Prendre des décisions sous le coup des émotions.
Les scientifiques qui se sont penchés sur les processus neurologiques impliqués dans les prises de décisions ont distingué deux modes de fonctionnement. Le premier fait appel au raisonnement et à la logique et sollicite principalement les régions préfrontales du cortex cérébral. On le nomme “ système délibératif ”. Le second se base sur les émotions et l’impulsivité et il implique les régions du système limbique. Certains auteurs le nomment sous l’appellation anglaise de “ emote control ”.
Samuel McClure, David Laibson, George Loewenstein et Jonathan Cohen ont mené une expérience afin de déterminer quels processus neurologiques étaient impliqués dans diverses conditions de prises de décisions. Ils ont donc soumis des participants à une série de choix binaires, entre des montants d’argent “ bas et immédiats ” ou “ élevés et différés ”. De nombreuses recherches avant d’eux avaient démontré que malgré le caractère illogique de la chose, la plupart des gens préfèrent un moindre gain tout de suite qu’un gain plus élevé plus tard. Par exemple, si quelqu’un gagne 100 $ à la loterie et qu’on lui donne le choix entre recevoir ses 100 $ immédiatement ou recevoir 115 $ dans une semaine, la plupart des gens choisiront de prendre les 100 $ tout de suite. Toutefois, si on leur demande s’ils choisiraient 100 $ dans un an ou bien 115 $ dans un an et une semaine, la plupart opteront pour le 115 $ dans un an et une semaine. Pendant que les sujets prenaient leur décision, ceux-ci étaient placés dans un appareil d’imagerie par résonnance magnétique fonctionnel afin de saisir des images de leur cerveau. Les chercheurs ont démontré que les décisions orientées vers un gain plus faible mais plus rapide étaient principalement prises en charge par les régions émotionnelles du cerveau alors que celles conduisant à un gain plus élevé mais différé dans le temps étaient basées sur des processus rationnels commandés par le cortex préfrontal. George Loewenstein explique que les émotions suscitées dans les moments chauds provoquent une forme de myopie qui conduit à un manque de perspective à long terme. Steven Most, Marvin Chun et David Widders, de l’université Yale à New Haven, ainsi que David Zald, de l’université Vanderbilt à Nashville, partagent son point de vue et vont même plus loin. Ils ont d’abord démontré que lorsqu’un être humain voit un “ stimulus chargé émotionnellement ” (violent, érotique, troublant), il n’est plus en mesure de traiter correctement tout ce qui lui sera présenté immédiatement après.
Le premier bogue des émotions nous a montré que nous sommes prédisposés à percevoir le négatif. Avec l’expérience de Most et de ses collègues, nous savons que nos émotions viennent altérer notre possibilité de bien traiter les informations qui se présentent à nous. Dans une autre expérience, Most et son équipe ont montré que les sujets qui présentaient un trait de personnalité leur permettant de moins réagir aux événements extérieurs négatifs avaient de meilleurs résultats. Ce trait de personnalité, nommé “ évitement de la douleur ” est mesurable par une échelle mise au point par le psychiatre Robert Cloninger. Les personnes ayant un score élevé sur cette échelle sont plus peureuses, plus prudentes et prennent plus de précautions, alors que celles qui ont un score bas sont plus à l’aise dans les situations risquées et dangereuses. Les chercheurs ont trouvé que les sujets ayant un faible niveau d’évitement de la douleur sont plus en mesure de rester focalisés sur la cible que ceux ayant un haut niveau d’évitement de la douleur. Selon David Zald, les individus présentant des traits névrotiques ou de haut niveau d’évitement de la douleur ne détectent pas plus les stimuli négatifs que les autres, mais ils sont moins enclins à faire abstraction de ces informations lorsque vient le temps d’en traiter d’autres.
