Automatiser ses pensées, s’y accrocher et cesser de réfléchir.
Les psychologues savent depuis plusieurs années, que nos apprentissages passés ont une influence sur nos pensées et nos actes présents, même si nous ne nous en souvenons pas consciemment ou délibérément. Nous avons une mémoire consciente, dite explicite, de nos apprentissages et de nos expériences. Mais nous avons aussi une mémoire inconsciente, ou mémoire implicite, qui emmagasine inconsciemment une somme d’informations qui affectent nos pensées et nos comportements. Pour évaluer la mémoire implicite, les chercheurs utilisent une méthode nommée amorce. Celle-ci consiste d’abord à prendre connaissance d’un certain nombre d’informations par l’écoute, la vue ou la lecture. Par la suite, on vérifie si cette information influence ou non les résultats dans une autre activité, une autre tâche ou un autre exercice. Les résultats démontrent que l’information d’une première tâche, emmagasinée dans la mémoire implicite a pour effet d’amorcer inconsciemment certaines réponses produites dans le cadre d’un second exercice.
Un phénomène associé à l’amorce a aussi été observé par les neuroscientifiques. Ceux-ci ont constaté que l’amorce s’accompagnait d’une réduction d’activité de certaines régions du cerveau impliquées dans l’exécution de la tâche. Ils ont donc distingué “ l’amorce comportementale ”, liée aux performances associées à une tâche donnée et “ l’amorce neuronale ”, qui concerne la baisse d’activité du cerveau qui accompagne l’amorce comportementale. Gagan Wig et son équipe de l’université de Hanovre, au New-Hampshire, ont démontré qu’il existait un lien de cause à effet entre l’amorce neuronale et l’amorce comportementale. Essentiellement, la diminution de l’activité cérébrale reflète le fait que le cerveau dépense de moins en moins d’énergie pour effectuer la tâche. Au début de l’exercice, le fait de relier, par exemple, une image à une catégorie met en marche des millions de neurones et nécessite une activité intense du cerveau. Puis, progressivement, seules les connexions les plus efficaces sont conservées. Il en résulte donc une réduction d’activité et une économie d’énergie pour le cerveau. Les automatismes qui se créent réduisent le nombre de neurones nécessaires pour effectuer le travail. Sébastien Bohler appliquent les résultats de Wing et son équipe, aux opinions que l’on se forge sur différents sujets. Leurs expériences montrent que l’opinion permet au cerveau de fonctionner en mode “ économie d’énergie ”. Ce processus économique, qui crée des automatismes de la pensée, à un prix à payer. Il conduit à une difficulté à modifier nos opinions. En d’autres termes, il mène à nous borner à soutenir des opinions même, si celles-ci sont fausses ou obsolètes, car il est plus économique et facile de se référer à une opinion existante que d’en construire une nouvelle.
Pourquoi développer une conscience nouvelle.
L’être humain s’accroche inconsciemment à ses idées et à ses opinions. Le prix à payer est grand : son cerveau devient paresseux, son activité diminue et il devient difficile pour lui d’accueillir de nouvelles idées et opinions. C’est pourquoi, il reste attaché aux traditions et pense que tout était mieux avant, ce qui conduit à une difficulté à modifier ses comportements et à s’adapter à la nouveauté. L’être humain peut apprendre et connaître beaucoup de choses mais cela ne garantit pas qu’il arrive à ajuster ses comportements et ses attitudes à ses connaissances. En d’autres termes, le cinquième bogue du cerveau humain montre que l’être humain est prédisposé à être borné et à ne pas accueillir les nouvelles idées et le changement. Il préfère dire, parce que s’est plus facile, que c’était mieux avant. L’expérience menée par Gagan Wig et ses collègues a montré que, l’amorce comportementale est reliée à une baisse d’activité neuronale. Ce qui veut dire que l’on dispose de moins de neurones pour créer d’autres idées, pour modifier nos opinions ou pour élabore de nouveaux concepts. Cela explique aussi pourquoi nous sommes si accrochés à nos idées et à nos opinions. En somme, les opinions bien arrêtées sont reposantes car, pour modifier une opinion, il faut remodeler nos connexions cérébrales, activer intensément nos structures frontales et dépenser une certaine dose d’énergie. Les automatismes utiles dans certaines circonstances, deviennent alors des barrières pour les idées nouvelles. Ces travaux montrent le vrai visage des opinions : des automatismes de la pensée. En sélectionnant des circuits économiques, le cerveau rend peu probable la circulation de l’information vers d’autres circuits. Parce qu’ils sont reposants, les automatismes de la pensée viennent limiter la liberté de penser. Le mécanisme d’amorçage repose sur l’emmagasinage d’informations dans la mémoire implicite. Dès que notre cerveau est un tant soit peu sollicité, l’amorce s’active et les automatismes se mettent en marche. Tout cela se fait inconsciemment. Il suffit en quelque sorte d’être exposé à une information pour qu’elle s’emmagasine dans la mémoire implicite, particulièrement si elle est répétée. C’est pourquoi toutes les informations véhiculées dans les médias, notamment s’inscrivent dans notre mémoire inconsciemment. C’est ainsi que les messages répétés dans les nouvelles, les diverses émissions et les débats deviennent progressivement et inconsciemment, pour ne pas dire insidieusement, des opinions publiques. La répétition crée une inscription implicite dans le cerveau qui ne demande qu’une occasion pour s’amorcer, sans avoir à réfléchir ni à dépenser trop d’énergie. Il suffit par la suite de se retrouver dans une situation où un sujet est abordé pour se voir répéter bêtement quelque chose qu’on a vu, lu ou entendu aux nouvelles télévisées, dans les journaux ou à la radio, comme s’il s’agissait d’une profonde réflexion de notre part.
