Le vécu et les attentes des jeunes agriculteurs québécois.

Quelles sont les difficultés que rencontre la relève qui veut s’établir en agriculture ? Quelles sont les solutions à privilégier pour les aider à réussir leur projet ? Pourquoi porter une attention particulière à la relève agricole ? La réponse à cette dernière question fut donnée par le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) de l’époque, M. Pierre Paradis : “ L’avenir de l’agriculture québécoise exige qu’on lui assure une relève de qualité, suffisante en nombre, compétente et motivée. ”Le ministre souhaitait établir un dialogue direct avec les principaux intéressés et s’appuyer sur leur vécu pour bien cerner les obstacles et identifier les pistes de solutions les plus prometteuses. C’est ainsi, qu’en début 2015, il a confié à M. Jean Pronovost, président de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois, le mandat de rencontrer dans les régions du Québec, des jeunes agriculteurs en situation de démarrage, qui exploitent une entreprise agricole ou qui ont tenté d’en implanter une, pour dresser un inventaire de tout ce qui constitue un obstacle à la relève et à lui transmettre son analyse ainsi que les recommandations jugées pertinentes.

Cet inventaire, c’est le rapport intitulé À l’écoute de la relève agricole. Le vécu et les attentes des jeunes agriculteurs québécois, remis au ministre le 18 novembre 2015, dont nous vous présentons ici le résumé. Précisons d’emblée que les problématiques documentées dans ce rapport sont toujours d’actualité en 2021. Pour réaliser cet inventaire, Jean Pronovost a visité toutes les régions administratives du Québec et y a rencontré des personnes qui lui ont raconté le cheminement de 47 entreprises agricoles. Les services compétents du MAPAQ l’ont aidé à structurer, à partir d’une liste de personnes suggérées par le Conseil des entrepreneurs agricoles (CSA) et l’Union paysanne, un échantillon représentatif de l’agriculture québécoise. Les types de production ainsi que la taille et la répartition géographique des entreprises retenues reflétaient, aussi fidèlement que possible, le portrait de l’agriculture québécoise de 2015.

Les entrevues étaient encadrées par un schéma de cinq points, selon lequel chaque personne devait :

se raconter et parler de ses origines familiales, de son cheminement, de sa formation, de sa motivation et de sa conception de l’agriculture ;

décrire avec précision l’entreprise, sa taille, ses principales productions, son chiffre d’affaires, son financement et son niveau d’endettement, le nombre de personnes qui y travaillent, les principales étapes et faits saillants de la démarche de transfert ou de démarrage de la ferme, la structure de propriété et, le cas échéant, les plans de développement envisagés à court terme ;

identifier les principaux obstacles rencontrés et les difficultés qui ont dû être surmontés ou qui restent à résoudre ;

identifier les facteurs qui ont facilité le projet ;

décrire les pistes de solutions à retenir ou à examiner.

Les entrevues ont cherché, en puisant dans le vécu de la relève, à identifier les problématiques les plus importantes et les plus urgentes. Les pistes de solutions avancées par les personnes interviewées et par Jean Pronovost découlent de ce que leurs diagnostics suggèrent.

Intérêt, motivation et formation de la relève.

Les entrevues réalisées et les cheminements racontés indiquent très nettement que les candidats à la relève sont nombreux, motivés et plus qualifiés que jamais. Les gens visités travaillent beaucoup et avec détermination, croient à ce qu’ils font et s’y investissent pleinement. Ils sont généralement bien formés, se définissent comme des professionnels, sont ouverts à l’innovation et trouvent important de s’informer et d’apprendre. Si l’on veut bien apprécier les problèmes de la relève et surtout bien comprendre comment l’aider, il est important d’enterrer dès le point de départ, la perception qu’elle manque de motivation et de détermination et qu’elle veut quitter l’agriculture ou qu’elle refuse de s’y engager. Le problème n’est pas là.  Les jeunes entrepreneurs rencontrés fournissent la preuve évidente que la relève agricole est au rendez-vous et prête à relever le défi. Encore faut-il leur donner les outils nécessaires. Le vrai problème de la relève tient au fait que l’environnement d’affaires que nous offrons aux jeunes entrepreneurs n’est pas toujours aussi favorable qu’il pourrait l’être.

Les obstacles avec lesquels ils doivent composer.

Le profil des fermes visitées et, par voie de conséquence, la réalité vécue par chacun des jeunes entrepreneurs interrogés, varie considérablement en fonction, notamment :

du mode d’établissement de l’entreprise ;

des types de production et des exigences réglementaires qui encadrent les productions ;

de l’état des installations et des infrastructures ;

des superficies utilisées et du prix des terres ;

de l’état des marchés et des modalités de mise en marché ;

du plan d’affaires et de la santé financière de l’entreprise.

Ces facteurs permettent un large éventail de permutations. Le concept de relève agricole est une façon commode de regrouper, sous un même thème, les jeunes entrepreneurs qui ont bénéficié d’un transfert de ferme, ceux qui ont monté une entreprise agricole ou qui sont en démarche de réaliser leur projet. Le concept de la relève couvre donc des situations très différentes. Le poids des problèmes soulevés varie aussi de façon significative d’une ferme à l’autre. La démarche dans laquelle les entreprises de la relève sont engagées joue également un rôle vraiment déterminant.

Jean Pronovost a d’abord examiné les problématiques propres aux démarches de transfert de ferme et ensuite comment les jeunes de la relève perçoivent et vivent deux grandes questions qui interpellent l’agriculture québécoise : l’augmentation du prix des terres et la gestion de l’offre. Il a par la suite examiné les autres problèmes qui affectent de façon plus particulière les entreprises en démarrage. Enfin, le rapport aborde deux autres questions importantes :

L’émergence d’une véritable agriculture de proximité et les problèmes particuliers auxquels font face les fermes qui pratiquent ce type d’agriculture ;

Les attentes des jeunes entrepreneurs face à l’Union des producteurs agricoles (UPA) et aux organismes gouvernementaux qui définissent ou soutiennent les politiques agricoles, soit le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) et La Financière agricole du Québec (FADQ).

1. Le transfert de ferme.

Selon le portrait statistique de la relève agricole que le MAPAQ a publié en 2011, le transfert d’une ferme familiale était le mode d’établissement le plus courant (59 %). Quel que soit l’angle sous lequel on l’observe, le transfert d’une ferme à un jeune entrepreneur reste la voie royale à l’accès à l’agriculture. Transférer intégralement une ferme à de nouveaux propriétaires offre tous les avantages d’un projet clés en main. L’entreprise est déjà installée et fonctionne. Elle a déjà les permis nécessaires, les moyens de production sont en place et elle génère des revenus mesurables, dont on peut retracer l’évolution et tirer des extrapolations pour l’avenir. Le prix et les modalités financières de l’acquisition sont connus et les cédants sont généralement disposés à prendre les mesures nécessaires pour faciliter le transfert. Les principaux éléments de risques sont identifiés et l’on peut déjà prévoir les meilleures façons de les gérer. Comme nous le verrons ultérieurement, monter une ferme à partir de rien demande du temps et beaucoup d’efforts. Chacune des étapes à franchir pour y arriver comporte son lot d’inconnus, d’exigences ou d’embûches potentielles.

Les démarches examinées permettent d’identifier les principales conditions de succès d’un projet de transfert de ferme. Une bonne démarche de transfert de ferme s’appuie généralement sur les éléments suivants : 

une relève motivée et bien formée, qui a une expérience pratique du type de ferme dont elle prend la relève ;

le temps : une démarche de transfert doit commencer tôt, par une planification réfléchie qui doit tenir compte d’une période de formation et d’apprentissage, définir le mieux possible ce que l’on entend transférer et à qui et prévoir les principales modalités de transfert. Le plan d’action qui en découle peut aussi, surtout s’il prévoit des remboursements graduels, se prolonger dans le temps, bien au-delà du moment précis où s’est effectué le transfert ;

l’utilisation de services-conseils appropriés : les démarches de transfert bien conçues n’hésitent pas à s’appuyer sur la contribution de spécialistes en droit, en comptabilité, en fiscalité ou en transfert de ferme ;

le soutien de la famille : la démarche de transfert et ses modalités doivent recevoir l’assentiment ainsi que la coopération active des membres de la famille qui cède la ferme. Cette coopération inclut généralement une contribution financière, qui commence souvent avant la cessation, fait partie des équilibres qui sont au cœur des ententes contractuelles et se poursuit souvent après le transfert ;

une entreprise en bonne santé financière : l’entreprise transférée doit idéalement être d’une certaine taille, financièrement robuste et en mesure de soutenir à la fois les besoins financiers du cédant et ceux de la famille qui prend la relève ;

un arrangement financier qui assure l’équilibre entre la qualité de vie du cédant et les besoins de la ferme. Les besoins financiers d’un cédant qui n’a pas de fonds de pension et peu d’économies peuvent être assurés par un contrat de transfert du type vendeur-prêteur qui prévoit des versements périodiques suffisants pour satisfaire ses besoins financiers. La valeur du prêt et les remboursements périodiques prévus dans la convention deviennent alors l’équivalent d’un véritable fonds de retraite. Les versements doivent toutefois respecter la capacité de payer et les besoins de la ferme, ces besoins comprenant le service de la dette, le revenu nécessaire pour faire vivre la famille qui l’opère et la marge de manœuvre requise pour tenir l’entreprise à niveau ou absorber les imprévus. Le cédant et le candidat à la relève contribuent tous deux à cet équilibre qui, généralement, s’appuie également sur des mesures fiscales et autres incitatifs gouvernementaux.

À cet effet, La Financière agricole du Québec (FADQ) a mis en place un programme appelé “ formule vendeur-prêteur ”, qui permet à un exploitant agricole d’agir comme prêteur auprès du ou des acheteurs de son entreprise, en bénéficiant d’une garantie de la FADQ pour le prêt consenti, quelles qu’en soient les modalités. Cette formule offre également un crédit d’impôt remboursable des intérêts payés par l’acheteur. Ce programme, qui semble particulièrement bien conçu pour faciliter les transferts de ferme, est mal connu des personnes interrogées et nettement sous-utilisé.

La coentreprise entre un cédant et un ou des jeunes entrepreneurs est aussi une bonne formule. Elle est d’autant plus intéressante qu’elle permet à la fois d’étaler le poids de la dette dans le temps, de passer graduellement la responsabilité de l’entreprise à la relève et dans certains cas, de mieux répartir le travail. 