Donc, si nos émotions viennent réduire notre capacité à traiter correctement les informations qui nous sont présentés et si, en plus, nos émotions agissent sur nos prises de décisions lorsqu’un risque est imminent, cela voudrait-il dire que si nous parvenions à mieux les contrôler, nous aurions de meilleure capacité à prendre des risques ? C’est la question que se sont posée George Loewenstein et son équipe. Ils ont émis l’hypothèse qu’une personne atteinte d’une lésion reliée aux régions du cerveau responsables des émotions pourrait, dans certaines circonstances, prendre de meilleures décisions qu’une personne normale. Ils ont donc procédé à une expérience qui a consisté à comparer trois groupes de sujets. Le premier était constitué de patients atteints de lésions chroniques focalisées dans des structures reliées aux émotions ; le second de sujets normaux ; et le troisième, dit de contrôle, de sujets ayant aussi des lésions cérébrales chroniques mais qui ne touchaient pas les zones spécialisées dans les émotions. Les chercheurs ont donné à chacun des participants un montant initial de 20 $ et ont fait 20 séquences d’investissement. À chacune d’elles, le chercheur lançait une pièce de monnaie. Avant chaque lancé, les participants pouvaient garder un dollar ou l’investir. La règle était très simple et la même pour tous. Si la pièce tombait du côté face, ils perdaient le dollar investi ; si elle tombait du côté pile, ils gagnaient 2.50 $. Étant donné que les chances de gagner ou de perdre sont égales (50/50), si un sujet investit à tous les coups, il doit empocher en moyenne 25 $, ce qui constitue un gain de 25 %. Cette condition, comme l’explique Loewenstein, est nettement plus avantageuse en termes de probabilité de gagner que si l’on va jouer à Las Vegas ou qu’on investit à la Bourse. Mais comme les participants normaux sont émotifs, ils deviennent vite découragés lorsqu’ils perdent 1 $ ou 2 $ de suite et se mettent à craindre d’investir, ce qui n’est pas le cas avec les participants atteints de lésions au cerveau émotionnel puisqu’ils ne ressentent rien. Ainsi, les sujets normaux ont investi seulement 58 % du temps, alors que les patients présentant des dommages aux centres émotionnels de leur cerveau ont investi 84 % du temps. Par conséquent, ils ont gagné plus d’argent. Loewenstein indique que les sujets normaux et ceux du groupe contrôle (celui avec des lésions aux parties non émotives du cerveau) ont ressenti plus de sécurité à conserver leur argent qu’à la risquer. Le sentiment de peur à outrepasser leur raisonnement logique, puisque le jeu était conçu de façon que s’ils investissaient tous les coups, ils gagnaient tous en bout de ligne. La capacité d’agir sur ses émotions est ce qui distingue la plupart d’entre nous des investisseurs professionnels prospères.
La plupart des personnes démontrent une aversion élevée du risque, une condition que certains chercheurs ont nommé “ myopie d’aversion de perdre ”. Cette myopie évite d’entrevoir les avantages à long terme, mais elle permet de voir les avantages immédiats lorsqu’il y en a. Le emote control, lorsqu’il est activé, embrouille les processus rationnels et conduit à des décisions impulsives. Paradoxalement, l’être humain n’aime pas les risques à long terme, mais il est capable de prendre des décisions complètement désavantageuses à court terme. Il suffit simplement d’appuyer sur le bouton du plaisir immédiat et il est prêt à passer à l’action.
Pourquoi développer une conscience nouvelle.
Rappelez-vous la fable de Jean de la Fontaine, La cigale et la fourmi. Cette fable révèle très bien une réalité humaine répandue : le dilemme entre préférer se faire plaisir tout de suite ou prendre le risque d’obtenir des bénéfices ultérieurs supérieurs. Une des grandes particularités de l’être humain réside dans son pouvoir de choisir. Et parmi les choix qui s’offrent à lui, il y a ceux où il doit décider entre un gain rapide mais de moindre importance et un gain à venir mais plus important. La question qui se pose ici est de savoir si l’être humain ressemble davantage à la cigale qu’à la fourmi.
