Peu importe notre âge et les conditions concrètes de notre existence, la vie cherche à nous faire comprendre que nous pouvons toujours continuer d’évoluer, qu’il y a toujours en nous-mêmes un potentiel pour une attitude, une perception, un ressenti, un comportement nouveaux, jamais expérimentés auparavant. Elle nous invite donc à choisir les graines que nous voulons semer et à mettre en place des conditions gagnantes pour obtenir une bonne récolte. Le terreau de nos potentialités, c’est notre intériorité, cet espace subjectif où se cachent nos blessures et nos craintes les plus profondes mais aussi où se retrouvent nos désirs et nos aspirations les plus authentiques. C’est là que, loin du regard des autres et à l’abri des demandes pressantes de l’environnement, nous pouvons prendre contact avec ce que nous voulons vraiment.
Contrairement à ce qui est encouragé dans la vie de tous les jours – voir clair, être décisif, savoir où l’on va, prendre action dans le monde concret – le mouvement d’intériorisation invite à faire une pause pour contacter notre réalité intérieure. Son mode de connaissance est intuitif, imaginatif, sensitif, affectif. Il met en scène nos fantaisies et nos rêves, nos sentiments et nos émotions, nos perceptions diverses, nos valeurs et préférences, nos sensations corporelles.
Le mouvement d’intériorisation invite donc à plonger dans nos fondements subjectifs pour en soutirer tout le savoir et la vitalité nécessaires à la bonne orientation de notre vie. Il invite à la solitude et encourage la présence à soi-même. En particulier, ce mouvement permet de prendre contact avec nos désirs et nos besoins, qui sont les fondations sur lesquelles nous pouvons nous bâtir une vie authentique. En effet, ce n’est qu’à travers nos réels besoins et désirs que nous pouvons nous engager dans la voie du sens. Car, ils sont au cœur de notre vie subjective, au centre du dialogue que nous entretenons avec nous-mêmes, jour et nuit.
La rencontre avec nos besoins.
On dit généralement des besoins qu’ils sont inconscients. Cela est dû au fait que, d’ordinaire, nous ne relions pas spontanément nos actions à nos besoins. Pourtant, nous aurions avantage à le faire, car ne pas conscientiser les motifs qui sous-tendent nos actions nous amène peu à peu à nous éloigner de nos motivations profondes. Cela a pour conséquence que bien souvent, nous nous comportons comme si notre nature n’avait pas ses propres exigences.
Ce n’est pas parce que nous sommes des adultes que nous ne ressentons plus les besoins de base tels que les besoins physiologiques, de sécurité, d’amour, d’appartenance, d’estime et d’actualisation. Ils nous collent littéralement à la peau toute notre vie durant, car ces besoins sont la matière même qui nous constitue. S’ils sont suffisamment comblés, ils contribuent à notre bonheur; s’ils ne sont pas répondus, ils provoquent l’insatisfaction, l’anxiété et la perte de sens. Notre vie s’oriente à partir de nos besoins, que nous en soyons conscients ou non. C’est pourquoi il est si important, non seulement de les reconnaître, mais aussi de les intégrer à la conception que nous avons de nous-mêmes, de les considérer comme une partie essentielle de notre identité. Cette appropriation de nos besoins implique que ce soit l’adulte en nous qui porte, en toute conscience, la partie inachevée de nous-mêmes. Autrement, nous risquons de nous conduire comme des enfants irresponsables, en attente que d’autres prennent soin de nous.
Nos besoins corporels.
Nous sommes d’abord un corps. Et ce corps, nous avons l’obligation d’en prendre soin, car oublier les nécessités du corps représente une menace réelle pour notre santé physique et psychologique. À l’inverse, répondre de façon optimale à nos divers besoins physiques et physiologiques contribue à faire de nous des êtres vibrants et heureux. Parmi ces besoins, il y a ceux de manger, de boire, de respirer, de dormir, d’assouvir notre sexualité, de bouger, de percevoir avec tous nos sens, de nous réchauffer, de nous détendre. Nous avons besoin que toutes nos fonctions corporelles soient suffisamment alimentées et stimulées, non pas juste pour survivre, mais surtout pour bien vivre.
