Franchir les étapes de la conscience : de l’ego au Soi

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La mort de l’ego.

La mort de la “ conscience égocentrique ”, c’est mourir à la vision d’être une personne séparée de tout ce qui m’entoure pour naître à la vision d’être un avec l’Univers et accomplir ainsi la finalité ultime de la vie sur laquelle insistent toutes les traditions spirituelles. Mais à quoi ressemble cette mort de la conscience égocentrique ?

L’ego et le mental.

L’ego est constitué de notre corps et de notre personnalité. C’est notre cerveau avec son système nerveux, notre mental qui nous permet de réfléchir, d’interpréter la réalité, c’est tout notre monde intérieur avec nos émotions, nos désirs, nos valeurs, nos croyances, notre inconscient avec les pulsions, les interdits et les automatismes qui y habitent. Globalement, l’ego est notre système de survie sur cette terre. Il a pour fonction de mettre en branle tous les mécanismes nécessaires à la satisfaction de nos besoins. Il est le gestionnaire de notre survie en nous permettant d’aller chercher dans l’environnement les éléments jugés importants ou désirables pour assurer notre bien-être. C’est un bio-ordinateur programmé pour la gestion de nos besoins. L’ego a pour fonction de réduire la marge entre l’image de ce qu’il veut et l’objet extérieur susceptible de répondre à ses aspirations. C’est en déclenchant une série de comportements qu’il cherchera à réduire la marge entre ce qu’il désire et la réalité extérieure. En cas d’échec, l’ego est inventif. Comme il est difficile de tout réussir en une seule fois, par essais et erreurs, il met au point des stratégies de plus en plus efficaces. Il apprend à contrôler, à manipuler son environnement pour satisfaire ses besoins.

L’ego est donc au service de ma sécurité et de mon bien-être en me faisant rechercher les situations agréables et éviter les douloureuses. Il me confère un certain pouvoir sur mon environnement que je peux contrôler dans une certaine mesure. Selon son histoire, il peut rester “ fixé ” à certaines priorités pour lui. Je me sens très inquiet, que ce soit sur le plan matériel ou affectif, beaucoup d’énergie sera utilisée pour tenter de combler ce besoin : travailler fort pour gagner de l’argent, ne jamais déplaire aux autres pour ne pas être jugé ou rejeté, tout faire pour être aimé, etc. De même, je peux prendre un grand plaisir à dominer les autres, à leur prouver que j’ai raison et qu’ils sont des imbéciles, ce qui devient une façon privilégiée de rehausser ma valeur personnelle. L’ego est très doué pour apprendre et mettre au point de nouvelles stratégies de satisfaction, mais peu facilement manquer de discernement et de sagesse. En cas de souffrance, il peut décider de refaire la même chose pour essayer d’obtenir un plus grand plaisir. Ainsi, sur le plan de la sécurité, combien de million me faudra-t-il pour m’assurer une retraite à l’abri de soucis financiers. Après un million, je ne me sens pas assez en sécurité et me voilà en route pour un second million.

L’ego est par nature égocentrique, centré sur lui-même, sans oublier qu’il est fondamentalement égoïste. Bien sûr, son éducation morale lui laisse croire qu’il est très altruiste quand il se sacrifie pour les autres, quand il se force pour faire plaisir ou, du moins, pour ne pas décevoir. Mais s’il se regarde honnêtement dans le miroir, il s’avouera probablement que tous ces comportements altruistes visent d’abord à éviter le rejet et la désapprobation et qu’ils sont liés à la peur de ne pas être aimé. L’ego fait rarement les choses gratuitement et de façon désintéressée.