Les travaux de recherche précédemment évoqués mettent en évidences trois éléments. Les décisions à court terme sont essentiellement émotionnelles. La plupart des gens prennent des décisions qui favorisent l’obtention de résultats immédiats, mais évitent de prendre des risques à long terme. Lorsqu’un événement produit une émotion, le cerveau perd sa capacité à bien traiter les informations auxquelles il est soumis ; il devient myope et même aveugle. Donc, la plupart des gens penchent plus pour des décisions émotionnelles que rationnelles. Les conclusions des chercheurs sont très importantes. Dès que plusieurs facteurs sont en place pour permettre l’éventualité d’un gain ou d’un avantage immédiat, l’être humain voit ses structures émotionnelles s’activer et, du coup, ses capacités rationnelles diminuer. Tout l’art du Marketing et de la publicité est là : stimuler l’intérêt pour l’obtention d’un plaisir immédiat. Le système émotionnel de prise de décisions est myope et incapable d’entrevoir les conséquences à long terme. Cette propension humaine à favoriser les plaisirs immédiats même si ceux-ci sont de moindre valeur (tant en quantité qu’en qualité) a des répercussions considérables. L’impulsivité irréfléchie des humains s’exprime dans plusieurs comportements apparemment normaux tellement elle est fréquente mais fondamentalement pathologique : jeux et paris, endettement, consommation compulsive, toxicomanie, vols, viol (voir 4ième bogue du cerveau). Il existe d’ailleurs toute une industrie basée sur ces faiblesses qui rapporte des milliards de dollars à ceux qui en profitent. La recette est simple : générer une émotion suffisamment forte pour susciter une décision impulsive et immédiate. Toute bonne publicité est essentiellement basée sur le plaisir immédiat et les besoins irrationnels. Quiconque est doté d’un jugement le moindrement sain sait très bien que la jolie femme associée à la voiture qu’on vous présente dans une publicité ne vient jamais avec celle-ci. Mais le fait de susciter un sentiment de désir pour elle pourrait être transféré à la voiture. C’est en tout cas le pari que font les publicistes. Et certains vont très loin pour solliciter nos instincts les plus primaires dans le but de nous vendre des produits de consommation. À tire d’exemple, la société de marketing et de publicité, le Archetype Discovories Worldwide, dirigé par le docteur Clotaire Rapaille, base son approche sur le fait que ce ne sont pas les processus cognitifs et rationnels du cortex qui guident les consommateurs, mais les processus émotionnels et instinctifs des régions limbiques et sous-corticales. Il a donc conçu une méthodologie qui vise à décoder les mécanismes inconscients associés à tous les produits de consommation qui nous entourent. Une fois qu’il a trouvé ce “ code inconscient ” associé à un produit, l’entreprise est en mesure d’appliquer un plan stratégique à tous les niveaux, en ajustant son langage et sa communication, ses emballages, sa distribution, sa publicité et ainsi augmenter substantiellement les ventes du produit en question. C’est ainsi, par exemple, lorsqu’on demande aux Américains quels facteurs ils considèrent lorsque vient le temps d’acheter une automobile, ils parlent du coût du véhicule, de sa consommation d’essence, de sa fiabilité, etc. Mais dans les faits, ils choisissent un véhicule qui ne tient nullement compte de tous ces paramètres. C’est ce qui explique que malgré les prix de l’essence qui ne cessent de monter, la vente de VUS (véhicule utilitaire sport) continue elle aussi de monter. Selon le docteur Rapaille, les gens disent des choses, mais font autre chose. Et lorsqu’on observe bien le comportement de nos contemporains, on doit admettre qu’il a parfaitement raison. Les grands principes de la protection de l’environnement, de l’économie d’énergie, de l’épargne, de la préservation des richesses naturelles qui sont des concepts rationnels faisant appel au système délibératif, ne tiennent pas longtemps la route lorsque vient le temps de prendre une décision et que les systèmes émotionnels et instinctifs prennent les commandes. C’est fondamentalement ce qui fait la richesse des banques et des institutions de crédit au profit des consommateurs qui s’endettent (en mars 2019, le ratio d’endettement des ménages canadiens était de 179 %). Le slogan employé pour stimuler les achats à crédit est le suivant : “ Profitez-en maintenant et payez plus tard ”. Le plaisir immédiat est beaucoup plus facile à vendre que la planification de l’avenir. Particulièrement chez les jeunes, comme l’a démontré une recherche dirigée par James Bjork. Celui-ci a observé que le centre de la motivation (le striatum ventral) des adolescents s’active moins que celui des adultes lorsqu’ils anticipent une action qui conduira à l’obtention des gains ou à l’évitement de pertes. Toutefois, le centre du plaisir (le cortex frontal médian) est presque aussi actif chez l’adulte que chez l’adolescent. Selon Bjork, ces données expliquent pourquoi il est aussi difficile pour les adolescents de se motiver et pourquoi leur manque de motivation les mène souvent à adopter des comportements à risque tels que la consommation de drogue, la conduite d’un véhicule avec les facultés affaiblies, l’excès de vitesse et le décrochage scolaire . En effet, s’il leur est difficile d’anticiper le plaisir éventuel ou les conséquences négatives de leurs actes, il leur est en revanche excessivement facile d’apprécier le plaisir immédiat, du moment où celui-ci est accessible sans effort. On peut donc comprendre un peu mieux pourquoi la publicité de tous les nouveaux gadgets électroniques, de la mode, de la musique et de la restauration rapide s’adressent autant aux jeunes. Les concepteurs de la publicité savent très bien que ceux-ci ne se soucient guère des conséquences de leurs décisions et qu’ils sont plus impulsifs.
