L’intériorisation et la mobilisation sont essentielles mais restent insuffisants pour donner un sens et une direction à notre vie. Nous pouvons rester dans le domaine des sentiments, des idées, des désirs, des rêves, sans jamais vouloir quelque chose de précis. De même, nous pouvons avoir des intentions claires, prendre des décisions fermes en apparence, mais rester interdits devant les actions à poser. Or, pour nous réaliser; réaliser notre existence, nous devons réussir à sortir de notre monde intérieur pour nous impliquer dans le monde concret. Car tant que nous ne passons pas à l’action, ce que nous voulons construire demeure une hypothèse, une chose virtuelle, un mouvement inachevé. Et, tôt ou tard, toute l’énergie psychique emprisonnée dans nos volontés se retournera contre nous pour provoquer une perte de sens et de vitalité, et, par là même, une insatisfaction de vivre.
L’action.
L’action est la phase externe du mouvement de réalisation de soi. L’action nous sort de notre monde interne, subjectif et nous permet d’interagir avec les choses et les êtres. Contrairement à la réflexion qui l’a précédée, la phase de l’action entraînera des conséquences concrètes et aura un impact réel sur la suite des choses. Il y a aussi des actions qui consistent à ne pas agir : ne pas trop manger, ne pas se choquer, ne pas céder à la pression. Ce qui permet de définir une action, ce sont avant tout nos intentions. Mais si nous ne donnons pas suite à nos intentions en les concrétisant dans la réalité, nous n’agissons pas. Si j’ai dit à quelqu’un que j’allais l’appeler et que je ne le fais pas, je ne remplis pas ma promesse. Après, j’aurais beau lui expliquer que j’y ai pensé, cela ne changera pas le fait que je n’ai pas agi selon mon intention initiale.
L’action, source de sens.
S’il est si important d’agir, c’est que nos actions représentent une source de sens indispensable, et ce, pour trois raisons principales : elles permettent de se sentir vivants, de découvrir le monde tout en se découvrant soi-même et de construire sa vie.
Se sentir en vie.
L’humain doit agir pour répondre à ses besoins fondamentaux et se sentir exister. L’expérience organique de sentir, de goûter, de voir, de s’immerger dans l’action est sans contredit la plus fondamentale et puissante qui soit. De simples activités telles qu’une marche en plein air, le jardinage, s’adonner à un jeu de société, nettoyer la maison, préparer un repas aident à s’extirper d’un vague à l’âme, d’une perte de sens, d’un état de léthargie. Par contre, il ne s’agit pas simplement d’exercer une action ou de produire un effet comme des automates pourraient le faire. Ce dont nous avons surtout besoin, c’est de nous sentir impliqués émotionnellement dans ce que nous entreprenons. C’est pourquoi, au lieu de vivre selon les scénarios écrits par d’autres, il est impératif d’inventer notre propre scénario pour soutirer tout le sens de nos expériences. En d’autres termes, nous avons besoin de nous comporter en acteurs plutôt qu’en spectateurs, en sujets vivants et engagés plutôt qu’en objets passifs. Et de suivre nos élans, car le sens repose sur cette tension qui nous pousse à nous engager, à travers l’action, dans des expériences qui nous appellent. Ce principe de vie fondamental, qui consiste à être directement impliqué dans l’expérience pour s’épanouir, a depuis longtemps été démontré dans le domaine de l’apprentissage : la meilleure façon de maîtriser quelque chose, c’est de le mettre soi-même en pratique. Cette règle s’applique aussi aux autres sphères de la vie. Nous avons besoin de nous impliquer dans ce qui compte à nos yeux pour grandir.
Découvrir le monde et se découvrir soi-même.
Dans nos efforts pour évoluer, dans notre quête de bonheur, il y a ces questions qui surgissent inévitablement : comment savoir si nous faisons la bonne chose ? Qu’aimons-nous ? Qu’est-ce-qui est le mieux pour nous ? Seule l’expérience sensible et la satisfaction que l’on éprouve à faire une chose plutôt qu’une autre peuvent nous aider à répondre à ces questions. Et ce, pour une raison bien simple : ce qui nourrit le sens de la vie ne provient pas tant de ce que nous imaginons que de ce que nous découvrons par la voie de l’expérience. Le sens doit être senti de l’intérieur, à travers l’action, pas seulement conçu mentalement. Si je n’ai jamais fait de camping et que j’aborde cette expérience avec ouverture, je pourrai découvrir si cela me plaît. Trop souvent, par contre, les préconceptions ou préjugés – qui s’alimentent généralement de nos peurs – nous empêchent d’expérimenter. Au lieu de vivre des choses, nous les évaluons, les analysons, les décortiquons à l’excès. En voulant tout expliquer, nous restons à l’écart de la vie, sans nous y impliquer. Ce faisant, nous ne découvrons jamais ce qui est bon pour nous.
En agissant, en expérimentant une diversité de choses et de situations, non seulement on apprend à connaître le monde, mais on apprend également à se connaître soi-même. Et cela reste vrai tout au long de la vie. Il n’est jamais trop tard pour tester nos rêves, explorer nos champs d’intérêt, répondre à nos désirs. Tant que nous ne testons pas concrètement nos désirs, il est facile de s’en faire une idée irréaliste. Notre subjectivité est sans limites. Tant que nous ne mettons pas l’épreuve nos compréhensions et nos analyses du monde, nous ne savons jamais si ce que nous pensons est vrai. Contrairement, à ce que peut laisser entendre la fameuse formule de Descartes, “ je pense, donc je suis ”, nous ne sommes pas ce que nous pensons, mais ce que nous faisons. Nous éprouvons “ l’identité dans l’action ”, ou du moins dans sa possibilité. C’est en faisant de la musique que s’installe en moi le sentiment d’être musicien ; c’est en faisant du sport que je deviens sportif. Tant que nous n’agissons pas, nous ne pouvons être sûrs ni de la nature du rapport que nous entretenons avec un objet ni même de la nature même de cet objet. C’est en faisant l’expérience concrète des choses que nous apprenons réellement à les connaître et à nous connaître à travers elles. Tant que nous restons dans le domaine des idées, nous pouvons fantasmer sur notre identité à notre guise. Dans mon idéal, je peux m’imaginer fermier, romancier, acteur, inventeur… En réalité, je pourrais n’être rien de tout cela, mais bien autre chose. Malheureusement, trop souvent, nous préférons nous maintenir dans le rêve plutôt que de savoir qui nous sommes et ce pourquoi nous sommes faits. Nous avons peur de nous confronter au réel, d’être déçus de l’image qu’il nous renverra. Mais en agissant ainsi, nous retardons l’actualisation de ce que nous pourrions réellement devenir. Sans l’adoption de comportements précis, sans action pour tenter de transformer les choses, rien de nouveau ne peut survenir. On fait du surplace. Pire, on a l’impression de progresser et l’on se targue d’avoir le courage de se remettre en question, mais tout ça est un leurre. Sans le courage d’agir, aucune amélioration n’est possible. On ne peut pas indéfiniment rester dans l’imaginaire, le virtuel, l’anticipation de ce qui pourrait advenir. On ne peut uniquement penser notre vie. Nous devons agir pour qu’elle se réalise.
Construire sa vie.
Pour réaliser des choses, pour nous réaliser, il nous faut agir. Mais cela ne veut pas dire que l’on peut agir n’importe comment. Au contraire, pour assurer notre bien-être, on doit chercher à poser des actions utiles, constructives pour nous-mêmes et pour les autres. L’homme jouit d’une conscience qui lui permet de se soucier de la qualité de son action. Il peut évaluer ses intentions et faire le tri entre celles qui sont défensives ou destructrices et celles qui sont constructives. Par action constructive, Jean-Louis Drolet, entend précisément celle qui sert à construire notre vie, à développer ce qu’il faut pour devenir de meilleures personnes, plus complètes, plus compétentes, mieux informées, plus ouvertes sur la vie, plus engagées, plus créatives, plus aimantes.