L’ego est un merveilleux “ instrument de survie ”. L’inconvénient est qu’il se prend pour un dieu. En effet, il n’est qu’un formidable bio-ordinateur qui s’est pris pour un dieu. Son rôle devrait se limiter à déclencher les actions nécessaires au maintien de la vie, en assurant une certaine sécurité et un bien-être physique. Mais, pour être comblé, l’ego “ exige ” que la réalité corresponde “ toujours ” à ce qui est inscrit au fichier de ses attentes. Dans ce fichier central, les besoins et les désirs sont confondus, une confusion qui augment considérablement, les exigences égoïstes. D’un bio-ordinateur serviable, il est devenu un “ tyran ” avec lequel nous nous identifions. Et la vie devient alors une bataille de tyrans, ego contre ego. Dans son fichier central, une liste complète de tous les “ j’ai besoin, je désire, je veux  ” sommeille dans l’attente et lorsqu’un événement ne correspond pas à un des éléments de la liste, c’est l’alarme générale : tristesse, dépression, colère, peur, haine. Un comportement se manifeste alors pour tenter de corriger l’événement qui doit “ se conformer à sa volonté, à ses désirs, à ses besoins ”. Le fichier de “ l’ego-dieu‌ ” dit : “ Que ma volonté soit faite ! Que les autres se conforment à mes attentes ! Et voilà la véritable erreur, puisque l’Univers ne sera jamais au service de l’ego-dieu. Toutes les traditions spirituelles enseignent le contraire : l’ego doit suivre le Tao, le Dharma, la volonté du Père. L’ego ne fonctionne qu’avec l’information qui lui a été fournie. Si on lui a donné comme définition du bonheur : posséder le plus d’argent, de biens, de personnes possibles à son service, il accomplira sa mission. Il utilisera son pouvoir pour ramener la réalité extérieure en conformité avec ce qui est inscrit dans sa mémoire. Il mettra au point tous les moyens stratégiques pour réussir à “ posséder ”. Ainsi, l’ego cherchera toujours à rendre la réalité extérieure conforme à sa volonté. La marge entre les deux volontés  (celle de l’ego versus celle de la Vie) engendre la frustration et la souffrance et, selon l’ego, c’est la volonté de la Vie (la réalité) qui est dans l’erreur. L’ego réagit et agit dans le but de convertir “ la réalité extérieure ” non conforme à “ sa réalité intérieure ”. Dans plusieurs situations, ce mécanisme de réactions et d’actions pour modifier la réalité extérieure est adéquat et même vital. Mais l’ego manque de souplesse et attribue toujours la cause de ses souffrances à un facteur extérieur à lui. Il se trouve donc justifié de transformer la réalité (les autres) pour qu’elle se conforme à ses attentes, à sa volonté. L’égocentrisme, c’est vouloir toujours avoir raison, tandis que l’Univers a toujours tort. À l’Univers alors de réparer son erreur en se conformant aux désirs de l’ego-dieu. Il manque souvent à l’ego la flexibilité, cette capacité d’évaluer si son action doit se diriger vers l’extérieur (changer l’extérieur) ou vers son intérieur (se changer). C’est notre responsabilité de “‌ nourrir ” notre ego pour qu’il parvienne à maturité. Par nourrir, on entend ici une nourriture appropriée à sa condition de bio-ordinateur. L’ego est toujours disposé à apprendre. Plus il en sait mieux il peut s’acquitter de sa fonction, plus il peut se satisfaire. Évidemment, la qualité de l’information et surtout sa justesse sont essentielles. Les sages, en parlant de la mort de l’ego, n’avaient d’autre fin que celle d’abolir la souffrance créée par le mental, coordonnateur en chef de l’ego.

Comment nos pensées et nos croyances dirigent l’ego sur l’océan de l’existence, en lui épargnant rarement les récifs ? Un grand nombre de nos croyances nous viennent de l’enfance, nous les avons adoptées directement de nos parents. Ce qu’ils croyaient est devenu ce que nous croyons nous-mêmes. D’autres croyances se sont formées à partir de nos premières expériences. Nous avons interprété certaines situations à notre façon, nous avons essayé de comprendre ce qui se passait dans notre vie d’enfant et nous en avons tiré une leçon, un savoir, une croyance sur un aspect de la réalité. Certains mécanismes psychologiques viennent fausser toutes les interprétations qu’une personne peut faire de ses expériences. Le “ complexe ”, par exemple, est un de ces mécanismes.  Ainsi, la personne qui souffre d’un complexe de culpabilité traduit très souvent les situations interpersonnelles en culpabilisation, situations qui, en réalité, ne se veulent pas du tout culpabilisantes. Le complexe entraîne une fausse perception de la réalité sociale qui est toujours interprétée en fonction du complexe particulier. Il existe donc certains mécanismes psychologiques qui viennent déformer la perception du réel, mais il arrive aussi qu’une croyance se voie confirmée par les faits objectifs. Tout se passe comme si les événements se réalisaient comme des prédictions par rapport aux croyances entretenues. L’individu semble alors convaincu du sort que lui réserve l’avenir et semble étrangement s’attirer les situations qui confirment sa “ croyance-prophétie ”. De même, certaines croyances conduisent à de véritables “ programmations ”, orientant la façon d’être et d’agir de la personne de façon inconsciente.  Ces programmations deviennent des “ scénarios ” où l’acteur ne fait que jouer le film existentiel dont il n’est pas l’auteur. L’analyse transactionnelle définit ce “ scénario existentiel ” comme un “ programme progressif ” qui se constitue sous l’influence parentale dans la petite enfance et dirige le comportement de l’individu dans les domaines les plus importants de sa vie. Une “ programmation existentielle ” repose donc sur une croyance, consciente ou inconsciente, qui a tendance à se confirmer et à se renforcer par les expériences qu’elle détermine. En d’autres termes, une fois structurée, elle semble provoquer dans la réalité les expériences qui viennent confirmer cette “ croyance existentielle ”. Elle semble créer une prédisposition personnelle à vivre des situations qui sont confirmatrices et renforçatrices. Si dans certains cas, ce sont des mécanismes psychologiques qui déforment la perception des faits (comme le complexe), dans d’autres cas, les croyances semblent créer des circonstances objectives en accord avec celles-ci.