On construit donc la plupart de nos opinions sur la base des éléments d’information inscrits inconsciemment dans notre mémoire implicite qui a été bombardée à répétition. C’est là que réside fondamentalement l’immense pouvoir de la presse et des médias d’information : le pouvoir de répéter et, par conséquent, d’inscrire dans l’inconscient collectif une pensée, une vision des choses, une façon de réagir aux événements. Même le système scolaire, coincé dans ses programmes et bousculé dans ses échéanciers, n’a pas cette possibilité de montrer sous diverses formes, la même information des dizaines de fois par jour. C’est ce qui explique, entre autres, que la culture est plus forte que l’éducation en termes d’influence. En étant directement ou indirectement exposé à plusieurs reprises à la même information, il suffit d’une simple amorce pour que celle-ci ressorte sous la forme d’une opinion bien arrêtée. Malheureusement, ces opinions s’amorcent de façon inconsciente et involontaire à partir d’un nombre restreint de neurones. L’activité des zones du cerveau responsables de créer des idées nouvelles est alors mise en veilleuse. Les multiples automatismes de la pensée individuelle et collective mènent à ce qu’on appelle la culture populaire. Nous nous accrochons à tout, particulièrement à nos idées comme si elles venaient entièrement de nous alors qu’elles ne sont dans la majorité des cas, que l’expression implicite de ce qu’il y a d’emmagasiné dans une mémoire inconsciente et excessivement économe ; une mémoire implicite qui ne fait que régurgiter machinalement ce qu’elle contient.
Sans une conscience nouvelle, qui vient remettre en question nos automatismes collectifs, il ne faut pas espérer une accélération de la pensée et une amélioration radicale des conditions de vie – politique, sociale, matérielle, écologique – pour tous sur la terre. Bref, chacun est convaincu d’avoir une réflexion qui lui est propre, alors que par définition une réflexion n’est rien d’autre que le reflet de ce qui se trouve à l’extérieur de soi, en ayant l’impression que cela vient de l’intérieur. Nous réfléchissons, comme le miroir, ce qu’il y a devant nous. Une nouvelle conscience implique donc la remise en marche d’un réseau important de neurones qui sont devenues inactifs sous l’effet conjugué de l’amorce comportementale et de l’amorce neuronale. C’est un vrai travail de fond qui se présente à nous ici.
Ouvrir nos horizons sur la diversité plus que sur la similarité.
Comprenons bien que les automatismes ont un rôle à jouer dans le fait d’économiser des énergies. Ces automatismes sont utiles dans une multitude de situations telles que les activités de la vie courante, le sport, au travail, les arts, etc. Leur utilité est de libérer de l’énergie et des neurones pour nous permettre de penser, de créer et d’imaginer pendant qu’on exécute les gestes de base.
Le problème, c’est lorsque les automatismes s’appliquent au fait même de penser. On ne peut être créatif dans la répétition automatique de ce qui a déjà été imaginé par d’autres. Les automatismes de la pensée et l’amélioration de notre vie personnelle et sociale sont antinomiques : ils ne vont pas ensembles. C’est pourquoi, comme nous l’avons vu avec le premier bogue du cerveau, la plupart des gens réagissent à toute nouveauté ou innovation avec une pensée obsolète. Ceux à qui on demande de se prononcer sur des sujets d’actualité répètent pour la plupart machinalement ce qui est inscrit dans leur mémoire implicite. Le monde change, mais les idées restent figées ; les comportements aussi malheureusement. Notre monde a de vieilles idées et de vieilles habitudes alors qu’il est entouré de technologies de plus en plus sophistiquées. Ainsi, les “ grands et puissants ” de ce monde réfléchissent comme nos ancêtres primitifs qui ne pensaient qu’à combattre les ennemis, les envahir, prendre leurs biens et les convertir à leur mode de vie et de pensée. La différence fondamentale réside dans les moyens dont ils disposent pour faire leurs croisades. Nous pouvons voir le résultat tous les jours sur nos écrans de télévision et sur Internet. Et les conséquences sont catastrophiques.