Les principaux obstacles qui peuvent faire dérailler une démarche de transfert de ferme ou la rendre beaucoup plus complexe sont :

la valeur des fermes : plusieurs des membres de la relève soulignent qu’avec l’augmentation du prix des terres, le coût du quota et la hauteur des investissements que commandent les nouvelles normes de production, les fermes valent de plus en plus cher. Il est de plus en plus difficile de transférer la ferme aux enfants. D’ailleurs, il faut noter que la plupart des démarches de transfert sont activement soutenues par une très significative contribution des parents ou du cédant. Ces contributions, qui prennent habituellement la forme de dons ou de conditions de cessation avantageuses deviennent de plus en plus essentielles.

La disponibilité et les règles de gestion des quotas de production : même si la gestion de l’offre assure la stabilité du prix des denrées qui y sont soumises, ce qui est un avantage appréciable, la disponibilité et le prix du quota sont aussi des éléments que l’on évoque régulièrement lors de l’analyse des défis de la relève y compris la relève en démarche de transfert.

On craint aussi les répercussions possibles des accords de commerce. Les contraintes règlementaires enchâssées dans les règlements sur la production laitière, notamment celles qui touchent la fusion des quotas de lait et l’intégration des fermes laitières affectent les projets des jeunes entrepreneurs. L’aide au financement des transferts et la gestion des quotas de production méritent un examen systématique, qui d’ailleurs a été effectué dans le présent rapport.  Les problématiques familiales jouent aussi un rôle important. Cédant et relève ont parfois beaucoup de mal à convenir du plan d’affaires et de l’orientation de l’entreprise.

Pistes de solution.

Les entrevues montrent le rôle important et stratégique des transferts de ferme et nous incitent à prendre les mesures nécessaires pour encourager et soutenir ces transferts, y compris les transferts entre non-apparentés, partout où ils sont souhaitables et possibles. Cet objectif doit demeurer prioritaire et au centre des politiques d’aide à la relève. Il faudrait nous donner collectivement l’objectif d’en augmenter le nombre, en accordant une attention particulière à la problématique de démantèlement des fermes et aux transferts vers des non-apparentés. La relation entre cédants et membre de la relève est délicate. Il faut que les visions coïncident et que les valeurs convergent. Les transferts vers des non-apparentés ressemblent parfois à de véritables adoptions.

Faciliter les appariements.

Plusieurs jeunes de la relève ont souligné l’importance et le rôle des banques de terre ou banques de fermes, qui permettent de jumeler des aspirants agriculteurs et des propriétaires fonciers par des ententes de location, de partenariat ou de transfert. Ce sont essentiellement des fichiers informatisés qui colligent, sur une base volontaire, les données familiales, personnelles et financières des propriétaires cédants et des candidats à la relève qui s’y inscrivent. Elles permettent d’identifier les cédants, les fermes et les localisations qui répondent le mieux aux projets des jeunes entrepreneurs. Elles peuvent aussi aider les entreprises en démarrage à trouver les fonds de terre qui est nécessaire à leur projet. Le Centre d’innovation sociale en agriculture (CISA) du Cégep de Victoriaville, a conçu un instrument qui cherche systématiquement à bien cerner les objectifs, la vision et le projet de ceux qui s’y inscrivent dans le but de mieux identifier les possibilités de transfert qui convergent, de structurer correctement la démarche et de bien l’encadrer. Cet instrument devrait faciliter les démarches de transfert et il a le potentiel nécessaire pour augmenter le nombre de projets de transfert de ferme avec des non-apparentés. Plusieurs municipalités régionales de comté utilisent déjà ce genre d’outils pour appuyer leur plan de développement de la zone agricole (PDZA).On devrait donc soutenir activement ces banques, les utiliser systématiquement afin de mieux cibler les stratégies de transfert et de partenariat et prévoir graduellement de les fédérer.     

Analyser les problématiques de transfert à des non-apparentés et de démantèlement des fermes.

Les échanges avec les jeunes de la relève montrent que les considérations financières et fiscales sont importantes, lorsque vient le moment de vendre ou de céder sa ferme et qu’elles influencent, à divers degrés, la plupart des arrangements de transfert. Le gouvernement a d’ailleurs bonifié certains avantages fiscaux réservés à la vente d’actifs agricoles. En fait, les lois de l’impôt sur le revenu, tant provinciales que fédérales, définissent plusieurs provisions qui permettent de transférer les biens agricoles avec un minimum d’impact fiscal. La mesure concernant le roulement de biens agricoles entre vifs permet de transférer libres d’impôt, directement à un enfant, des biens agricoles utilisés dans le cadre d’une entreprise agricole. Cette mesure n’est accessible qu’aux propriétaires d’une entreprise agricole qui cèdent un bien agricole admissible à un enfant. Les producteurs agricoles qui choisissent de transférer leur entreprise agricole à leur(s) enfant(s) peuvent donc bénéficier d’avantages fiscaux un peu plus généreux. Il y a lieu de se demander si l’élargissement des avantages fiscaux réservés aux transferts apparentés, pour les ouvrir aussi aux transferts impliquant des non-apparentés, pourrait avoir un impact et augmenter le nombre de transferts de ferme.

On ne peut cependant se contenter d’encourager les cédants par des avantages fiscaux ou de prendre les mesures nécessaires pour que les mariages avec des non-apparentés réunissent toutes les conditions de succès. Il faut aussi que les jeunes entrepreneurs, qui ont généralement très peu d’économies, puissent payer ou rembourser aux cédants au moins une partie du juste prix de l’entreprise qui leur est transféré. Le transfert des plus petites entreprises est généralement moins simple. La marge bénéficiaire et, par conséquent, la marge de manœuvre sont moins importantes et leurs installations doivent parfois être modifiées pour répondre aux nouveaux standards de production. Leurs nouveaux propriétaires ont souvent besoin d’aide financière et les problèmes que vivent leurs entreprises s’apparentent, jusqu’à un certain point, à ceux des fermes en démarrage. Lorsqu’ils parlent de banques de terres, les jeunes de la relève évoquent d’ailleurs beaucoup plus qu’un outil d’appariement et y intègrent explicitement des outils de financement, ce qui, dans les faits, en ferait de véritables fonds, assez semblables d’ailleurs au Fonds d’investissement pour la relève agricole (FIRA).

Inciter ceux qui sont engagés dans une démarche de transfert à utiliser les services-conseils appropriés.

Les échanges avec les jeunes agriculteurs indiquent aussi que, lors des démarches de transfert, on porte généralement une attention particulière aux aspects fiscaux et financiers. Des spécialistes sont disponibles et les organismes qui les regroupent, les Centres régionaux d’établissement en agriculture (CRÉA), ont clairement démontré leur utilité, même si certains de ceux qui ont utilisé leurs services trouvent que leur médiation pourrait être plus incisive et qu’elle manque parfois de suivi. Il faudrait veiller à ce que les services-conseils, nécessaires au succès des démarches de transfert soient accessibles à chacune des étapes et prévoient, au besoin, les interventions qui s’imposent pour la bonne gestion des enjeux humains et familiaux en cause. Il faudrait, là où cela ne se fait pas déjà, sensibiliser les agriculteurs aux exigences psychosociales du processus de transfert. Les associations locales de producteurs, les conseillers financiers et les conseillers juridiques sont particulièrement bien placés pour identifier les démarches en cours et devraient s’assurer qu’elles ont, partout où elles en ont besoin, toute l’aide professionnelle requise.

2. L’évolution du prix des terres.

Plusieurs jeunes agriculteurs ont pointé du doigt des problématiques qui interpellent, dans les faits, toutes les entreprises agricoles, quel que soit leur taille ou leur type de production, mais qui ont un impact particulièrement important sur les projets de la relève. Ces problématiques nuisent à leurs projets et conditionnent leurs choix. Les premiers et les plus structurants de ces facteurs sont le prix et la disponibilité des terres. 

Le Bulletin Transac-Terres 2014 de La Financière agricole du Québec souligne qu’entre 2009 et 2013, le prix des terres agricoles a connu une croissance annuelle moyenne de 14.6 %. Le Bulletin Transac-Terres de 2015 annonçait que le prix moyen des terres agricoles transigées en 2014 avait atteint 12 113 $/ha, ce qui représente une augmentation de 2 304 $/ha (23,5 %) par rapport à 2013. La Financière agricole du Québec signalait également que, dans la plupart des régions, les terres agricoles avaient été transigées en moyenne à des valeurs plus élevées en 2014 qu’en 2013, en particulier les terres consacrées aux cultures maraîchères et celles utilisées pour les grandes cultures. Dans cette compilation, si l’on ne retient que la valeur moyenne des terres en culture, l’écart monte à 27 %, une augmentation de 3 325 $/ha.

Au coût moyen observé en 2014, une ferme qui mobiliserait 100 hectares de terres agricoles exigerait donc, au point de départ et seulement pour acquérir la terre, un investissement d’environ 1,2 million de dollars. C’est une somme considérable, d’autant plus que le coût des bâtiments, de la machinerie et des animaux et, pour ceux qui produisent dans la cadre du système de gestion de l’offre, le coût des permis de produire (quota) viennent évidemment s’ajouter à cet investissement de base. Notons que le quota d’une ferme laitière moyenne (60kg/jour) vaut au Québec, 1,5 million de dollars. L’investissement de base pour acquérir seulement le fonds de terre et les permis de produire nécessaires à notre hypothétique ferme moyenne atteint donc en moyenne 2,7 million de dollars, ce qui, pour un jeune entrepreneur qui part de rien, représente une très substantielle barrière. Il n’est donc pas surprenant que l’on mentionne le prix des terres et des fermes comme étant l’un des obstacles à la relève.