Si cette problématique affecte les prises de décisions individuelles, elle affecte tout autant sinon plus encore les décisions politiques et sociales. Le légiste Jules Lobel, de l’école de droit de l’université de Pittsburgh et le psychologue George Loewenstein, de la faculté des sciences sociales et décisionnelles de l’université de Carnegie Mellon, ont fait une remarquable analyse de cette question. Ils montrent jusqu’à quel point les réactions émotionnelles et impulsives sont présentes dans les décisions politiques. Ils nous expliquent que les réponses émotives qui gouvernent beaucoup de comportements humains ont un impact énorme sur l’ordre public et les affaires internationales, incitant des leaders politiques à prendre des décisions impulsives en situation de crise. À titre d’exemple, suite à l’attentat du 11 septembre 2001, les États-Unis sont sous le choc et ses dirigeants encore plus ! Peu de temps après, l’administration Bush décide d’envahir l’Irak sous le fallacieux prétexte de libérer ce peuple des griffes d’un tyran possédant des armes de destruction massive qu’il envisageait d’utiliser. Les conséquences sont catastrophiques car il y a eu des centaines de milliers de victimes innocentes. Le président Bush va d’ailleurs justifier ses décisions en faisant appel à une succession de valeurs humaines telles que la liberté, la justice et la démocratie. Tout terroriste confondu, tout chef politique, tout tyran, évoque de grandes valeurs pour donner raison à ses gestes et à ses décisions. En fait, pas seulement eux, mais tout le monde cherche à donner raison à ses choix et à ses décisions. Au delà de l’exemple de l’après 11 septembre 2001, l’histoire humaine regorge de situations où des décisions émotionnelles, impulsives et irrationnelles ont été prises par des dirigeants politiques. N’y a-t-il pas plus émotif que le racisme, l’antisémitisme ou toutes les formes d’ostracisme qu’a connus notre monde ? Ce qu’il faut aussi comprendre, c’est le rôle des médias dans la stimulation des émotions des populations et qui viennent servir la cause des politiciens. Comme nous l’avons déjà mentionné avec la publicité qui cherche à faire vibrer les cordes émotionnelles des consommateurs, il en est de même pour la propagande politique. Comme le disait le docteur Rapaille lors d’une entrevue, une campagne électorale dans un pays est similaire à une campagne publicitaire et le produit de consommation que l’on cherche à vendre dans le cas de l’élection, c’est le président lui-même !
Nous disions plus tôt que le côté émotionnel décide d’à peu près tout. Mais le rationnel a besoin d’une raison pour justifier le choix et pour avoir l’impression qu’il est juste et logique. Ainsi, dans le domaine de la publicité axée sur les instincts primaires humains, il faut trouver une façon de faire démarrer les zones émotionnelles du cerveau humain et c’est très facile. Toutefois, il ne faut pas pour autant négliger le rationnel. Il faut lui fournir un alibi logique et raisonnable pour lui permettre de justifier et donner raison au choix “ émotif ” qui est fait. Donc, tout message stimulera l’émotionnel pour déclencher la prise de décision et fournira au rationnel quelques motifs “ nobles ” pour lui permettre par la suite d’être à l’aise avec sa décision émotive. Comme l’a montré McClure et son équipe, le cerveau émotionnel et le cerveau rationnel fonctionnent ensemble. Toutefois, c’est le côté émotionnel qui décide s’il y a apparence de gain immédiat. Puis, tout l’art de la manipulation publicitaire sera de fournir un discours justificateur qui ne vient pas trop contredire la pulsion émotionnelle. La vente de ces gros véhicules que sont les Hummer est un très bon exemple de la distorsion qu’il y a entre la logique et l’impulsivité. D’un point de vue purement rationnel, rien ne peut justifier l’achat d’un tel engin par un citadin new-yorkais qui l’utilisera pour aller au boulot, chercher ses enfants à l’école et faire ses courses : c’est carré, gros, difficile à stationner et ça consomme beaucoup d’essence et pollue l’air ! Mais, dans le code inconscient des Américains, “ Bigger is better ” (plus c’est gros, meilleur c’est). Le docteur Rapaille disait avec une dose d’humour : “ Installez un canon sur le toit du Hummer et vous en vendrez plus ”. Car l’Américain moyen aime utiliser ces gros véhicules qui le font se sentir comme les commandos de l’armée qui peuvent passer partout et tout détruire sur leur passage. Le code du véhicule utilitaire sport sport et, particulièrement du Hummer, est “ domination ”. Toute la publicité est donc axée sur ce code inconscient et émotionnel. D’un point de vue rationnel, il suffit de dire aux Américains qu’ils seront plus en sécurité ; s’ils font une sortie de route, ils pourront alors sans problème s’en sortir ; s’il y a une tempête ou une catastrophe naturelle, ils n’auront rien à craindre, leurs enfants seront en sécurité, etc. J’ajouterais qu’en leur faisant miroiter la possibilité de jouer les sauveurs ou les héros, donc de satisfaire leur narcissisme congénital, cela rendrait le Hammer encore plus attrayant inconsciemment à leurs egos et donc rationnellement à leurs yeux. C’est ainsi que fonctionne l’être humain. Et ce qui fonctionne parfaitement pour la publicité des produits de consommation fonctionne tout aussi bien pour les élections présidentielles et les décisions politiques. Comme nous le disions précédemment, les médias sont utilisés par les politiciens au même titre que les publicités le sont par les grandes compagnies. Sans eux, Bush et Blair ne seraient jamais arrivés à convaincre leur population qu’il était juste et bien d’envahir l’Irak. Adolf Hitler n’aurait jamais pu convaincre la population allemande qu’il allait de la salubrité publique d’éliminer tous les juifs d’Europe et du reste du monde également, comme il l’avait prévu. Les bulletins de nouvelles des grandes chaînes de télévision dans le monde sont créés comme des publicités, avec une musique dramatique, des images chocs et des propos tout aussi réactifs. CNN et Hollywood travaillent de la même façon et utilisent la même recette. Les messages des leaders politiques visent toujours à susciter des émotions, pour ensuite proposer des actions impulsives comme se défendre, attaquer, envahir, etc. Si en plus, il se produit, au même moment, une catastrophe ou un événement choc, c’est d’autant plus facile à récupérer. Le mécanisme s’applique partout et ça fonctionne. Les débats télévisés appliquent également la même recette. On regroupe sur les plateaux des talkshows des ingrédients susceptibles de réagir lorsqu’ils sont les uns en présence des autres et le tour est joué. On écrit des titres chocs même si le contenu est pratiquement vide de sens. Et si quelque chose d’important dans l’actualité se passe, alors c’est gagné. Lorsqu’il n’y a rien à raconter, on monte de petites histoires banales en épingle, afin de satisfaire les instincts primaires émotionnels des gens qui sont intoxiqués et dépendants des médias. Lorsqu’il y a des choses importantes à raconter, alors la guerre des journaux conduit les moins scrupuleux d’entre eux à pousser l’odieux du traitement de la nouvelle le plus loin possible.
L’emploi de l’émotion pour manipuler l’homme de la rue n’est pas chose nouvelle. De tout temps, cela s’est produit et malheureusement, ça continue encore : les moyens se modernisent (chaîne de nouvelles en continue, flux internet, réseaux sociaux) mais le fondement reste le même. Ce sixième bogue place l’être humain devant un danger imminent. L’impulsivité émotionnelle, tant chez le manipulateur que chez la personne manipulée, conduit tous les jours des gens à faire des actes inhumains extraordinaires.
Transformer l’homo emotionalis en homo sapiens.