Nous nous différencions en termes d’énergie, de force, de limites, d’handicaps et de maladies. Chacun a donc avantage à se réconcilier le plus vite possible avec sa propre constitution physique pour être en harmonie avec sa vie. Dans la mesure où nous restons sensibles à nos besoins corporels, nous sommes alors capables de prendre un recul et d’examiner ce qui, dans notre mode de vie, peut menacer notre santé : l’embonpoint, le manque d’exercice, le manque de stimulation sensorielle, la qualité des aliments auxquels nous avons accès, l’alcool, le tabagisme, la drogue… Nous pouvons aussi être sensibles à ce qui, dans l’environnement, pourrait menacer nos acquis : la pollution de l’eau et de l’air, l’accès aux soins de santé, la montée de certains types d’épidémie ou de violence…
Témoin omniprésent, notre corps prend acte de l’impact qu’à sur nous l’expérience d’être brimés dans nos besoins fondamentaux. En ce sens, notre corps est partie prenante de la construction de notre vie. Il guide et oriente notre route tout en étant un témoin engagée de nos combats et de nos efforts pour nous actualiser. De la même façon qu’il peut nous dire à quel aliment nous sommes allergiques, il peut aussi nous aider à reconnaître nos mauvaises habitudes et attitudes. Et tout comme il nous indique nos faims physiques, il nous indique aussi par nos émotions, nos faims psychologiques.
Notre besoin de sécurité.
La condition humaine génère une anxiété avec laquelle nous devons apprendre à composer tout au long de notre existence. Même si nous ne nous en rendons pas toujours compte, une grande partie des activités humaines servent cet objectif. Nos besoins de sécurité sont de deux ordres. Le premier se rapporte à la sécurité corporelle. Plusieurs des mécanismes mis en place dans la famille, dans la société, par l’individu lui-même, trouvent leur motivation dans le besoin de protéger notre intégrité physique. La deuxième forme de sécurité dont nous avons besoin relève d’un autre plan. Nous sommes davantage qu’un corps, nous sommes aussi un moi, à savoir une entité psychologique et sociale. Nous avons donc autre chose à protéger pour nous sentir en sécurité : une identité, un amour-propre, une réputation, une situation professionnelle, une quiétude et une stabilité financière, des liens harmonieux, notre utilité, des plans d’avenir, des valeurs, des rêves … En plus du corps physique, nous avons un corps psychologique à sécuriser.
Nos besoins de sécurité jouent sans contredit un rôle prépondérant dans notre vie. De fait, en y regardant de près, beaucoup de nos actions sont motivées par la peur. La différence principale entre l’enfant et l’adulte, c’est qu’alors que le premier se tourne vers l’adulte lorsqu’il a peur, le deuxième doit apprendre à surmonter ses insécurités par lui-même. Pas forcément seul, mais par lui-même. L’adulte vit autant sinon davantage d’angoisse que l’enfant, car même en supposant qu’il a plus de moyens pour se prendre en charge, il fait face à de plus grands défis – dont celui de donner un sens à sa vie – et il est aussi plus conscient de sa solitude et de sa vulnérabilité. L’adulte a cependant moins besoin d’un parent qui le protège que d’une société qui, lui offre un cadre de vie ordonnée, juste et sécuritaire. La vie moderne génère son lot d’inquiétude, de désordre, d’incertitude, d’imprévisibilité et de danger. Nous devons apprendre à métaboliser ces réalités qui s’insinuent dans notre quotidien et cela, de manière intelligible, personnalisée et sage. Autrement, nous serons envahis par l’angoisse. Dans un autre registre, la confiance et l’espoir que nous mettons dans la justice et la démocratie tend à s’effriter au fil des scandales et des problèmes de corruption révélés au grand jour dans les divers médias. Certaines institutions telles que le mariage, la famille et la religion sont aussi fortement malmenées, laissant plusieurs personnes désorientées devant la tâche de choisir parmi un éventail de croyances, de valeurs et de modes de vie.
Certes, la vie moderne offre plus de libertés et de possibilités que jamais auparavant, mais son manque de repères clairs peut être une réelle source d’angoisse. Lorsque nous ne parvenons pas à bien nous protéger des multiples insécurités de la vie, nous ne sommes cependant pas sans “ inventivité ”. Plusieurs se replient sur des valeurs matérialistes et cherchent compulsivement à s’enrichir. Certains tentent de se sécuriser en se joignant à un groupe dogmatique (religieux, politique, scientifique ou autre) qui, offre l’avantage de fournir des règles doctrinaires et un encadrement qui empêchent de devoir porter seul sa vie. D’autres trouvent dans leur partenaire un parent substitut qui pourra les prendre en charge. Certains se replient sur eux-mêmes et s’enferment dans leurs habitudes, à l’abri du changement et de la nouveauté, se donnant ainsi l’illusion de contrôler leur univers. Le conformisme est un autre moyen de se protéger. En disant, en pensant, en agissant comme les autres, d’une part, on n’a pas à faire l’effort de s’assumer et, d’autre part, on entretient le sentiment d’être à l’abri de la critique, du rejet et de l’exclusion.
Mais ces moyens sont des refuges, non des voies évolutives. Or, peu importe la nature et la provenance de nos peurs, il nous faut un jour ou l’autre leur faire face pour que l’univers dans lequel nous évoluons puisse avoir un sens. Car les peurs empêchent de voir la réalité telle qu’elle est et, par conséquent, d’en avoir une compréhension (première condition du sens) pouvant servir de base solide à la construction de notre vie. Elles empêchent aussi d’apprécier l’existence, car en nous repliant sur nous-mêmes dans une attitude d’autoprotection, nous ne sommes pas en mesure d’aimer (deuxième condition du sens). Nous n’avons pas l’ouverture nécessaire pour y arriver. Nous ne sommes pas non plus capables de faire la différence entre ce qui nous sécurise réellement et ce qui, au contraire, entretient notre insécurité. Pas plus que nous ne sommes aptes à distinguer les peurs qui sont fondées de celles qui ne le sont pas. D’où la nécessité, à tout âge, d’un examen lucide et constant de nos façons de nous sécuriser. Car apprendre à se donner une authentique sécurité est souvent l’affaire d’une vie.
Nos besoins d’affection et d’amour.
Nous avons besoin d’affection et d’amour. Toute notre vie durant, nous cherchons à combler ces besoins à travers les contacts interpersonnels quotidiens, les amitiés, les liens familiaux, la vie de couple, la relation avec nos enfants, les contacts professionnels, l’appartenance à des groupes. Ce sont des lieux de rencontres où nous pouvons recevoir et donner de l’affection, autrement dit, être reliés de façon signifiante aux autres. Notre capacité d’être en relation prend d’abord ses racines dans la famille, pour s’étendre ensuite aux amis, aux groupes et, plus tard, à la relation amoureuse. À travers ces diverses formes de relations, nous apprenons les lois de la communication et du partage, mais aussi nous apprenons à mieux nous connaître en tant qu’individus. Peu importe le contexte dans lequel elle a lieu, la rencontre permet d’élargir notre conscience de soi et des autres et, par le fait même, accroît notre capacité d’aimer.
Il existe évidemment plusieurs façons de combler nos besoins d’affection et d’amour. L’appartenance à un groupe en est une d’importance. Tout au long de notre vie nous avons besoin de nous identifier et de nous sentir rattachés à quelque chose de plus large : un lieu, une communauté, un milieu social ou professionnel, une famille, un couple… Souvent reliée au besoin d’appartenance, la recherche du respect ou de l’estime est une autre façon d’exprimer notre besoin d’amour. Nous avons besoin de sentir que ce que nous sommes reçoit l’accord des autres, qu’ils nous perçoivent comme aimables, respectables, attrayants. Nous avons aussi besoin de savoir que d’autres soutiennent et voient une pertinence dans ce que nous faisons. Cela nous aide à avoir confiance en nous-mêmes et à mettre de l’avant nos compétences et notre personnalité.
Bien sûr, l’expression de l’estime se décline en plusieurs teintes : elle peut prendre la forme de la simple courtoisie et aller jusqu’à l’admiration. Mais l’estime est encore loin de l’amour dans sa forme accomplie. Même s’il les englobe, l’amour est beaucoup plus que de l’estime ou le lieu d’appartenance. Il est une compréhension de l’autre. Il implique de chercher à connaître l’autre et de tenir compte de ses besoins spécifiques. Aimer un adulte implique de s’intéresser à sa vision des choses, à ses valeurs, à ses ambitions. Cela suppose aussi de respecter sa personnalité, de le soutenir dans son évolution et d’encourager son épanouissement. Quand on aime quelqu’un, on veut qu’il fasse partie de notre vie et on veut qu’il y reste. Et pour cela, on est prêt à faire tous les efforts nécessaires pour établir avec lui des liens profonds et harmonieux.
Il est à signaler que plusieurs de nos besoins interpersonnels tels que l’appartenance, la reconnaissance, le contact, le soutien, l’estime, l’acceptation, la gratitude, la sexualité, peuvent, selon la forme qu’ils prennent et l’intention qui les sous-tend, relever tant du besoin de sécurité que du besoin d’affection ou d’amour. Inévitablement la qualité d’une relation sera tributaire du ratio sécurité/amour qui la caractérise. Voir l’autre comme une source de validation et de sécurité n’a pas la même incidence sur la relation que de le voir comme une occasion de partages et de soutien mutuel. Ici encore, il nous faut être honnête avec nous-mêmes et reconnaître la part réelle d’insécurité qui marque nos relations. Le développement de notre capacité d’aimer en dépend.
Notre besoin d’actualisation.
De façon générale, s’actualiser c’est répondre le mieux possible à nos possibilités de développement, à notre besoin vital de progresser dans le sens d’une évolution positive de soi. En d’autres mots, cela implique d’être fidèles à nos dispositions et élans naturels. L’un de ces élans, commun à tous et qui apparaît très tôt dans la vie, c’est le besoin d’explorer et de connaître le monde. Cette propension à vouloir connaître le monde s’exprime tout au long de notre vie, entre autres par le désir de vivre des expériences nouvelles, par le besoin de développer des compétences diverses (personnelles, professionnelles, sociales), de même que par l’apprentissage de la maîtrise de soi, qui passe inévitablement par la connaissance de soi et la régulation de notre vie affective. Chaque fois que nous gagnons du pouvoir sur notre vie et que nous évoluons dans le sens de nos désirs, nous sommes contents de nous-mêmes et avons le sentiment de progresser.
Par toutes sortes de moyens, nous réclamons le droit d’être notre propre personne, libre et originale. Nous voulons vivre notre vie, non pas celle des autres. C’est aussi ce que nous faisons lorsque nous tentons de nous protéger des pressions externes qui menacent de nous faire dévier de notre direction. Ou lorsque nous cherchons à nous libérer de l’image réduite ou déformée de nous-mêmes à laquelle nous avons habitué les autres. Dans tous ces efforts d’affirmation, ce que nous exprimons, c’est le besoin d’être nous-mêmes, de nous écouter, de respecter notre façon de penser, de faire les choses à notre manière, de suivre nos goûts et nos talents, de dire ce que nous voulons dire, d’être authentiques. Nous cherchons à orienter notre existence à partir de la conviction qu’il y a un mode de vie, une façon d’exister qui nous convient mieux que d’autres et nous faisons tout ce que nous pouvons pour le concrétiser.
Ne pas s’engager sur la voie de l’actualisation de soi, ou encore emprunter une voie qui ne respecte pas qui nous sommes, est non seulement une source d’insatisfaction chronique – bien que souvent minimisée – mais aussi une façon concrète de nier notre destin. Nous sommes faits pour certaines choses et non pour d’autres, certaines activités nous font plaisir, d’autres non. Trop d’individus s’efforcent d’aimer ce qu’ils font au lieu de faire ce qu’ils aiment. Tant que nous ne faisons pas une place importante à ce qui nous intéresse vraiment, nous nous forgeons, à force de vivre à côté de notre véritable nature, une vie de frustration. Et c’est particulièrement vrai pour le choix d’un métier ou d’une profession.
Même si devenir tout ce qu’en potentiel nous pouvons devenir reste un idéal et représente l’entreprise de toute une vie, il nous faut faire le constat que trop peu d’individus évoluent dans le sens de leur vraie nature. Plusieurs ont même perdu tout esprit de découverte et ne cherchent plus à améliorer leur sort. Ils ne sont plus intéressés à apprendre, à développer de nouvelles compétences, à élargir leurs horizons, à s’ouvrir à de nouvelles possibilités. Ils se contentent d’une existence futile et n’aspirent à rien de bien précis. Même, si vous n’avez pas été encouragé à suivre vos élans profonds, il est toujours possible d’apprendre à le faire. En dépit de ce que vous pourriez croire, votre besoin de vous actualiser est toujours là, il sommeille en vous. Certes, il peut être difficile de se mettre à vouloir avec conviction quand la source de notre volonté – notre nature unique, notre identité – n’a jamais été reconnue ni par les autres ni par nous-mêmes. Ou d’actualiser un potentiel que l’on ne ressent pas, ou que l’on ne ressent que de manière intermittente. Pourtant, de grandes réalisations ont vu le jour en dépit des doutes et des carences de leurs créateurs. Ils nous ont appris que l’adversité, si elle ne nous écrase pas, peut servir de catalyseur et stimuler notre détermination à agir et à réaliser nos buts. Comme eux, nous pouvons apprendre à combattre la peur de l’échec et du ridicule pour nous rapprocher toujours un peu plus de ce que nous sommes en réalité. Comme eux, nous pouvons nous libérer de ces peurs qui nous empêchent d’explorer le monde à notre façon. Comme eux, nous pouvons avoir accès à nos désirs, nos élans authentiques, nos aspirations réelles. Nous ne voulons pas simplement vivre, nous avons besoin de sentir que notre vie est utile et chargée de sens.
Le rôle des besoins sur notre destinée.
La reconnaissance de nos besoins appelle à la modestie. Nous devons faire abstraction de l’image idéale à laquelle nous aimerions correspondre pour examiner notre expérience telle qu’elle est vraiment. Car tout en voulant affirmer qui nous sommes, tout en voulant nous améliorer et actualiser notre potentiel, il est essentiel de rester en contact avec la part de soi qui a besoin de soin, de sécurité et d’amour.
Notre existence s’oriente à partir de nos besoins, que nous en soyons conscients ou non. Nous avons donc avantage à reconnaître la place que chaque besoin prend dans notre vie et à évaluer si notre façon d’y répondre nous amène là où nous voulons aller. Autrement, au lieu d’être une force et un guide, chaque besoin non reconnu devient notre talon d’Achille : il nous rend fragiles et vulnérables. Car ce qui prend une grande place en soi et que l’on ne reconnaît pas possède une force magnifiée du simple fait d’agir à notre insu. Malheureusement, trop de gens entretiennent un rapport conflictuel avec leurs besoins. Par exemple, au lieu de reconnaître leurs limites corporelles, ils s’obstinent à les bafouer. Au lieu de s’avouer qu’ils ont peur, ils prennent l’attitude d’être en contrôle. Au lieu de reconnaître leur besoin d’affection, ils jouent les indépendants. Au lieu de se livrer à leur passion, ils la refoulent et prétendent ne pas avoir d’intérêt. Au lieu de suivre leurs désirs et leurs aspirations, ils prétendent ne rien vouloir. Plutôt que d’accueillir leur besoin et de choisir une façon d’y répondre, c’est le besoin qui, insidieusement, prend le contrôle de leur vie. Et cela entraîne toutes sortes de problèmes. Par exemple, à force de ne pas respecter leur corps, ils développent des maladies. En ne cherchant pas à comprendre ce qui les insécurise, ils s’enlisent dans leur angoisse et tentent de la calmer en prenant des médicaments. En ne s’avouant pas leurs besoins affectifs, ils se coupent de plus en plus des autres et s’enfoncent davantage dans la solitude. Bref, ils demeurent ainsi prisonniers de leurs besoins frustrés.
Dans la mesure où une personne a bien cerné ses besoins et qu’elle est capable de les accepter tels qu’ils sont, sans y résister, elle peut alors s’y appuyer pour donner une orientation constructive à sa vie. Ainsi, l’un prend conscience de la fragilité de son corps et décide de commencer un programme d’entraînement. L’autre accueille son besoin d’amour, ce qui l’amène à s’accorder plus de temps pour les nouvelles rencontres. Une fois que nous avons conscientisés nos besoins, il est difficile de les renier à nouveau. Le besoin veut tout naturellement prendre la place qu’il n’a jamais eue. Mais ce n’est pas sans occasionner de la turbulence. Dans bien des cas, renouer avec un besoin longtemps refusé peut être très difficile et demande par conséquent du courage. Et, lorsque l’on accepte d’accueillir et de tolérer le besoin et la tension qu’il provoque, au lieu d’être une menace, il prend le rôle d’un allié, au lieu de nous décourager, il nous rend plus résolus. En le maintenant vivant en nous, en le portant assez longtemps, graduellement, nous trouvons des façons d’y répondre.
De plus, comme nos besoins entrent souvent en conflit, bien les connaître permet de les départager afin de favoriser le besoin qui nous fait grandir. Nous devons observer avec vigilance les luttes quasi constantes entre nos besoins de sécurité, d’amour et d’actualisation. La reconnaissance de nos besoins permet aussi de ne pas renier certains besoins à la faveur d’un seul. On peut ainsi très bien poursuivre une carrière passionnante tout en s’investissant dans notre vie de couple et tout en prenant soin de notre santé. Dans ce cas, chaque projet permet de combler des besoins différents.
L’une des causes fréquentes du vide existentiel, ou perte de sens, c’est de continuer de s’intéresser à un besoin déjà comblé. Manger plus que nécessaire, accumuler de l’argent plus que nécessaire, rechercher l’estime plus que nécessaire. Une telle insistance est malsaine et provoque un sentiment tout à fait justifié de tourner en rond. Lorsque nos besoins corporels, de sécurité et d’amour sont suffisamment rassasiés nous devons cesser de les percevoir comme des déficits à combler pour plutôt nous concentrer sur nos besoins d’actualiser le meilleur de nous-mêmes. Autrement dit, ce n’est qu’à partir du moment où nous arrêtons d’attendre que notre bonheur provienne de notre entourage ou de ce que nous possédons pour nous valider et nous sécuriser que nous avons accès à nos plus hautes potentialités humaines : l’entraide, l’amour sous une forme désintéressée et généreuse, la présence, la créativité, la tolérance, la gratitude, la promotion de la beauté et de la paix, la spiritualité, la connaissance, l’exploration spontanée de nos talents et champs d’intérêt.
D’où la nécessité de nous poser la question suivante : De quoi ai-je vraiment besoin, maintenant ? Qu’est-ce qui me manque pour poursuivre mon évolution et être heureux ? Nous poser cette question nous aligne sur la route du sens et contribue à créer l’intensité dont nous avons besoin pour nous sentir vivants.
Les désirs.
La distinction entre “ avoir besoin ” et “ désirer ” peut paraître abstraite, mais elle est pourtant centrale dans notre tentative de nous comprendre et de définir ce que nous voulons faire de notre vie. Le besoin se révèle le plus souvent comme un manque à la conscience. Quand nous le ressentons, nous reconnaissons l’absence ou la nécessité de quelque chose dans notre vie, mais cette “ chose ” reste encore indifférenciée. Quand nous disons : “ J’ai besoin d’amour, de communication, de sécurité … ”, nous faisons le constat d’une tension interne, mais n’envisageons pas encore de façon précise de la réduire. Ce sont les désirs qui permettent de donner un sens au besoin en ciblant des objets spécifiques. Par exemple, la sexualité est un besoin – certains disent une pulsion – qui crée un déséquilibre, une tension physiologique, mais c’est le fait de désirer une personne en particulier qui permettra d’envisager une voie de soulagement à cette tension. La recherche de stimulations nouvelles correspond à un autre besoin, mais ce besoin trouvera une voie d’expression lorsque, par exemple, surgiront les désirs de suivre un cours, de visiter un pays, de développer de nouvelles relations. Ou nous exprimons notre besoin d’appartenance en envisageant nous joindre à d’autres pour travailler sur un projet ou défendre une cause, ou simplement en voulant nous entourer de gens qui partagent nos valeurs.
C’est lorsque nous commençons à imaginer des façons de répondre à nos besoins que nous entrons dans le domaine du désir. Les besoins de base, nous ne les choisissons pas, car ils font partie de notre constitution existentielle commune, mais avec les désirs, nous accédons à la possibilité d’une vie originale. Tels des artistes, en jouant avec les possibilités dans notre imagination, nous préparons un croquis intérieur de l’œuvre que nous aimerions réaliser. Ce faisant, nous commençons aussi à donner une direction à notre vie. Le désir initie le mouvement qui ouvre sur l’avenir : c’est la première étape sur la voie de la réalisation de soi. Avec les désirs, nous anticipons une façon positive de répondre à nos besoins. Alors que le besoin se présente à notre conscience comme une carence, un déficit, le désir est un acte de création et exprime notre appétit de vivre. Il transforme le manque en possibilité, le doute en espoir. Il nous sort de l’attente et appelle un mouvement vers l’avant.
Le désir a une certaine densité, une force, une clarté et il est suffisamment réaliste pour s’imposer à notre conscience et vouloir être considéré dans nos choix. En cela, il se distingue du simple souhait, de la fantaisie, du fantasme ou du rêve. Bien qu’il soit possible que ces derniers évoluent et se transforment en en désirs, ils n’en ont pas encore la consistance ni la maturité. En fantaisie, on peut pousser l’imagination encore plus loin qu’avec le désir, car la fantaisie est une expression plus symbolique, plus éloignée du besoin. Un désir authentique fait plus corps avec la personne : on se sent près d’un tel désir, on y vibre quand on y pense et quand on s’y relie en imagination, le voyage que l’on fait paraît réel. Par exemple, si vous avez une activité préférée, vous devez y penser souvent et vous devez avoir hâte de la pratiquer à nouveau. L’idée même de l’activité vous stimule, y penser vous rend heureux. C’est ça le désir, il ouvre l’appétit, provoque de l’enthousiasme et promet une forme ou une autre de satisfaction.
La plupart d’entre nous produisons constamment une multitude de “ désirs-fantaisies ” : une homme voit passer une belle femme et s’imagine dans l’intimité avec elle ; par un froid sibérien, en pensée, on s’évade sur une île tropicale … Pour prendre soin de nous-mêmes, pour réussir à donner une direction délibérément choisie à notre vie, il nous faut apprendre à faire la différence entre ce flot constant d’envies passagères et les désirs qui prennent racine dans nos véritables besoins. Autrement, nous sommes perdus. Si je désire toutes les femmes, si toutes les professions m’intéressent, si je poursuis toutes les envies qui montent en moi, qui suis-je ? En outre, ayant si peu de consistance, de personnalité, quelle direction prendra ma vie ?
Même si nous ne sommes pas encore rendus au stade de la décision, quand nous désirons, nous procédons déjà à une sélection. Ce que nous ressentons vis-à-vis de certains objets nous amène à les “ choisir ” parmi d’autres objets. Le désir marque une préférence et sous-entend par conséquent une forme ou une autre d’évaluation. À moins de tout désirer de façon indifférenciée, on désire généralement ce que l’on croit être bon pour soi. Cela ne veut pas dire que nous répondrons à tous nos désirs, mais ceux-ci forment un bassin de possibilités à partir duquel nous pourrons choisir dans quoi nous voudrons nous engager. Mais, il n’est pas toujours facile de départager tous nos désirs et d’y voir clair. Nous le savons par expérience, certains désirs occasionnent des sorties de route et servent davantage à fuir notre réalité qu’à nous en rapprocher. D’où la nécessité d’une réflexion et à cet effet, Jean-Louis Drolet nous propose les pistes suivantes. De façon générale, une façon de s’assurer de la légitimité d’un désir, c’est d’explorer le besoin qui le sous-tend. Si le désir est l’expression saine d’un besoin de base, il sert probablement notre actualisation. Aussi, lorsqu’un désir se rappelle à nous avec insistance et persiste dans le temps, il mérite toute notre attention. Car un désir récurrent agit comme un rêve que l’on répète : il a quelque chose à nous apprendre sur nous-mêmes. Pour savoir ce qu’il cherche à nous dire, pour en explorer tout le sens, nous devons ouvrir un dialogue avec lui. Les questions suivantes peuvent nous guider. Répondre à ce désir m’aidera-t-il à me rapprocher de ce que je veux vraiment ? D’où vient ce désir ? Quel effet a t’il sur moi quand j’y pense ? Quelle place prend-il dans l’ensemble de ce que je veux ? Quelles seraient les conséquences de combler ce désir ? Aussi, suis-je prêt à répondre à ce désir ?
Désirer et ressentir.
Parfois, il semble plus facile de ne rien désirer que d’avoir à se confronter au besoin qui sous-tend le désir. Le manque indistinct bien que souffrant, paraît plus sécurisant. Autrement dit, il y a des personnes qui décident de faire une croix sur leur besoin plutôt que de continuer à souffrir. Et elles font tout pour éviter de le ressentir, car dans la mesure où l’on ne ressent pas ses besoins, on ne court pas le risque de désirer. Mais il y a là une illusion, une impasse, car le besoin d’amour, tout comme les autres besoins de base, fait partie intégrante de notre constitution. Par conséquent, il cherchera toujours à être assouvi. La lutte est continuelle et la tension qui l’accompagne, aussi.
Trop de gens ont appris à repousser leur réalité intérieure à un point tel qu’ils sont complètement coupés de leurs affects (sensations, sentiments, émotions). Ils doivent être complètement rééduqués pour reprendre contact avec leur vie émotionnelle. En contraste, la plupart des gens ont accès à leur ressenti même si beaucoup fonctionnent le plus souvent sans en tenir compte. Pourquoi est-ce ainsi ? Tout simplement parce que la plupart d’entre nous avons intériorisé plusieurs jugements et injonctions qui tuent le désir avant même qu’il puisse prendre son élan : “ Ne fais pas ça ”, “ Ne rêve pas en couleur ” … Nous avons appris à ne pas être nous-même, ou pire, que nous n’avons pas le droit d’être nous-mêmes.
En l’absence des élans spontanés du cœur, on se doit de recourir à la posture rationnelle, à la “ tête ”, pour faire face au quotidien. Ainsi, on décide de faire de l’exercice parce que c’est bon pour la santé, mais non par le désir de bouger et mieux sentir son corps. À la retraite, on décide de s’inscrire à des cours parce que, comme tout le monde le dit, il faut bien s’occuper et avoir des projets, mais ça ne vient pas de l’intérieur. Cette volonté rationnelle, qui répond aux injonctions des “ il faudrait ”, “ je devrais ”, “ je pourrais ”, n’a pas la force brute et puissante du désir. Au lieu d’exprimer notre véritable soi, nous nous conformons aux valeurs ambiantes, aux normes et diktats de l’environnement socio-culturel et nous mimons les autres. Mais la tête ne peut à elle seule gouverner notre vie. Sans le cœur et ses émotions, nous sommes des êtres asséchés. Pour extraire de la vie tout son potentiel de sens, pour la célébrer, nous devons en faire l’expérience dans tout notre organisme. Dans un monde où les stimuli affluent de toutes parts, c’est en ressentant les choses de l’intérieur que l’on découvre ce qui est important pour nous. En reconnaissant nos désirs profonds, ceux qui émergent de nos besoins fondamentaux, nous pouvons établir nos priorités et organiser notre vie en conséquence.
Conclusion.
Chacun doit trouver sa manière propre de prendre du recul pour se recentrer et contacter son espace intérieur, là où se trouvent ses besoins et ses désirs authentiques. Mais ici ne s’arrête pas notre quête de sens, car si nos besoins et nos désirs nous indiquent comment nous pourrions orienter notre vie, ils ne sont pas encore un engagement dans un sens donné. Comme nous le verrons dans ce qui suit, c’est le stade de la volonté qui permet à la personne de choisir parmi tous ses désirs afin de pouvoir réaliser certains d’entre eux.
Lire la suite : La voie du sens : la mobilisation.
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