Comme l’indiquent les données colligées par la FADQ, l’augmentation de la valeur des terres touche toutes les régions mais son impact varie très significativement d’une région à l’autre. Dans les régions où l’agriculture semble en perte de vitesse, ils vont d’ailleurs jusqu’à inviter les agriculteurs en mal de terres à venir s’établir dans leur coin de province. Toutefois, dans les régions les plus affectées, le problème a des effets bien tangibles et contribue de façon non négligeable à l’augmentation de la valeur des fermes, ce qui, évidemment, rend ces fermes moins accessibles aux autres producteurs agricoles qui voudraient les acheter. Elles sont aussi financièrement beaucoup plus lourdes à prendre en charge lorsque l’on veut les transférer à la relève. L’augmentation de la valeur des terres rend alors aussi, nettement plus coûteux les projets d’expansion et devient même un obstacle majeur à la rentabilité des entreprises. L’augmentation de la valeur des terres enregistrée en 2014 dans certaines régions est difficilement soutenable et crée une spirale inflationniste qui fait craindre pour l’avenir. Certains vont jusqu’à prétendre que la génération actuelle est probablement la dernière qui pourra assumer ces coûts. Même si le phénomène ne les affecte pas toutes au même degré, les régions où les terres sont chères sont aussi nettement les moins accessibles aux projets de démarrage. Surtout là où il est nécessaire, pour que ces projets se concrétisent, d’acquérir des superficies cultivables offrant certaines caractéristiques (notamment la qualité de la terre, les conditions climatiques et la proximité de certains marchés) que l’on trouve plus facilement dans les régions, là, justement, où les prix sont élevés. Certains jeunes entrepreneurs qui souhaitent démarrer une ferme ont dû changer de région et modifier leur plan d’affaires, parce que le prix des terres était trop élevé ou que les terres n’étaient pas disponibles là où ils souhaitaient s’établir. D’autres, pour les mêmes raisons, ont choisi de louer une partie des terres dont ils ont besoin.

En conclusion, les variations interrégionales des prix et de la disponibilité des terres laissent donc quelques avenues de solution, mais ces avenues sont encore trop souvent considérées comme des solutions “ par défaut ” et affectent encore très peu le prix de vente ou de cession des fermes établies.

Lorsqu’on leur demande d’expliquer l’augmentation du prix des terres, les personnes interrogées sont catégoriques : l’augmentation du prix des terres est d’abord et avant tout le résultat d’une compétition et souvent d’une surenchère, entre agriculteurs. Les premiers responsables de l’augmentation du prix des terres sont les agriculteurs eux-mêmes et non pas les spéculateurs fonciers. Les seuls jeunes entrepreneurs qui ont vraiment parlé de spéculation foncière vivent dans la banlieue immédiate de Montréal et de Québec et leurs entreprises sont directement menacées par des développements immobiliers ainsi que par les hausses de taxes foncières qu’ils traînent inévitablement derrière eux. Le père d’un des jeunes agriculteurs interpellé par ce phénomène résume ainsi la problématique : “ L’un des obstacles les plus importants et, les plus difficiles à résoudre, qui freinent les projets de la relève est lié à une problématique qui enferme le prix et l’accessibilité aux terres agricoles dans un cercle vicieux dont les principaux éléments peuvent se résumer de la façon suivante :   

la pression des spéculateurs immobiliers et l’appétit des agriculteurs pour de plus grandes fermes font augmenter le prix des terres ;

les municipalités, toujours en quête de revenus additionnels, sont généralement favorables à ces augmentations de prix qui se reflètent, évidemment, dans le rendement des taxes municipales ;

ces augmentations poussent graduellement le prix des terres agricoles bien au-delà de leur seuil de rentabilité et de ce qu’on pourrait appeler leur valeur agricole ;

parce qu’ils ne tiennent pas compte de la valeur agricole, les critères utilisés par les municipalités pour déterminer la valeur des propriétés ne sont pas cohérents avec les objectifs, qui nous ont fait mettre en place la Commission de protection du territoire agricole du Québec qui, elle protège certaines terres au nom, justement, de leur valeur agricole ;

le programme gouvernemental de remboursement partiel des taxes municipales chargées aux agriculteurs vient alléger leurs coûts d’opération, mais ne diminue en rien le coût d’achat de nouvelles terres et, le cas échéant, les intérêts à verser sur les sommes empruntées pour les acquérir. Le niveau de revenu nécessaire pour avoir accès à ce programme est aussi trop élevé pour certaines fermes. Le programme peut également inciter certaines municipalités à refiler au gouvernement une partie du coût et des inconvénients de hausses de taxes qui pourraient, pour les agriculteurs du moins, être plus légères. ”

L’accaparement des terres par des sociétés financières qui misent, à plus long terme, sur l’accroissement de la valeur des terres est aussi, pour les jeunes entrepreneurs agricoles, un phénomène marginal, qui est généralement peu visible et qui n’a pas encore eu d’impact significatif dans leur région. Ce que les agriculteurs de la relève connaissent du modèle d’affaires de PANGEA (une société québécoise d’activités agricoles qui propose un modèle d’entrepreneuriat en partenariat avec les agriculteurs et les communautés) et des sociétés semblables ne les rebute généralement pas. L’un deux affirmait que PANGEA a littéralement “ réveillé beaucoup de monde et que si PANGEA a eu une influence sur le prix, c’est parce que les agriculteurs ont pris conscience du potentiel des terres de la région et se sont empressés d’en acheter.

Les personnes rencontrées avancent plusieurs raisons pour expliquer le fait que les agriculteurs sont portés à la surenchère lorsqu’ils achètent des terres. Voici quelques-unes de ces raisons :

Certains veulent développer leur entreprise et augmenter ses revenus. Les stratégies de développement qui prévoient l’achat de fermes ou de terres additionnelles sont assez largement répandues pour qu’elles contribuent à la pression qui s’exerce sur le prix des terres ;

ces stratégies de développement sont aussi l’une des conséquences des règles qui sont venues encadrer le plafonnement du prix du quota et sa gestion. Le quota se fait de plus en plus rare et il est devenu plus difficile d’accès. Certains producteurs laitiers ont trouvé le moyen d’ajouter quand même à la production de l’entreprise en achetant une ou plusieurs autres fermes laitières, qu’ils exploitent en parallèle avec celles qu’ils possèdent déjà. Cette soif de croissance ajoute encore, évidement, à la pression sur la disponibilité et les prix ;

d’autres, qui ont des liquidités à faire fructifier, voient dans l’achat de terres un véhicule de placement nettement plus intéressant que les instruments qui leur sont proposés par les institutions financières. Leur évaluation repose essentiellement sur le gain en capital qu’ils peuvent en tirer. Il est rentable d’acheter des terres et de les louer en attendant que le prix monte ;

même s’ils n’augmentent pas la rentabilité de l’entreprise, ces achats de terre augmentent automatiquement la valeur de la ferme et gonfleront inévitablement son prix lorsque viendra le temps d’en disposer ;

d’autres jouent de prudence en faisant l’acquisition de terres qui leur serviront de réserve pour le futur. Ces achats par anticipation leur semblent d’autant plus indiqués et intéressants que, là encore, l’augmentation de la valeur des terres achetées peut en faire un bon placement ;

enfin, d’autres ne peuvent pas résister à l’opportunité d’acheter des terres qui leur permettent de consolider leur ferme et de réaliser leur rêve de devenir le maître d’une grande ferme.

Les problèmes d’accessibilité aux terres agricoles ne tiennent pas qu’à leur prix et à leur disponibilité sur le marché. Ils sont aussi amplifiés et, en quelque sorte exacerbés, par les politiques qui veulent protéger les terres agricoles et s’assurer que leurs exploitants respectent intégralement leur vocation et qu’ils peuvent en tirer un revenu suffisant pour y faire vivre leur famille. Ces politiques interpellent surtout les petites fermes en démarrage, dont, au premier chef, les petites fermes qui produisent pour la communauté environnante et utilisent des circuits courts de commercialisation. L’impact de ces politiques sur les projets de la relève fait l’objet d’un examen plus détaillé un peu plus loin.

Pistes de solution.

À son niveau actuel et, surtout lorsqu’elle affiche un taux de croissance annuelle de 23,5 %, l’augmentation de la valeur des terres est un phénomène qui mérite une attention particulière et urgente. Comment expliquer 12 % d’augmentation de la valeur moyenne en 2013 et 23,5 % en 2014 ? L’accaparement des terres des organisations ou des fonds qui veulent investir dans les terres agricoles reste, somme toute, assez marginale et l’on ne saurait leur attribuer la responsabilité de la très importante croissance de leur valeur moyenne.

Lorsqu’on leur demande d’identifier des pistes de solution, les jeunes entrepreneurs évoquent spontanément tout un éventail de mesures d’aide au financement. Toutefois, ils n’ont pas vraiment évoqué de mesures spécifiquement destinées à diminuer le taux d’augmentation du prix des terres. La mise sur pied d’une Société d’aménagement et de développement agricole québécoise (SADAQ), à l’image des Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) françaises, qui ont pour mission d’encadrer les prix de vente et l’attribution des terres agricoles n’est pas pour eux, une solution : “ L’agriculture québécoise est déjà trop réglementée et l’hypothèse d’une société qui dirait aux agriculteurs québécois à qui et à quel prix ces derniers peuvent vendre leur propriété cadre mal avec notre façon habituelle de faire des affaires. ” Un jeune entrepreneur a évoqué la possibilité de limiter le prix des terres agricoles. Il suggère de le faire en fonction du revenu moyen que l’on peut tirer à l’acre, en s’appuyant sur le rendement moyen observé dans les 10 productions les plus fréquentées au Québec. Ce prix, selon lui, ne devrait pas dépasser 7 500 $/acre. Il admet facilement que ces éléments, s’ils étaient retenus, donneraient finalement naissance à une lourde et complexe bureaucratie et que de toute façon les agriculteurs eux-mêmes s’opposeraient à une mesure qui limiterait le prix de vente de leurs terres. Il n’est pas non plus très favorable à l’organisation de fondations qui auraient comme objectifs d’accompagner la relève, de lui louer ou de lui vendre des terres. Ces organismes risqueraient à son avis, de créer une bureaucratie inutile et coûteuse, un peu comme les fondations caritatives dont les frais de gestion grugent une bonne partie de ce qu’elles reçoivent.

Les diagnostics avancés par les jeunes de la relève ne sauraient à eux seuls expliquer l’ampleur de l’augmentation du prix observée au cours des deux dernières années. Pour en avoir le cœur net, il faudrait que le gouvernement demande à des spécialistes d’examiner systématiquement les facteurs ou événements qui peuvent expliquer la hausse fulgurante de la valeur des terres agricoles en 2013 et 2014. Il faudrait aussi leur demander de poser des questions ou des hypothèses plus larges et moins ciblées que celles de l’accaparement des terres ou de l’influence occulte des spéculateurs fonciers. Il faut dire que la hausse récente est tellement forte qu’elle prend l’allure d’une “ bulle spéculative ”. Que s’est-il passé ? Quel a été l’élément déclencheur ? Il semble difficile d’identifier un ou des évènements de marché, par exemple une augmentation soutenue et à long terme du prix des grains, ou une hausse sensible de la demande pour le lait ou le porc, qui expliquerait une hausse aussi marquée, une “ exubérance irrationnelle ”. Poussée par la crainte d’une hausse exagérée du prix des terres et soutenue par de faibles taux d’intérêts, la fuite en avant serait-elle plus forte et importante qu’on le pense ? Pourrait-elle être suffisante pour que des agriculteurs qui anticipent des hausses immodérées du prix des terres provoquent eux-mêmes ce qu’ils souhaitent éviter, créant ainsi une sorte de “ bulle irrationnelle ” qui fera éventuellement des dégâts qu’il faudrait prévenir ? Le coût moyen des terres, dans certaines régions, dépasse-t-il de façon significative le seuil de rentabilité économique ? Est-ce qu’il y a un danger de voir éventuellement fléchir ces prix, faute d’une demande suffisante pour des terres devenues financièrement inaccessibles ? Il faut en avoir le cœur net et avant d’agir, savoir exactement qui achète quoi et pourquoi ? Jean Pronovost suggère que l’on demande à des spécialistes de trouver la réponse à ces questions, en s’appuyant sur des données factuelles précises. Le cas échéant, leurs constats aideront les décideurs à trouver les stratégies et les mesures nécessaires pour enrayer ou désamorcer le problème.