Plusieurs recherches confirment le pouvoir de nos croyances. Ainsi, le domaine de la santé s’intéresse à l’effet “ placebo ” qui signifie ‘’ je plairai ”. D’abord utilisé en médecine, il consiste en un médicament sans substance active susceptible d’avoir un effet chimique dans l’organisme. Même sans substance chimique active, le placebo se montre très efficace. La personne qui croît en un traitement et qui en est soulagée, traitement qui s’avère être un placebo, est soulagée par sa propre croyance. Ce traitement peut prendre la forme d’une pilule, d’une manipulation physique, d’un discours, etc. Les recherches démontrent amplement que l’espoir, la croyance qui accompagne un traitement, possède un pouvoir d’amélioration réel. En psychothérapie, l’effet placebo est également pris en considération. Par exemple, des clients qui avant de commencer une thérapie, avaient espoir de changer, ont nettement mieux évolué après six mois de thérapie comparés à ceux qui n’avaient pas confiance en leurs possibilités de changement. L’effet placebo n’agit pas seulement sur soi ou sur son propre corps. La croyance des soignants agit également sur le succès thérapeutique. Si des médecins administrent ce qu’ils croient être de la morphine, qui en réalité est un placebo, le traitement est deux fois plus efficace que s’ils croient donner un simple analgésique. L’effet “ nocebo ” s’observe également. Si on donne à des sujets une substance inactive en leur disant qu’elle provoque des maux de tête, les deux tiers des sujets ressentent effectivement un mal de tête. Le pouvoir de la pensée peut même affecter la matière. On a pu montrer que l’intention d’une personne interagit avec la matière à distance, affectant, par exemple, les particules dans une chambre à bulles, des cristaux, le taux de désintégration de matière radioactive, etc. On parle alors “ d’intentionnalité ”.

Si une croyance peut agir sur notre état de santé ou de maladie, si l’intentionnalité peut influencer des objets matériels, nos croyances n’auraient-elles pas le pouvoir de déterminer les événements en accord avec celles-ci ? Pour expliquer comment prend racine une croyance dans notre subconscient, l’analogie de la graine qui pousse en terre est souvent utilisée. L’idée, la pensée, la croyance représente la graine et le subconscient, la terre. Or, lorsqu’une pensée (positive comme négative) est entretenue suffisamment longtemps par la conscience, la pensée s’implante dans le subconscient et donnera ses fruits. Est récolté dans la réalité matérielle ce qui a été semé dans la réalité spirituelle de la pensée. Autrement dit, ce qui est entretenu par le conscient fini pas s’enraciner dans le subconscient qui possède le pouvoir de créer les conditions d’existence en accord avec ce qui a été pensé. Donc, le mental, ce monde de nos pensées et de nos croyances, conscientes et inconscientes, s’avère terriblement puissant par son pouvoir de création, très difficilement accessible et réfractaire au changement et souvent “ menteur ” parce qu’il déforme la réalité.

Voilà donc ce qu’est le mental, qui sert en quelque sorte de périscope à l’ego. Et l’ego-dieu ignore tout de cette vérité. Imaginons un sous-marin dont le périscope fait voir les objets d’une façon déformée ; tantôt plus à droite ou plus à gauche, ou plus près ou plus loin. Difficile de viser juste ! En ignorant que ses instruments de guidage sont défectueux, l’ego vit le plus souvent dans la souffrance que dans le bien-être comme pourtant il le souhaite. L’ego-dieu ressemble plus à l’ego-diable condamné aux flammes de l’inconscience. La mort de l’ego, c’est d’abord et avant tout, mourir aux illusions projetées par le mental menteur.

Déjouer le mental menteur.

Nous avons un immense talent pour interpréter la réalité avec une créativité horrifiante. Vous attendez votre amoureux pour souper à 18 heures. Il est 19heures, il n’est pas arrivé et vous n’avez pas eu de ses nouvelles. Que vous dites-vous ? Que ressentez-vous ?

Il lui est arrivé un accident : inquiétude, angoisse.

Il a oublié. Donc, il ne m’aime pas : tristesse, désespoir.

Il a été retardé au bureau et n’a pas pu me prévenir : légère impatience.

Je vais lire en attendant : calme. 

Quelles que soient les causes de ce retard, vous ne pourrez en vérifier l’exactitude que lorsque la personne attendue prendra contact avec vous. Certaines personnes ont tôt fait de choisir parmi les interprétations les plus douloureuses, se laissant piéger par leur mental menteur, alors que le simple bon sens incite à choisir l’interprétation la moins pénible, en attendant de pouvoir vérifier. Je déforme la réalité, je l’interprète en fonction de ma propre histoire personnelle et il ne me vient pas à l’esprit de vérifier ma façon de penser. Nos émotions douloureuses sont souvent causées par nous-mêmes et non par la réalité extérieure. C’est notre discours intérieur qui est la cause première de notre malheur. Voici, par exemple, la vision du “ tout ou rien ”, des lunettes idéales pour le perfectionniste. Il arrive premier à un concours, c’est bien ; il arrive deuxième, c’est un raté qui dégage des signes de dépression. Il est incapable de s’évaluer correctement. La personne piégée par un “ filtre mental ”, quant à elle, ne retient que les aspects négatifs d’une situation. