheter  ”.

Face à cette troublante réalité, la Commission considère qu’il faut délibérément chercher à réduire, à moyen et à long terme, la valeur des quotas. Il en va de la survie même de l’agriculture québécoise dans ses productions de base. Dans les autres pays où de tels systèmes ont été mis en place, on a adopté diverses mesures incitatives et coercitives afin d’éviter la spéculation. Les transactions sur les quotas sont sévèrement contrôlées. Au Canada et au Québec, c’est le régime du laisser-faire qui a prévalu. Il est impératif de considérer que les quotas ne sont pas la propriété exclusive des agriculteurs, mais un “ bien collectif ” mis à leur disposition pour favoriser le développement de l’agriculture. Il est important que des actions structurantes soient menées à l’égard des quotas au nom de la pérennité de l’agriculture québécoise. On ne peut tout simplement pas refiler un tel fardeau à la relève et à ceux qui décident d’accroître leur niveau de production. À titre d’exemple, les transactions de quotas laitiers au Québec entre 2001 et 2006 ont atteint 1,5 milliard de dollars. Cela signifie que des acheteurs ont dû investir, souvent au moyen d’emprunts, sans rien ajouter à la valeur de la production agricole du Québec. Les producteurs sont eux-mêmes conscients des problèmes que pose le prix des quotas. La Fédération des producteurs de lait du Québec a pris la décision, en novembre 2006, d’appliquer une retenue de 30 % lors de la revente du quota, lorsque cette revente se fait dans les cinq années suivant l’acquisition. Les quantités ainsi réservées sont redistribuées à l’ensemble des producteurs afin de réduire la pression financière due à l’achat de quotas. Les producteurs laitiers ont également convenu de fixer un plafond de 30 000 $ au prix de l’unité de quota transigée. La Fédération des producteurs d’œufs de consommation du Québec a mis en place un programme d’aide au démarrage de nouveaux producteurs pour contrer les problèmes de relève dans leurs productions. Ce programme octroie chaque année à un nouveau producteur à même les réserves de quotas prévue à cet effet, le droit d’utiliser, à certaines conditions, un quota de 5000 pondeuses. Le programme sera reconduit pour plusieurs années à venir puisque la banque de quotas continuera d’être alimentée par les producteurs à même les futures augmentationsde contingents. Pour leur part, Les Éleveurs de volaille du Québec, qui ont un programme de relève en place depuis 1993, ont élaboré deux programmes particuliers pour améliorer encore davantage l’accès à la relève en production de volailles. De toute évidence, il faut aller nettement plus loin. Il faut préciser qu’une fois les quotas alloués, au début des années 70, les gouvernements n’ont joué aucun rôle sur les règles et mécanismes de transfert, de vente ou de détermination de leur prix. Les producteurs agricoles ont géré seuls ces questions. Les systèmes diffèrent d’ailleurs d’une production à l’autre et d’une province à l’autre. Puisque la problématique des quotas se situe au cœur des enjeux de la relève agricole, il appartient avant tout aux producteurs agricoles de s’engager sans délai dans une dynamique visant délibérément à faire baisser graduellement la valeur des quotas. Personne ne peut entretenir une vision d’avenir, si la valeur des quotas continue de monter ou si l’on sous-estime la gravité du problème que le prix des quotas pose par rapport à la pérennité de l’agriculture québécoise.  

Les autres changements recommandés par la Commission.

Le rapport de la Commission présente 36 autres recommandations toutes aussi étoffées concernant la mise en marché des produits agricoles, la transformation et la distribution alimentaires, la formation et le perfectionnement des ressources humaines, la recherche et l’innovation, l’environnement, l’alimentation, la santé et les attentes des consommateurs, la protection du territoire agricole et le développement régional, l’utilisation de l’agriculture à d’autres fins que l’alimentation, la gouvernance. Pour la pérennité de l’agriculture, il est urgent que le gouvernement du Québec élabore une Politique agricole qui s’inspire largement des changements recommandés par la Commission sur l’avenir  de l’agriculture et l’agroalimentaire québécois, car nous sommes à l’aube d’un changement générationnel des producteurs agricoles. En effet, au Canada, d’ici 2025, c’est 50 % des agriculteurs actuels qui seront à la retraite dont 75 % n’ont pas de relève. En plus, des difficultés déjà évoquées pour la relève, qui dit changement de génération, dit changement de vision de l’agriculture. Or, c’est précisément, ce que Jean Pronovost, Président de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois, a documenté dans son rapport  À l’écoute de la relève agricole.  

Lire la suite : Le vécu et les attentes des jeunes agriculteurs québécois.                                 


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