3. La gestion de l’offre.

Le système de gestion de l’offre ne touche pas toutes les entreprises agricoles, mais encadre les secteurs de production qui, historiquement, ont été et sont encore au cœur de l’agriculture québécoise classique. Les secteurs sous gestion de l’offre (laitier, poulet, dindon, œufs de consommation et d’incubation) sont aussi ceux que choisissent les agriculteurs de la relève : les jeunes entrepreneurs qui s’établissent optent à 39 % pour la production laitière et avicole. L’expression “ gestion de l’offre ” désigne essentiellement une politique de contingentement, qui limite la production de certaines denrées à la quantité nécessaire pour satisfaire adéquatement les besoins du Canada. Ce contingentement est protégé de la compétition étrangère par de véritables barrières douanières qui reposent surtout sur de sévères contingents tarifaires, applicables à l’importation de produits de même nature. Ces contingents définissent des quotas qui permettent l’importation à tarif réduit d’un petit volume, à un taux beaucoup plus élevé, les importations supplémentaires ou hors quota. Par exemple, pour les droits sur la volaille, les tarifs sur les quantités définies par le contingent varient entre 4 % et 8 %, tandis que les tarifs hors contingent dépassent 200 %.

Les droits de produire.

Pour chacune des denrées sous gestion de l’offre, la quantité totale à produire pour répondre à la demande canadienne est divisée entre les provinces, qui elles-mêmes utilisent différents mécanismes pour la répartir entre les producteurs sous forme de quotas ou droits de produire. Ces droits, une fois attribués ou acquis par un propriétaire de ferme, peuvent être vendus ou revendus à un agriculteur de la même province. Ces droits ont une valeur considérable. En janvier 2010, les Producteurs de lait du Québec (PLQ) ont fixé un prix plafond de 25 000 $ le kilogramme de matière grasse par jour, soit l’équivalent de la production annuelle d’une vache. De nombreux producteurs laitiers possèdent des quotas valant plus de 2 millions de dollars, ce qui représente une bonne partie de la valeur de leur ferme. Dans l’industrie québécoise des œufs de consommation, le quota moyen par exploitation en 2014 était de 38 572 poules pondeuses, pour une valeur moyenne par ferme de 9 450 140 $. Les fermes qui opèrent sous la gestion de l’offre n’ont pas vraiment d’autre choix que d’acheter leurs droits de production à la valeur du marché. Les investissements que représentent les quotas augmentent donc, de façon significative, les barrières à l’entrée pour les jeunes qui veulent se lancer en production et ajoutent aux défis de ceux qui veulent prendre de l’expansion. Cependant, le système les protège de la concurrence étrangère et maintient les prix qui soutiennent leurs marges bénéficiaires. Les producteurs concernés et leur relève sont manifestement prêts à en payer le prix. En 2013, les quantités de quota demandées par les producteurs de lait étaient 25 fois plus importantes que les quantités offertes. Le prix du quota a longtemps été vu comme l’un des principaux obstacles à la relève. Le quota devenant de plus en plus rare, c’est maintenant l’accessibilité au quota qui est en voie de devenir, en soi, le problème majeur.  Entre 2004 et 2013, le quota laitier total au Québec n’a augmenté que de 3,6 %. Entre 1999 et 2009, la croissance annuelle moyenne de la production québécoise de poulet était de 1,4 %. Entre 2010 et 2013, les quantités de quotas laitiers, transigées par l’entremise du Système centralisé de vente de quotas (SCVQ), représentaient moins de 2 % du quota provincial. Dans ce contexte, l’acquisition d’un quota de 25 kilogrammes de matière grasse par jour, peut prendre entre 6 et 12 ans, selon la taille de l’entreprise.

La rareté du quota et les modalités de gestion prévues au Règlement sur les quotas des producteurs de lait affectent évidemment tous les producteurs, mais elles rendent particulièrement difficiles les projets des jeunes entrepreneurs qui ont choisi de partir à zéro. Elles les enferment littéralement dans des projets où l’objectif retarde de mois en mois et leur imposent des règles de gestion qui leur ferment presque systématiquement plusieurs avenues de solution. Un exemple illustre parfaitement les obstacles auxquels font face ces jeunes entrepreneurs, même ceux qui sont bien préparés et qui bénéficient du soutien actif de leurs parents et de leurs conjoints. Un jeune éleveur qui a acheté ses premières vaches laitières en 2012, avait profité du Programme 12-12 des Producteurs de lait du Québec qui lui prêtaient un quota de 12 kg/jour, remboursable à partir de la 6ième année suivant son attribution, en raison de 1kg/jour par année, remis par tranche de 0,1kg/jour par mois pendant les 10 premiers mois. Au moment, où il fut rencontré, son entreprise détenait 25,1 kg/jour de quota et achetait tous les mois la fraction de quota qui lui était accessible. Le jeune producteur espérait se rendre à 30 kg/jour avant d’être obligé de rembourser son prêt. Une production de 50Kg/jour lui permettrait une qualité de vie raisonnable. L’accès au quota est, sans aucun doute, le principal problème qui confronte l’entreprise, limite son développement et la maintient dans une situation extrêmement précaire. Le producteur est obligé de rembourser le quota prêté par Les Producteurs de lait du Québec, à titre d’aide au démarrage. Comme le quota est vraiment peu accessible, cela risque de lui prendre beaucoup de temps. Il risque aussi de plafonner à quelque 30 kg/jour, ce qui est insuffisant pour faire vivre une famille, c’est-à-dire les deux personnes requises pour l’opérer. Il serait prêt à emprunter pour acheter du quota. Cependant, il n’en trouve simplement pas. Ce jeune entrepreneur avoue facilement que : “ Si c’était à recommencer, je chercherais à prendre la relève d’un non-apparenté qui possède une ferme laitière avec un quota de 60kg/jour. ”

Le cadre de gestion.

Les fermes en démarrage se heurtent à une série de règles et de stipulations qui rendent leurs projets encore plus fragiles ou leur interdisent des solutions qui pourraient réduire les problèmes d’accessibilité au quota. Les règles qui encadrent la gestion du quota jouent souvent contre les petites fermes. Par exemple, en 2015, s’est ajouté 15 % de quota additionnel aux droits de produire que les producteurs laitiers détenaient déjà. Il a été alloué aux producteurs en fonction d’un pourcentage uniforme, applicable au quota déjà possédé par chacune des fermes et ne pouvait, à ce moment être négocié ou vendu. Toutefois, il faut préciser que la partie non négociable a été ramenée à zéro en août 2017. Un jeune entrepreneur souligne que ce système permettait aux producteurs de produire gratuitement 15 % de plus que leur quota, ce qui veut dire 3kg/jour de quota pour une entreprise qui en possède 20 et 90, pour une entreprise qui en possède 600. “ La façon dont on attribue le quota négociable favorise visiblement les grosses entreprises, disait-il. ” Sa ferme possède 23 kg/jour de quota en incluant la marge non négociable, mais il lui en faudrait 35kg/jour, au minimum, pour en tirer le revenu nécessaire pour la rentabiliser. Certains ont également souligné que 15 % est une portion fort significative du quota global et que l’attribuer sous forme non négociable introduit beaucoup de rigidité dans le système. Ils ont évoqué la possibilité de diminuer le quota additionnel non négociable et de permettre à ceux qui le souhaitent, d’en vendre, en priorité aux petites fermes dont les revenus sont encore trop bas pour assurer un minimum de rentabilité. “ Il faut examiner la possibilité de réserver une partie du quota non négociable aux petites fermes qui ont besoin d’augmenter leurs revenus et non exclusivement aux fermes de la relève. ” Certaines fermes, qui n’ont pas les infrastructures nécessaires, ont de la difficulté à utiliser rapidement ce quota additionnel. Elles pourront désormais le vendre. Toutefois, le Règlement sur les quotas des producteurs de lait leur interdit de louer du quota. Ces restrictions privent les producteurs concernés d’une source de revenus supplémentaires et les empêchent d’utiliser la location pour augmenter plus rapidement les revenus et la rentabilité des plus petites installations, dont, évidemment, les entreprises en démarrage.

Les règlements ne permettent pas de fusionner et de déplacer les quotas. En conséquence, un producteur laitier ne peut acheter une autre ferme et consolider ses opérations en transférant son quota sur une seule des deux fermes, ce qui empêche les propriétaires de petites fermes qui choisiraient cette stratégie de monter plus rapidement une entreprise viable. De plus, un producteur laitier ne peut céder directement du quota à un autre, même à un membre de sa famille immédiate, qui en a besoin pour démarrer sa propre entreprise. Les ventes de quota laitier doivent obligatoirement toutes se faire par l’intermédiaire du Système centralisé de vente des quotas (SCVQ). Cette liste d’entraves liés aux règlements applicables aux producteurs laitiers n’est pas  exhaustive mais elle fait état d’obstacles particulièrement lourds pour les membres de la relève.