L’être humain est beaucoup plus un être d’émotions qu’un être de sagesse. Tout porte à croire, que si nous ne passons pas de l’homo emotionalis à l’homo sapiens, nous risquons de disparaître prochainement de la terre par une autodestruction déclenchée par une impulsive charge émotionnelle négative. Le patriotisme, l’intolérance raciale, religieuse ou sexuelle sont les racines de ces émotions négatives et sont les armes favorites de ceux qui gouvernent notre monde actuellement. Inconscients de l’arme puissante qu’ils ont entre les mains, les médias et les journalistes servent la cause d’un pouvoir dominateur en sollicitant un processus émotionnel qui pousse aux préjugés collectifs, à l’intolérance et à l’incitation à la haine. Non seulement les médias ont le pouvoir de propager des informations génératrices d’émotions de toutes sortes, mais ils exagèrent et répètent aussi le sens de ces messages. Le journaliste qui travaille pour une grande société d’information, qui y a appris son métier, ne fait trop souvent que recueillir les informations pour ensuite les retranscrire selon des codes susceptibles de créer l’émotion voulue, c’est-à-dire celle qui fera augmenter les ventes de journaux ou les cotes d’écoute de la chaîne de radio ou de télévision. Il détient un énorme pouvoir, celui d’influencer des comportements de consommation ou des décisions, d’induire des opinions dans l’esprit de la population, mais aussi et surtout le pouvoir de générer la haine et la guerre entre les individus ou les peuples. Il faut comprendre que sans la collaboration des médias, jamais un tyran n’arriverait à ses fins. Jamais Hitler n’aurait pu convaincre la population allemande de participer à la mise en œuvre de sa solution finale et jamais le génocide rwandais ne serait produit. Fort heureusement, il y a eu la condamnation, le 1ier octobre 1946, lors du procès de Nuremberg, de Julius Streicher, cet éditeur du journal nazi et auteur de trois livres antisémites pour enfants, pour incitation à la haine et à la propagande antisémite. Il en a été de même, le 3 décembre 2003, alors que le tribunal pénal international a condamné Ferdinand Nahimana, l’un des fondateurs de la Radio-télévision libre des mille collines (RTLM) et Hassan Ngeze, ancien directeur de la revue Kangura, à la prison à vie pour leur participation dans le génocide au Rwanda (800,000 morts). Jean-Bosco Barayagwiza, un autre responsable de la RTLM, a été condamné à 35 ans de prison. Il est extraordinaire de penser que ces hommes n’ont tué personne mais ont été condamnés à une peine aussi sévère pour avoir tenus des propos qui ont mené une large part de la population à commettre des actions meurtrières. Certains diront que la liberté d’expression et la liberté de presse sont importantes dans une société libre et démocratique. C’est vrai, car sans elles, d’autres abus sont aussi possibles. Mais avec cette liberté vient une immense responsabilité. Tout comme chaque individu est responsable de ses actes, quels que soient la liberté et le droit desquels il s’investit, tout journaliste, tout éditeur de journaux, tout directeur de radio ou de télévision sont responsables de leurs paroles et des messages qu’ils véhiculent car ceux-ci ont le pouvoir de générer des réactions dont on se soupçonne pas l’impact.
L’homo sapiens doit mettre à profit ces zones encore peu connues de la conscience qui ne sont ni rationnelles ni émotionnelles, mais qui sont les deux à la fois pour former autre chose. La combinaison de l’émotionnel et du rationnel, bien dosée, couplée à une grande sensibilité à saisir l’ensemble dans lequel nous sommes, à une vision panoramique dans l’espace comme dans le temps, à une capacité de considérer un point de vue opposé au sien, de faire preuve de compassion en voyant les choses selon une perspective qui n’est plus exclusivement la nôtre et à une humilité qui nous permet de remettre en questions nos croyances, sont des ingrédients indispensables pour développer une conscience nouvelle. Nous verrons avec le 7ième bogue du cerveau humain qu’il existe des zones cérébrales qui assurent cette conscience, mais qui ne s’activent pas automatiquement si nous sommes pris dans une série de réactions émotionnelles égocentriques. Vu l’importance d’un bon équilibre émotivo-rationnnel pour une adaptation réussie et le maintien de la santé physique et mentale, je vous réfère aux chroniques suivantes : Conduire sa vie en préservant au mieux son équilibre physique, psychique et sa santé, Prendre soin de ses besoins psychosociaux, Une qualité de vie émotionnelle, Plus de sérénité, d’énergie et de joie dans votre vie : dimension émotionnelle, Cultivez le calme intérieur, qui traitent de ce sujet sous divers angles.
Lire la suite : transformez votre conscience : 7ième bogue du cerveau
En savoir plus sur Pierre Varin
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
Laisser un commentaire