L’action constructive s’appuie sur la reconnaissance de ce que nous sommes et de ce que nous cherchons à bâtir pour édifier un peu plus avant l’œuvre que représente notre propre existence. Il y a toutes sortes d’actions constructives. On peut construire en adoptant de bonnes attitudes ou en faisant des efforts quotidiens pour bien agir, comme on peut construire en réalisant de grands projets. Peu importe la forme et l’ampleur qu’elle prend, l’action constructive permet de mieux contrôler notre destin. Au lieu d’être victimes des événements, en agissant de manière constructive, nous façonnons le réel en fonction de ce que nous voulons qu’il soit, nous transformons la vie en notre faveur, pour en tirer un plaisir et une satisfaction durables. Mais cela implique d’éliminer les actions qui n’ont pas de sens, celles que l’on fait par obligation, par insécurité, par réflexe, pour les remplacer par des actions choisies, qui permettent de créer, d’approfondir notre compréhension de la vie, de nous aventurer dans des avenues nouvelles et prometteuses et d’exploiter nos ressources, nos talents et notre imagination.
Pour Jean-Louis Drolet, l’action constructive possède quatre grandes caractéristiques. Tout d’abord, quand on agit constructivement, ce que l’on fait possède une dimension de nouveauté. Par exemple, s’initier à un loisir auquel on pense depuis longtemps, écouter son conjoint patiemment tout en se retenant de répliquer, apprendre à être plus respectueux des différences, entreprendre un programme d’études. La nouveauté tient du changement qui s’opère lorsque nous tentons de briser nos habitudes ou de repousser nos limites.
Une autre caractéristique de l’action constructive, c’est qu’elle est accomplie dans le respect de soi. Nous agissons à partir de motifs qui ont une valeur à nos yeux, plutôt, qu’en fonction d’attentes provenant de l’environnement. Nous faisons ce qui est bon pour nous, tout en tenant compte de nos limites et capacités. Ainsi, une personne malade se permettra de prendre le repos dont elle a besoin et renoncera à protéger à tout prix sa perception d’elle-même comme étant forte et infaillible.
Une troisième caractéristique de l’action constructive, d’où son nom, c’est qu’elle est menée dans un souci de s’améliorer, d’apprendre, de se développer. Par exemple, tenter de prendre le dessus sur une expérience qui, jusque-là, nous faisait peur. En fait, nous voulons devenir ce que nous nous sentons pouvoir devenir.
Une quatrième caractéristique de l’action constructive, c’est qu’elle exige de faire des efforts. En particulier, elle demande de garder bien en vue nos objectifs et d’y travailler régulièrement pour nous rapprocher toujours un peu plus de notre finalité. Toute action qui permet de nous dépasser, tout projet signifiant peu importe son ampleur objective, demande des efforts et c’est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit de faire tomber des barrières qui nous contraignent depuis longtemps.
Cela dit, tout dans la vie ne demande pas autant d’efforts et d’acharnement. Il nous arrive de faire des choses qui coulent comme une rivière, où l’on sent tout à coup que des forces s’unissent pour nous faciliter la vie. Par contre, à d’autres moments, c’est la vie qui demande un effort de croissance qu’il nous faut emprunter. Et la sagesse réside dans la capacité de discriminer entre les deux, à savoir quand il faut s’abandonner au courant de la rivière et quand il est nécessaire de ramer. Dans l’appréciation des efforts que nous devons fournir, nous devons aussi tenir compte du fait que toutes nos actions, toutes nos entreprises n’ont pas la même envergure. Certains projets prennent toute une vie à être réalisés. On les appelle vocation, projet ou mission de vie. De plus, tous nos projets n’ont pas le même niveau de difficulté. Ils n’ont pas non plus la même importance : certains sont plus essentiels à notre bien-être et jouent un rôle central dans l’orientation que nous donnons à notre vie.
Sur un autre plan, même si chaque phase d’un projet contient ses propres défis, il y a une différence notable entre amorcer un projet et le rendre à terme. Tant que nous ne sommes pas confrontés à des obstacles et aux efforts à fournir pour les dépasser, nos désirs s’emballent et prennent des proportions parfois sans bornes. C’est pourquoi, la prise de conscience que l’idéal doit céder à la place du réel peut occasionner une hésitation, un recul, ou encore un désappointement qui risquent d’enlever du sens au projet et, par conséquent, provoquer une baisse de motivation. Un ajustement entre les attentes premières et la réalité telle qu’elle prend forme doit être fait pour permettre à l’engagement de se maintenir.
En résumé, une action constructive permet une expérience authentique qui encourage et soutient l’ouverture, l’élargissement de notre univers subjectif et objectif et, dès lors, notre évolution personnelle.
Faire ce qu’on aime.
La volonté d’agir atteint son pouvoir de mobilisation maximale lorsqu’elle s’appuie sur un désir intense. En fait, rien ne remplace une envie forte de faire quelque chose, pas même le talent. Aimer ce que l’on fait à ce point, c’est de la passion. L’objet de notre volonté nous séduit tellement qu’il alimente en nous le besoin irrésistible de l’explorer, de le découvrir, de le maîtriser. Peu importe les obstacles et les défis à relever, on tient à ce bourgeon d’être et aux possibilités qu’il fait rayonner dans notre esprit. Il ouvre les canaux de notre cœur, de notre curiosité et de notre créativité. Parce que nous y croyons, nous acceptons de nous lancer, de quitter notre port d’attache, quel qu’il soit, pour entreprendre le voyage auquel il nous convie. La passion est imagination, mais une imagination qui a un corps, qui établit un contact charnel avec l’existence et à travers lequel, sans retenue, on dit “ OUI ” à la vie. C’est dans ce que nous aimons que se cachent nos talents, car seul ce que nous aimons peut fournir la motivation nécessaire pour persévérer et développer nos capacités.
Malheureusement, plusieurs se contentent de faire ce qui s’offre à eux plutôt que de prendre contact avec ce qu’ils désirent vraiment. Ils deviennent médecin parce qu’ils ont les résultats scolaires pour entrer à la faculté de médecine. Ils suivent les traces de leur père parce qu’une place leur est faite dans son entreprise ou, tout bonnement, ils continuent de faire leur travail en s’appuyant sur leurs compétences, mais le cœur n’y est pas. Les capacités personnelles et les circonstances peuvent évidemment nous aider à choisir notre route, mais elles peuvent tout aussi bien, nous faire dévier de notre véritable destinée. Car le plus important n’est pas ce que l’on “ peut ” faire mais ce que l’on “ veut ” faire.
En résumé, pour emprunter la voie du sens, pour profiter pleinement de notre existence, il nous faut faire des choix et réaliser des projets qui sont une extension de nos véritables désirs. Car dans la mesure où l’on ne fait pas ce qu’on aime, il est difficile d’aimer la vie.
En conclusion.
Si la vie n’a pas de sens absolu clair, elle fonctionne néanmoins selon des principes. Et la plupart de nos problèmes sont liés soit au fait que nous ne les connaissons pas, soit au fait que nous ne les appliquons pas. Or, pour emprunter la “ Route du sens ” et pour nous assurer que nos choix et nos actions soient constructives, nous devons vivre en accord avec ces principes.
Nous avons vu que pour donner du sens à notre vie, il est nécessaire de la rendre intelligible, de lui donner une valeur et aussi de lui donner une direction. Ce sont trois grandes règles générales, qu’il nous faut respecter pour être en possession de notre vie. Si nous les respectons, nous serons tout naturellement enclins, quotidiennement, à vouloir comprendre ce qui nous arrive, à prendre des pauses pour apprécier notre existence et à tirer profit de nos expériences pour préciser notre direction.
Une autre grande règle a été mise en évidence : tout mouvement de vie authentique part de l’intérieur de soi, dans les besoins et les désirs, pour ensuite, en passant par la volonté et la décision, se déployer vers l’extérieur dans l’action. Et le plus souvent nous accomplissons la séquence qui va du désir à l’action constructive, plus forte sera notre conviction que, peu importe les circonstances, nous possédons en nous-mêmes les ressources nécessaires pour nous réaliser. Nous avons également souligné la nécessité du renoncement pour mettre de l’avant nos principaux désirs, de même que de l’importance de l’effort et de la discipline pour atteindre nos objectifs.
Nous avons beau connaître ces principes, si nous ne les mettons pas en pratique, ils ne servent à rien. Par conséquent, si nous voulons améliorer notre vie de façon concrète, nous devons trouver en nous-mêmes la détermination nécessaire pour agir et appliquer les principes qui conviennent à notre situation.
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