Jean Pronovost a aussi rencontré des jeunes producteurs d’œufs et de volaille, qui avaient généralement peu à dire sur les règlements qui encadrent leurs productions. Ceux qui les ont mentionnés étaient plutôt satisfaits. L’un d’entre eux était franchement élogieux. “ Je suis très à l’aise avec la façon dont la Fédération des producteurs d’œufs du Québec gère les quotas de production. La gestion de l’offre assure prévisibilité et stabilité. La façon dont les permis de produire sont gérés, notamment parce qu’on y permet la location de quotas, garantit un système équitable. ” Le même producteur explique pourquoi la location de quota est importante pour la relève. “ Les règlements de la Fédération permettent aux gros producteurs ou coopératives de louer à un étranger 25 % du quota détenu. Louer du quota permet de diminuer considérablement l’investissement initial pour monter une ferme. La relève peut ainsi tirer avantage d’un volume de production dont le coût au point de départ, repose sur un équilibre entre le quota loué et le quota qui appartient en propre à la ferme. Mille mètres de quota qui permet d’élever environ 12 000 poulets, dont 500 sont loués et 500 achetés, permettent lorsqu’on y ajoute le prix des bâtiments, de monter une ferme dont le coût et la production de départ restent acceptables. ”

Les limites du système.

Il faut inciter les producteurs laitiers à réévaluer plusieurs éléments de leur cadre de gestion et ce, pour aider la relève, mais aussi pour gérer adéquatement les menaces que la rareté croissante du quota et les négociations pour la libération des échanges commerciaux font planer sur leur tête et celle de l’industrie.

Les concessions convenues dans les accords de commerce (Canada et Union européenne, Partenariat Transpacifique, Canada, Mexique, États-Unis) viennent ajouter aux autres pressions qui s’exercent déjà sur les secteurs concernés, notamment sur l’industrie laitière et augmentent l’impact des problèmes que cette industrie connaît déjà. Une augmentation, même graduelle, de produits étrangers exerce nécessairement une pression à la baisse sur les quantités produites ici. Or, nos entreprises doivent pouvoir croître et continuer à se développer, ne serait-ce que pour donner une qualité de vie acceptable à leurs propriétaires et leur permettre de répondre adéquatement aux attentes des Canadiens concernant la salubrité, le mieux-être animal, la protection de l’environnement, la lutte aux changements climatiques, etc.  Parce que le quota se fait rare, les possibilités d’expansion des plus grandes entreprises se rétrécissent et les marges de productivité, qui pourraient leur permettre d’être plus compétitives, se font plus étroites. L’impact de cette problématique sur les petites fermes, dont évidemment les fermes en démarrage, risque à la fois d’être plus immédiat et nettement plus dangereux. Plusieurs d’entre elles n’ont pas encore réussi à atteindre le niveau de production qui leur assurera un minimum de rentabilité. Elles ont souvent de la difficulté à trouver ou à rembourser les sommes nécessaires pour moderniser leur équipement et adapter leurs bâtiments aux exigences du bien-être animal. Elles réussissent tant bien que mal à survivre, mais elles seront vraisemblablement les premières à couler et disparaître, si on ne leur donne pas la possibilité d’augmenter leurs revenus à un niveau décent et de mieux asseoir leur viabilité.

Pistes de solution.

Les pistes de solution évoquées par les personnes qui ont participé aux entrevues reposent sur deux priorités qu’elles considèrent comme essentielles.

Augmenter le quota disponible.

On doit multiplier les efforts pour augmenter la demande. Mais on peut aussi augmenter le quota disponible en accroissant la fluidité du système, ce qui suppose que l’on révise la règlementation pour diminuer le niveau de quota non négociable, optimiser l’utilisation du quota actuellement disponible et inciter ceux qui n’utilisent pas tout leur quota à le louer à ceux qui en ont besoin. Étant donné qu’elles sont nettement plus à risque, plusieurs suggèrent que les plus petites fermes aient accès, plus rapidement, à des quantités de quota plus significatives. Pour y arriver, il faudrait prévoir une banque de quota qui leur serait d’une façon ou d’une autre, attribuée en priorité.

Mettre à jour le cadre de gestion.

Il faudrait aussi, prendre les mesures nécessaires pour, non seulement éviter les pratiques qui défavorisent les petites fermes, mais partout où cela est possible et acceptable, favoriser les mesures qui leur permettront d’atteindre rapidement le seuil de la rentabilité. Ces mesures pourraient, par exemple, permettre un don ou une vente de quota à la relève apparentée, autoriser sous conditions la fusion de deux petites fermes et ouvrir la possibilité pour un membre de la relève d’en acheter sans pénalité, une plus grande , lorsqu’il vend une petite ferme pour en consolider une autre.

Augmenter la productivité et la compétitivité.

Le système de gestion de l’offre, qui veut soutenir et protéger un modèle de ferme plus familial, comporte, en soi, certaines limites. Les accords de commerce internationaux amplifient des problèmes qui se font déjà sentir et qui augmentent graduellement avec le temps et les exigences auxquelles les producteurs doivent faire face. Pour que le modèle survivre, il devra privilégier activement les orientations, mesures et cadres de gestion qui favorisent, dans toute la mesure du possible, la productivité et la compétitivité. Un système de production qui n’est pas compétitif oblige les citoyens à le soutenir littéralement à bout de bras, à coups de subventions. Il ne peut être durable.

4. Les problématiques de financement et de démarrage.

La hausse marquée du prix des terres et les problématiques de la gestion de l’offre ne sont pas les seuls obstacles que doivent surmonter ou vaincre les agriculteurs de la relève. Tous les entrepreneurs interrogés ont parlé d’argent et la plupart ont insisté sur l’importance de programmes qui offriraient, en plus de subventions à l’établissement et au démarrage : 

des banques de fermes ou de terres qui permettraient aux jeunes entrepreneurs de louer une ferme ou des terres à des conditions qui leur permettraient éventuellement de les acheter (location-achat) ;

différentes formules de prêts à moyen ou à long terme comportant, notamment, une période initiale sans intérêts ou à intérêt réduit et la possibilité de reporter temporairement le remboursement du capital ;

des réductions temporaires de frais, cotisations ou services qui leur semblent particulièrement lourds à porter ;  

la possibilité de pouvoir compter sur un revenu d’appoint pendant la période de préparation et de prédémarrage.

Ils insistent beaucoup sur la nécessité de mettre sur pied des banques de fermes ou de terres qui offriraient des contrats de location-achat à long terme, modulés en fonction du plan d’affaires de chacune des entreprises et des sommes qu’elle peut graduellement dégager pour acheter les terres louées. La location des terres permet à l’entrepreneur d’investir davantage, au départ, dans les autres éléments d’actif et d’asseoir plus rapidement la rentabilité de son entreprise. Ils insistent aussi sur la nécessité de connaître, au tout début de la démarche, ce qu’il leur en coûtera pour éventuellement acheter ces terres. Le fait de prévoir le prix d’acquisition au moment où l’on signe une convention de location-achat est, pour eux, une pratique d’affaires normale et souhaitable, qui contribue à éliminer au moins l’une des nombreuses incertitudes qui grèvent le métier d’agriculteur. Les entrepreneurs interrogés évoquent la nécessité de prévoir d’autres modèles et d’utiliser d’autres formes de propriété. On cite en exemple les coopératives, qui permettent de répartir les coûts et les risques de l’entreprise entre les partenaires qui y sont associés. Plusieurs ont également évoqué la possibilité de multiplier les fiducies foncières agricoles.

Bon nombre de leurs suggestions évoquent des mesures déjà en place, mais qui semblent peu ou mal connues et qui sont nettement sous-utilisées. C’est le cas de la formule vendeur-prêteur, qui permet à un exploitant agricole d’agir comme prêteur auprès du ou des acheteurs de son entreprise, en bénéficiant d’une garantie de prêt de La Financière agricole du Québec (FADQ). C’est aussi le cas du Fonds d’investissement pour la relève agricole (FIRA), une initiative conjointe du gouvernement du Québec, du Fonds de solidarité FTQ et de Capital régional et coopératif Desjardins, qui offre des solutions de financement spécifiquement destinées à la relève agricole , dont :

le prêt subordonné (prêteur de deuxième rang), qui offre un congé de remboursement de capital et d’intérêts pour une période pouvant aller jusqu’à 3 ans, période durant laquelle les intérêts sont capitalisés ;

la location-achat de terres, qui permet à un jeune entrepreneur d’avoir accès à une terre, sans qu’il ait à y consacrer une mise de fonds, tout en bénéficiant d’une protection exclusive d’achat pour la durée du bail (15 ans). Toutefois, le Fonds d’investissement pour la relève agricole (FIRA) est mal connu. En 2015, FIRA annonçait une nouvelle option à son produit d’achat-location de terres agricoles : l’option d’achat à taux d’inflation maximal de 3,5 % par année. Cette option offre une protection contre l’augmentation du prix d’achat de la terre louée et permet à la relève agricole d’investir dans son projet d’entreprise tout en étant en mesure de bien planifier l’achat de la terre au moment opportun.

Les autres mesures d’aide au financement.

Les mesures de soutien financier offertes par La Financière agricole du Québec (FADQ) et le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) sont généralement appréciées (subvention à l’établissement et au démarrage, prêts ou subventions pour l’achat de machinerie, modernisation des installations, aide à la diversification et aux circuits courts…).Quant à Financement agricole Canada, il offre lui aussi un éventail de programmes d’aide au financement des entreprises agricoles, dont certains, soit Prêt Tansfert, Prêt Jeune agriculteur et Flexi-prêt, sont spécifiquement dédiés à la relève ou aux jeunes entrepreneurs. Les entrepreneurs de la relève connaissent bien et utilisent la plupart des programmes québécois. Ils sont généralement d’accord pour affirmer la pertinence des mesures offertes et souligner l’importance du rôle que joue La Financière agricole du Québec.

Toutefois, plusieurs suggèrent d’assouplir certaines règles ou conditions, notamment celles qui touchent l’accessibilité au financement. “ Cet élément à lui seul, affirme un des interlocuteurs, pose problème à 60 % de la relève. On avait zéro cash, pour démarrer la ferme, acheter les bêtes, de l’équipement et du quota. ” Il n’est pas toujours facile, dans ces conditions, de trouver la mise de fond personnelle qu’exigent habituellement les institutions prêteuses. Selon certains, l’aide au démarrage devrait tenir compte de cette problématique, prévoir un créneau propre aux petites fermes et privilégier les infrastructures nécessaires à leur rentabilité. Ils suggèrent de demander à la FADQ de ne pas s’en tenir à des normes aveugles appliquées à la lettre, mais de les moduler en fonction des exigences et du plan d’affaires de chacun des projets. Ils aimeraient également lui suggérer de concevoir ses mesures d’aide financière comme un programme qui accompagne les entreprises, quitte à faire un suivi plus serré des projets financés et à demander un remboursement de la subvention s’il y a abandon de l’activité agricole.