Il faut donc faire évoluer notre façon de penser. Il importe de s’entraîner à considérer les choses sans cesse sous un angle nouveau. Le monde d’aujourd’hui ne peut être comme il a été hier. Il faut le regarder non plus avec les pensées d’hier, mais avec une pensée sans cesse renouvelée et ouverte. D’ailleurs, c’est beaucoup plus difficile à faire qu’on pourrait le penser, car cela suppose que la pensée elle-même qui doit changée. Notre seule ressource pour y parvenir n’est pas de faire appel à notre pensée, mais à notre conscience. Celle-ci, qui doit se placer au-dessus de la pensée, doit pouvoir sans cesse maintenir un haut niveau de vigilance de façon à activer constamment les neurones qui cherchent à s’automatiser et, donc, à réduire leur activité. La conscience doit permettre de poser un regard neuf sur les pensées afin de s’assurer que celles-ci ne sont pas sur le mode automatique de celui qui régit les opinions de la majorité. N’oublions pas que les innovations ont toujours été faites par des personnes qui ont posé un regard différent et nouveau sur les choses. Les innovateurs, rappelons-le, sont une minorité qui n’est jamais comprise, a priori, par la majorité qui l’entoure et qui regarde ce qu’ils font avec leurs vieilles pensées d’hier. Ils les critiquent, ils les jugent négativement (premier bogue), ils s’acharnent à vouloir avoir raison (deuxième bogue), ils finissent même par voir ce qu’ils croient être la réalité et la bonne façon de faire (troisième bogue), et, par conséquent, ils rejettent systématiquement ce qui se présente à eux sans être conscients que demain ce sera quelque chose qui fera naturellement partie de leur quotidien. Toutefois, même s’ils ne voient pas la réalité comme elle est, celle-ci prend le dessus et ils ont de la difficulté à s’y adapter (quatrième bogue). Réfléchir à la réalité présente et à venir avec une pensée d’hier est le propre d’un grand nombre de nos contemporains. Seule une infime minorité sait sans cesse porter un regard neuf sur les choses. Les automatismes de la pensée sont un véritable piège à l’adaptation à un monde en perpétuel changement. Ils sont aussi, dans une certaine mesure, une menace pour notre évolution. Le fait de considérer la mondialisation et le multiculturalisme, par exemple, avec une façon dépassée de penser, vient nourrir les bogues du cerveau. Comment peut-on être contre un fait aussi évident que le multiculturalisme ? Combien de personnes conservatrices tiennent le même discours devant la mondialisation. Comme nous l’avons vu dans le deuxième bogue du cerveau, les gens confondent les faits et les opinions. Ils croient qu’en étant contre un fait, cela va le changer. Ils ne pourront jamais le changer, au mieux, ils pourront le voir comme ils le croient qu’il est (troisième bogue). Stimuler ses neurones à percevoir, à analyser et à considérer les choses différemment nécessite une conscience qui s’interroge sur sa propre façon de voir les choses. Il ne faut pas confondre ici le fait de remettre en question ses propres mécanismes de la pensée et ses réactions de scepticisme envers tout. Le scepticisme est trop souvent un moyen déguisé de se fermer aux nouvelles idées, en s’acharnant à les critiquer bêtement. La nouvelle conscience est une façon de rester ouverts et d’accueillir ce qui se présente à nous sans peur ni haine. Bref, un nouvel état d’esprit à cultiver. D’ailleurs, chaque fois qu’une nouveauté, quelle qu’elle soit se présente à nous et que nous réagissons avec émotion, peur ou rejet, c’est fort probablement parce que nos mécanismes automatisés s’activent. Il y a une mémoire implicite qui dirige nos pensées et nos comportements préalablement influencés par la culture populaire et les médias. Il y a aussi une mémoire qui régit nos réactions émotionnelles, comme nous l’avons déjà vu et que nous approfondirons dans les prochains bogues du cerveau humain.
Lire la suite : Transformez votre conscience : 6ième bogue du cerveau
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