On remet aussi en question l’âge limite d’admissibilité aux programmes d’aide à la relève, soit 40 ans. Sauf peut-être pour les enfants d’agriculteurs reprenant la ferme familiale, je crois que la plupart des jeunes de la relève d’aujourd’hui ont un cheminement professionnel qui fait en sorte que ce n’est pas forcément à 20-25 que la majorité est prête à se lancer en agriculture. Si l’on parvient à réaliser son rêve d’agriculteur à 35 ans, on ne devrait pas être limité et freiné par un âge butoir. ”

Les jeunes de la relève suggèrent aussi que l’on réexamine la durée et les modalités de remboursement des prêts. On souligne que les institutions financières et les bailleurs de fonds doivent comprendre que les processus de démarrage sont longs et, compte tenu des sommes en jeu, qu’ils peuvent durer de nombreuses années. On peut en préciser au moins 3 phases.

Phase 1. Le processus commence généralement par une période de préparation plus ou moins longue pendant laquelle l’entrepreneur prépare et présente son plan d’affaires, obtient les autorisations et permis nécessaires et négocie son financement. La ferme ne produit pas encore et l’agriculteur-entrepreneur doit souvent improvisé pour tout simplement survivre. Fait à noter, plusieurs d’entre eux ont souligné que la mesure Soutien au travail autonome, offerte par les Centres locaux d’emploi (CLE) et les Centres locaux de développement (CLD), leur avait fourni, pendant cette phase préparatoire, un soutien extrêmementprécieux. Un jeune entrepreneur affirme que le facteur déterminant, à son avis, a été la contribution de la mesure Soutien au travail autonome, qui lui a assuré un revenu de 400 $ par mois et ce, pendant 52 semaines. Cette somme, si faible soit-elle, lui a permis de se consacrer à la planification et au lancement de son entreprise, au moment précis où elle ne pouvait lui assurer un revenu. Sans le revenu offert dans le cadre de cette mesure, il aurait dû avoir recours au travail extérieur. Selon lui, lancer une entreprise agricole ne se fait pas à temps partiel. Un autre suggère d’ailleurs d’en faire une partie intégrante des programmes d’aide au démarrage. Les CLD, il faut le souligner, ont aussi contribué à bonifier le plan d’affaires de plusieurs entreprises de la relève.

Les jeunes insistent beaucoup sur la nécessité d’acquérir une expérience pratique. Bon nombre de ceux qui n’ont pas grandi sur une ferme ont fait du travail agricole rémunéré, des stages pratiques dans des fermes, ou ont lancé leur projet sur les terres et avec l’aide de la Plateforme agricole de l’Ange-Gardien. Cette plateforme est un projet incubateur du Centre de recherche et de développement technologique agricole de l’Outaouais. Établie sur une ferme achetée par la municipalité et bénéficiant des autorisations nécessaires de la Commission de protection du territoire agricole du Québec, elle accueille, pour un maximum de 5 ans, dans une formule clés en main et sur des parcelles louées, une dizaine de petites entreprises agricoles en démarrage. Les parcelles sont certifiées bio et les entreprises en démarrage peuvent utiliser des infrastructures communes comme une serre chauffée, des tunnels, un système d’irrigation et une chambre froide. Elles peuvent aussi utiliser la machinerie agricole disponible. Certains ont bénéficié des conseils et du soutien d’un mentor. Quelques-uns ont travaillé pour des organisations humanitaires dans des pays en développement. On a souligné également l’importance des services-conseils et d’une bonne formation en gestion.Beaucoup de jeunes agriculteurs sont inspirés, mais ce qu’il faut, c’est de la formation. Les jeunes agriculteurs ne connaissent pas assez les exigences de la gestion et les règles de financement. Ils doivent aller dans les banques pour se faire conseiller. Les fermes, il ne faut pas l’oublier, sont devenues des entreprises. Il faudrait sensibiliser les agriculteurs aux avantages des bonnes techniques de gestion et leur offrir l’aide-conseil de gens qui ne sont pas des fermiers : experts en marketing, en finance et en gestion. ”

Phase 2. La deuxième phase est celle du démarrage et du rodage de l’entreprise. Les revenus commencent à se matérialiser, mais les frais d’opération aussi. L’entreprise a encore besoin d’un peu de temps pour atteindre un certain rythme de croisière et de rentabilité, mais elle doit généralement continuer d’investir et sa dette augmente en conséquence.

Phase 3. La troisième phase est celle de la consolidation et de l’augmentation de la productivité. C’est également la période de remboursement des dettes, une période qui varie énormément en fonction du montant en jeu. Ici encore, le facteur temps fait partie intégrante de la démarche et l’étalement dans le temps de l’effort de remboursement doit respecter la capacité qu’à l’entreprise de générer des surplus d’exploitation.

Il faut donc amorcer le processus relativement tôt et chercher systématiquement, dès le point de départ, à installer et soutenir les éléments essentiels au succès de chacune des entreprises. L’aide financière à la relève doit refléter et respecter le mieux possible son plan d’affaires. Plusieurs ont souligné que l’attitude de Financement agricole Canada est plus entrepreneuriale que celle de la FADQ, que ses décisions s’appuient moins exclusivement sur les garanties financières, pour miser aussi sur la personnalité de l’entrepreneur et le potentiel de remboursement du projet, ce que la FADQ fait moins spontanément. Même lorsqu’ils dénoncent certains critères ou certaines façons de faire, les jeunes entrepreneurs restent relativement satisfaits des services de La Financière agricole du Québec (FADQ) et saluent sa contribution à leur projet.

La plupart des pistes de solutions évoquées par les jeunes entrepreneurs se limitent à des mesures d’aide financière ou nous invitent à les moduler différemment. Certains suggèrent toutefois qu’il faudrait aller plus loin et miser davantage sur les fiducies foncières. Une fiducie est essentiellement un arrangement légal, un contrat par lequel une personne transfère de son patrimoine à un autre patrimoine, des biens qu’elle affecte à une fin particulière et qui sont détenus et administrés par un fiduciaire. Le contrat définit les objectifs et les conditions du transfert. Par exemple, on peut monter une fiducie qui garantira qu’un vignoble ou un verger ne sera pas remplacé par des grandes cultures. Tout dépendant évidemment du modèle de propriété retenu, une fiducie foncière agricole peut faciliter l‘accès à la terre, en favorisant le partage de la propriété et du coût d’acquisition de la terre entre la fiducie et les agriculteurs qui souhaitent l’exploiter. Les fiducies foncières peuvent contribuer à diminuer, là où elles existent, les problèmes d’accès et d’augmentation du prix des terres, mais il s’agit d’une mesure complexe qui demande temps et efforts. On suggère donc de réviser et de simplifier les règles qui encadrent la création de cet outil.  Plusieurs interlocuteurs ont insisté sur le potentiel de différents modèles d’organisation qui permettent à des jeunes agriculteurs de s’associer avec d’autres pour mieux partager les coûts et les tâches, ouvrent l’agriculture à ceux qui y ont difficilement accès ou donnent aux entreprises de nouvelles possibilités de développement. Ils suggèrent de faire une place :

aux coopératives de travailleurs et aux coopératives de solidarité ;

à des coopératives qui regroupent plusieurs fermes ou unités de production complémentaires dans un ensemble polyvalent ;

à des modes d’organisation où plusieurs exploitants, individus ou entreprises, fusionneraient, dans une même entreprise, les fermes dont ils sont actuellement les seuls propriétaires ;

à des coentreprises qui associeraient des investisseurs privés non apparentés à des agriculteurs exploitants. Le modèle d’affaires utilisé par la société PANGEA fait partie de ces modèles. Le modèle d’affaires de PANGEA mise explicitement sur des coentreprises avec des agriculteurs en place et les grandes cultures.

Il serait sans doute intéressant de développer plus avant d’autres modèles, dont le modèle coopératif, qui semblent particulièrement adaptés aux besoins d’autres types de fermes, dont les entreprises maraîchères ou horticoles. Les fermes coopératives sont relativement plus accessibles aux jeunes sans économies et les fermes maraîchères ont grand besoin de main-d’œuvre. Il y a place pour de nouvelles approches.

Pistes de solution.

Plusieurs municipalités régionales de comtés (MRC) ou organismes offrent déjà des plates-formes informatisées qui veulent favoriser les transferts et les partenariats dont ont besoin les jeunes entrepreneurs pour réaliser leurs projets. Les jeunes de la relève suggèrent d’aller plus loin et d’appuyer les appariements réalisés par ces plates-formes par des fonds qui achèteraient des terres, pour les louer à moyen ou à plus long terme, aux agriculteurs de la relève. Le Fonds d’investissement pour la relève agricole (FIRA) est certainement un très bon pas dans la bonne direction. Le FIRA peut aussi appuyer différents types de modèles et de démarches, ce qui en fait un outil relativement souple et polyvalent. Notons que le volet prêt subordonné du FIRA facilite l’accès aux jeunes entrepreneurs qui ont de la difficulté à offrir des garanties. Les fiducies foncières pourraient aussi fort bien élargir l’offre et la disponibilité de terres, là où l’on a choisi de les mettre en place. Certaines initiatives comme le projet pilote Eco-Territoire 21 de la Ville de Longueuil pourrait également contribuer à élargir l’accès aux terres agricoles, tout en fournissant un magnifique exemple de ce que peut réaliser l’agriculture périurbaine. Ce projet veut remettre en culture de très bonnes terres agricoles qui avaient été subdivisées en petits lots et qui étaient vouées à des fins résidentielles, pour être ensuite laissées à l’abandon. Cette initiative vise à encourager la commercialisation en circuit court, à favoriser l’achat local et à susciter un rapprochement entre les milieux agricole et urbain. Elle a aussi pour objet de faire coexister espaces naturels et espaces agricoles dans un contexte où peut se déployer la multifonctionnalité de l’agriculture périurbaine. Ces initiatives ne sont pas des panacées. Il faut les voir comme des opportunités des moyens d’élargir l’éventail des possibilités.

Pour être à la fois robuste et attrayante, l’agriculture québécoise doit ouvrir à ses jeunes entrepreneurs le plus grand nombre d’avenues possibles. Il y a aussi des propositions qui permettent d’être encore plus ambitieux. La Coopérative fédérée recommandait l’élargissement du mandat du Fonds d’investissement pour la relève (FIRA) et la création d’un fonds d’investissement public pour soutenir les projets d’acquisition. Des fonds de ce type, qui pourraient demeurer propriétaires du sol et le louer à des jeunes agriculteurs jusqu’à ce qu’ils soient prêts à l’acquérir, répondrait bien aux besoins exprimés par plusieurs jeunes de la relève. Ces fonds auraient aussi, tout comme le FIRA actuel, le net avantage de moins solliciter les fonds publics. Ils permettraient également d’associer plus directement à leur agriculture les citoyens qui choisiraient d’y investir. Les fichiers informatisés des banques de terres et le Fond d’investissement pour la relève agricole (FIRA) peuvent facilement offrir aux jeunes de la relève plusieurs des éléments qu’ils définissent comme étant essentiels. Le FIRA devrait, avec ses partenaires, prendre les mesures nécessaires pour mieux faire connaître ses programmes, montrer comment ils peuvent soutenir différents modèles et souligner l’effet levier d’une location-achat sur le rythme de démarrage d’une ferme.

Quelle que soit la nature du programme, l’accès au financement et ses modalités doivent aussi, partout où cela est nécessaire, être modulés en fonction du plan d’affaires de l’entreprise, ou adaptés avec souplesse aux caractéristiques propres à chacun des projets. Il faut simplifier les programmes d’aide financière et concevoir les mesures déjà en place comme faisant partie d’une trousse d’instruments qui se complètent les uns les autres et dans laquelle on ira puiser très exactement ceux qui sont pertinents et adaptés à chacun des projets. C’est dans cette perspective qu’il faudrait examiner systématiquement les conditions d’admissibilité à ces mesures et vérifier si elles ont concrètement la souplesse nécessaire pour soutenir adéquatement tous les genres de ferme. Pourquoi limiter l’accessibilité de certains programmes à ceux qui ont 40 ans et moins, quand bien souvent, les seconds projets de carrière sont portés par des gens dont le bagage professionnel constitue souvent un atout ? Pourquoi oblige-t-on les petites fermes maraîchères à se doter de superficies cultivables qui sont supérieurs à celles dont elles ont besoin ? Il faudrait également vérifier si ces mesures tiennent adéquatement compte des types de production. Par exemple, une plantation d’arbres fruitiers exige souvent de longues années de croissance avant de contribuer aux revenus de la ferme. Ce que les jeunes de la relève proposent et souhaitent pourrait idéalement se décrire de la façon suivante :

les jeunes entrepreneurs présentent leur plan d’affaires à la FADQ, indiquent les ressources sur lesquelles ils peuvent compter et le font approuver ;

la FADQ, à partir d’un cadre souple qui laisse certaines marges de manœuvre au bureau qui traite le dossier, dégage une enveloppe projet précisant les créneaux (achat-location de terres, construction, ou encore mise à niveau d’équipement) où elle peut soutenir le projet et les montants que ses politiques lui permettent d’y consacrer ;

en s’appuyant sur le plan d’affaires, l’enveloppe précise l’étalement de ces contributions dans le temps, les conditions que doit respecter l’entreprise, y compris des points ou des indicateurs de contrôle et les modalités de remboursement ;

l’évolution de l’entreprise et la réalisation de son plan d’affaires font ensuite l’objet d’un suivi périodique, orienté d’abord vers l’accompagnement du projet.

Les entreprises agricoles sont de plus en plus diversifiées. Productions émergentes, nouveaux modèles d’entreprise, petits ateliers de transformation, agrotourisme et autres se conjuguent pour créer des plans d’affaires qui sortent des sentiers battus et échappent souvent aux critères habituels. On pourrait suggérer à la FADQ et au MAPAQ de se doter, au central, d’une petite équipe multidisciplinaire qui aurait pour mission d’examiner les projets novateurs, les cas d’exception et les projets qui obéissent mal aux modèles connus. Cette équipe pourrait, cas par cas, développer une jurisprudence administrative qui aiderait mieux à soutenir des projets qui sont de plus en plus diversifiés et novateurs. Dans le même esprit, il faut également porter une attention particulière aux nouveaux modèles qui peuvent enrichir les stratégies déjà en place et encourager les formes de propriété ou d’association (coopératives, société qui regroupe des actionnaires exploitants non apparentés et d’autres formes d’organisation) qui permettent de répartir le coût d’achat des fermes entre plusieurs partenaires ou d’augmenter à la fois leur taille et leur productivité.

5. L’agriculture de proximité.

Les entrevues réalisées montrent clairement l’émergence, dans toutes les régions, d’un véritable réseau de petites fermes qui forment un sous-ensemble bien identifiable. Les propriétaires exploitants de ces petites fermes ont sensiblement la même vision et partagent la même philosophie. Ils aiment bien nous rappeler que la terre est notre habitat et que la production des fermes est destinée à la nourriture des humains. Toutefois, leur modèle d’affaires est bien différent du modèle classique et pose à l’agriculture québécoise des défis bien particuliers. Il ne faudrait surtout pas se méprendre. Les exploitants des petites fermes de proximité sont de vrais entrepreneurs, mais des entrepreneurs qui obéissent à des impératifs un peu différents de ceux qu’impose une vision plus strictement économique des choses. Plusieurs sont des fermes maraîchères, généralement certifiées biologiques, qui vendent leurs produits en utilisant la vente directe au client, les kiosques à la ferme et les paniers ASC (agriculture soutenue par la communauté), ainsi que les circuits courts de commercialisation tels les marchés publics. D’autres misent sur la diversification et font aussi de l’élevage, notamment du poulet, du lapin, du canard et de l’agneau. Certains s’associent à d’autres fermes du même type pour élargir la gamme de produits offerts dans leurs paniers ou y  ajouter d’autres types de produits, par exemple des œufs, des petits fruits ou des fromages. Plusieurs offrent également à leurs clients des mets pré cuisinés qu’ils mettent eux-mêmes en marché en utilisant sensiblement les mêmes circuits de distribution. Directement responsables de la mise en marché de leurs produits, ces fermes sont évidemment très sensibles aux besoins des collectivités où elles sont installées et cherchent systématiquement les meilleures façons d’y répondre. D’ailleurs, plusieurs aiment bien se qualifier de fermes de famille et leurs propriétaires valorisent énormément les relations directes et suivies qu’ils entretiennent avec leurs clients. Leur désir de contribuer à faire évoluer certaines valeurs explique sans doute pourquoi plusieurs intègrent aussi dans leur plan d’affaires des activités à vocation nettement plus sociale. À cet effet, notons l’accueil et la supervision de stagiaires en démarche de réhabilitation, l’aide-conseil aux jardins communautaires, la supervision d’ateliers de jardinage offerts par des camps de jour et la contribution aux banques alimentaires. Les mieux établies d’entre elles se sont taillées une place enviable et emploient plusieurs personnes. Leur contribution est appréciée et partout où elles s’installent, les relations entre les Québécois et l’agriculture se font un peu plus personnelles.

Leurs besoins sont relativement modestes. Toutefois, la plupart se heurtent aux mêmes obstacles, surtout le coût et la disponibilité des terres. Elles sont unanimes à dénoncer les politiques et le manque de souplesse de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ), qui s’oppose au morcellement des terres, même pour un usage agricole. Selon un jeune agriculteur : “ La Commission devrait adopter un regard différent quant au morcellement des terres lorsque les demandes visent simplement à permettre l’accessibilité à de plus petites terres agricoles dans le but de les cultiver. Ce principe m’apparaît exactement de l’ordre de la protection du territoire agricole. En ne modifiant pas ses pratiques, la Commission nuit à la diversité et à la pérennité de l’agriculture québécoise, puisqu’elle contribue à rendre les terres agricoles uniquement accessibles à de gigantesques entreprises, qu’elles soient d’ici ou d’ailleurs ”. La rentabilité d’une ferme ne dépend pas toujours de sa taille, ce qu’entre autre, l’expérience de la ferme La Grellinette a bien démontré avec 40 produits cultivés sur moins d’un hectare. Les politiques de la CPTAQ et de plusieurs institutions prêteuses font partie intégrante d’un modèle qui convient mal aux fermes de famille et aux plus petites fermes. Le coût des terres et la taille des emprunts que les petits agriculteurs doivent contracter pour les acheter les privent souvent d’une partie des ressources de base dont ils devraient normalement disposer pour acquérir la machinerie et les infrastructures qui leur sont nécessaires pour assurer leur productivité ou allonger la période de production. Soulignons ici, l’initiative du gouvernement québécois qui a lancé, en novembre 2020, un programme pour doubler la production de légumes en serre d’ici 5 ans. Un investissement de 91 millions de dollars permettra, en autre chose, de rembourser 50 % des dépenses des petits producteurs maraîchers pour prolonger la saison de leur production. De plus, le gouvernement a demandé à Hydro-Québec, d’accorder un rabais de 50 % de la facture d’électricité de leur installation en serre. Plusieurs demandent également l’application d’une subvention pour l’achat de l’équipement de chauffage à l’électricité dont le coût est relativement élevé. Qui plus est, les programmes qui veulent les aider à surmonter ce problème ne leur sont accessibles qu’à partir d’un seuil de revenus bien précis, ce qui en fait de facto des programmes post-démarrage. Ils ont aussi souvent besoin d’un revenu externe pour traverser adéquatement la période de rodage. Plusieurs ont choisi des productions qui ont du potentiel, mais qui ne sont pas encore très connues ou exploitées au Québec, notamment le houblon, l’argousier, le camérisier, les plantes médicinales et les champignons. D’autres veulent transformer eux-mêmes au moins une partie de leur production, ce qui exige des investissements additionnels, bien sûr, mais aussi beaucoup de polyvalence et des services-conseils appropriés.

Toutes les petites fermes comptent sur des circuits de mise en marché directe qu’elles doivent souvent développer. Plusieurs suggèrent des mesures qui permettraient de mieux exploiter ces réseaux et leur assurer de meilleurs revenus. La demande pour des poulets fermiers et des œufs produits de façon plus artisanale est très forte. Ces produits ont un effet multiplicateur sur l’ensemble de leurs ventes. La plupart des personnes rencontrées demandent avec insistance qu’onrelève le plafond, qui limite actuellement à 100 le nombre de poulets  et de poules pondeuses qu’elles peuvent détenir hors quota. Pour elles, la hausse des seuils qui limitent la production hors quota est la clé qui leur permettra de bâtir la ferme qu’elles souhaitent et d’assurer sa pérennité. Elles mentionnent que le Québec et Terre-Neuve sont les seules provinces où les seuils sont aussi bas. On évoque aussi l’hypothèse de modèles de mise en marché qui regrouperaient la production de plusieurs petites fermes pour répondre aux besoins, notamment d’une école, d’un magasin ou d’un hôpital. On pourrait examiner la possibilité de collectiviser l’offre de produits des petites fermes, afin de leur permettre de participer plus facilement à certains achats institutionnels. ” Une jeune productrice déplore aussi et c’est pour elle un obstacle majeur, “ que les plans conjoints, par différents moyens ou clauses réglementaires, encadrent les ventes directes nonobstant les dispositions de la loi qui stipulent pourtant bien clairement que les plans conjoints ne couvrent pas les ventes directes. Il faut faire respecter la loi. ”

Pour plusieurs, les cotisations et droits exigés des petits producteurs qui démarrent leur entreprise mobilisent un part importante de leurs ressources. On souligne le coût cumulatif des permis, des honoraires légaux, des expertises professionnelles et des contributions exigées par les ministères, organismes et fédérations de producteurs. Plusieurs suggèrent également de rembourser aux producteurs, en totalité ou en partie, le coût de la certification biologique. On souligne le poids des exigences administratives et de tous les formulaires, rapports et questionnaires qui souvent se recoupent et doivent être remplis en double. On souligne également, que les formalités bureaucratiques imposées aux petites fermes sont souvent conçues pour des entreprises traditionnelles et de plus grande taille. Ces frais et la charge de travail que ces formalités représentent, hypothèquent lourdement leur maigre chiffre d’affaires de départ. Assurer à la ferme un revenu décent qui leur permet de rémunérer correctement ses employés est une préoccupation de base où les stratégies de mise en marché occupent beaucoup de place. La diversification de la production, le développement du réseau des marchés publics et l’accès aux marchés institutionnels suscitent beaucoup d’intérêt et de commentaires.

Pistes de solution.

Il faudrait retoucher les politiques de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ), afin qu’elles tiennent mieux compte de la taille souhaitable des petites fermes et qu’elles permettent à leurs propriétaires d’y avoir une résidence. La CPTAQ pourrait gérer autrement, se donner des règlements mieux adaptés aux plus petites fermes, assortir ses autorisations de conditions qui, si elles ne sont pas respectées, pourraient, à la limite, lui permettre de reprendre la ferme et la vendre à quelqu’un d’autre.

Comme il a été suggéré pour les entreprises en démarrage, il serait souhaitable de voir l’aide financière que peut leur accorder l’État comme un tout qui serait configuré en fonction d’un plan d’affaires structuré, soutenu par des mesures et des programmes adaptés à leur modèle d’affaires. La révision des conditions d’admission et les critères qui forment l’architecture des programmes de La Financière agricole du Québec, afin de leur permettre de s’insérer dans un tout cohérent qui respecterait les aspects plus particuliers de leur plan d’affaires et l’assouplissement des règles de la CPTAQ, afin de mieux accueillir leurs projets et les aider à développer leur chiffre d’affaires sont, sans aucun doute, les deux éléments stratégiques qui permettraient , à peu de frais, d’asseoir leur viabilité économique tout en favorisant la création d’emplois en région. Pour ne donner que quelques exemples de gestes stratégiques qui permettraient d’augmenter le chiffre d’affaires des fermes de proximité et de contribuer à la création d’emplois en région, il serait souhaitable :

de hausser le seuil qui limite la production hors quota de volailles et d’œufs. L’impact de cette mesure sur les revenus des producteurs spécialisés serait négligeable. Elle fournirait toutefois aux fermiers de famille un précieux levier de mise en marché ;

que les partenaires directement interpellés par les problèmes de la relève agricole accordent, le cas échéant, un congé ou un diminution sensible de cotisation, d’une durée de deux ou trois ans, aux entreprises en démarrage ;

de négocier, avec une chaîne de magasins d’alimentation à grande surface, un arrangement par lequel ses points de vente offriraient prioritairement, en saison et là où ils sont disponibles, les produits de l’agriculture locale. La mesure permettrait aux plus petites fermes d’augmenter le volume de certaines productions et viendrait donner encore plus de visibilité aux campagnes de publicité qui prônent l’achat de produits québécois ;

d’examiner le potentiel d’une stratégie de type “ Associez-vous à une ou des fermes de la région ”, qui donnerait à l’agriculture de proximité un accès graduel au marché institutionnel des écoles primaires et des garderies.

Ces entreprises obéissent à un autre modèle que la ferme plus traditionnelle à laquelle nous sommes habitués. Ce modèle est de plus en plus visible, mais il n’est pas le seul à vouloir s’affirmer. Nos politiques et mesures doivent se donner la souplesse nécessaire pour accommoder plusieurs modèles.

La relève et les organismes de gouvernance.

Un jeune agriculteur rapportait que les principaux obstacles qu’il a rencontrés sont liés au modèle familial prôné et défendu par l’Union des producteurs agricoles (UPA), un modèle qui suppose la transmission de père en fils, un modèle peu perméable aux non-initiés. Plusieurs questionnent les règles de gouvernance qui permettent à un comité de ne pas transmettre aux paliers supérieurs de l’UPA une résolution dûment votée par un syndicat local. Ils y voient une façon de protéger les intérêts des membres les plus influents. Plusieurs souligne que l’UPA a peu de considération pour plusieurs revendications des petits producteurs et que ses orientations, de façon générale, penchent en faveur d’une agriculture plus industrielle. Plusieurs ont également critiqué la façon dont sont élaborés et administrés les plans conjoints. Les plans conjoints sont élaborés par une grosse machine qui ne nous appartient pas. Les petits producteurs sont plus nombreux que ceux qui contrôlent cette machine, mais n’ont pas voix au chapitre. ” Plusieurs ont également souligné que les cotisations à l’UPA sont élevées et représentent un poids non négligeable, surtout pour les petites fermes. On suggère de moduler la cotisation pour tenir compte de la taille de la ferme. De plus, on n’apprécie pas d’être obligé de verser sa cotisation à l’UPA pour bénéficier du crédit sur les taxes foncières agricoles et encore moins de se le faire rappeler par le MAPAQ. Très anormal et douteux d’ailleurs que l’admissibilité à un crédit gouvernemental requière le paiement d’une cotisation syndicale à un organisme bien précis. De plus, pour ma microferme, moins d’un hectare en culture, le montant des taxes foncières agricoles est inférieur au coût annuel de la cotisation à l’UPA. Il me semble que si l’UPA avait à cœur d’aider la relève agricole, elle devrait s’ajuster et être sensible à la réalité des petites fermes. ” Les jeunes entrepreneurs souhaitent une démocratie syndicale plus ouverte et plus transparente et que l’UPA révise sa culture organisationnelle et la façon dont il exerce ses responsabilités.

Plusieurs affirment que certains des critères d’admissibilité aux programmes de La Financière agricole du Québec (FADQ) devraient être revus. Ils déplorent plusieurs éléments de la grille de référence dont elle se sert pour rendre ses décisions. On lui reproche aussi et beaucoup, sa tendance à ne pas trop s’éloigner du terrain connu et de sa propension à favorise les modèles d’entreprise plus traditionnels. On n’apprécie pas que la FADQ devienne à l’occasion“  l’allié et en quelque sorte le percepteur de l’UPA.Cependant, la FADQ est avec le MAPAQ, un partenaire habituel dont la plupart des entrepreneurs ne pourraient se passer et dont ils apprécient les services. Plusieurs ont souligné que l’appui des partenaires régionaux et des ministères a été significatif et déterminant pour le développement de leur entreprise, même si, à l’occasion, cet appui a connu des ratés.

Conclusion.

Les entrevues réalisées avec les jeunes de la relève montrent bien que les fermes québécoises ont de multiples visages et qu’elles s’inspirent d’une variété de modèles. Ces jeunes plaident pour que les politiques, programmes et mesures qui encadrent l’agriculture soient capables de s’adapter aux différents types d’entreprise et à l’environnement d’affaires dans lesquels ces entreprises évoluent. Les échangent avec les jeunes entrepreneurs montrent clairement que les  politiques et mesures d’aide à la relève sont prioritairement et trop exclusivement, axés sur un modèle, qui donne à la ferme familiale traditionnelle  un pouvoir quasi normatif enchâssé au centre de nos stratégies les plus structurantes. Les fermes de proximité, les fermes familiales traditionnelles et les entreprises agricoles à fort volume sont souvent complémentaires, mais fréquentent des univers bien différents. L’intérêt de l’agriculture et des québécois nous demande d’accueillir et tenir en équilibre plusieurs modèles d’entreprises agricoles. Pour bien servir l’agriculture, les politiques et mesures d’aide à la relève doivent être souples et pouvoir s’adapter à des réalités qui ont, bien entendu, beaucoup en commun, mais aussi des différences significatives.

Les diagnostics et suggestions des jeunes agriculteurs nous lancent aussi un autre message, celui de jeunes entrepreneurs compétents et sûrs d’eux-mêmes qui demandent essentiellement :

de lever les contraintes et les règles du jeu qui leur imposent des coûts inutiles, les forcent à épouser les modèles d’affaires qui ne sont pas compétitifs ou leur interdisent des stratégies qui sont pourtant choses communes dans tous les autres secteurs. Pourquoi leur impose-t-on d’acheter plus de terres que ce dont ils ont besoin ?

de hausser les seuils qui limitent indûment certaines productions. Pourquoi notre système est-il tellement restrictif lorsqu’il fixe les seuils qui limitent les productions hors quota ?

de leur donner accès à des formules de financement plus souples et adaptées à leurs besoins. Les entreprises en démarrage sont souvent appelées à emprunter des sommes substantielles pour réaliser leurs projets. Pourquoi leur imposons-nous des conditions qu’ils ne pourront satisfaire qu’en période de post-démarrage ou lorsqu’ils auront acquis suffisamment d’actifs ?

de leur permettre d’emprunter de nouveaux modèles et de mieux soutenir l’innovation.

Les jeunes entrepreneurs agricoles demandent qu’on leur ménage un environnement d’affaires semblable à celui que connaissent les autres secteurs de l’économie. Ils ne demandent surtout pas de passe-droits. Ils demandent tout simplement qu’on leur donne la liberté d’entreprendre dans des conditions normales de succès.

Et ce succès, résultant de nouveaux modèles de production, de transformation, de mise en marché, de distribution et de consommation, pourrait alors ressembler à celui des agriculteurs français du reportage intitulé ‘ Agriculteurs et Heureux ‘ présenté 7 janvier 2021 par la magazine Envoyé Spécial de la rédaction de France 2.

Pour développer une compréhension encore plus concrète des problématiques soulevées par le présent rapport, je vous invite à regarder le reportage La ferme et son état, qui enquête sur les projets de fermes à échelle humaine et sur les obstacles politiques et économiques qui les empêchent de se déployer au Québec.


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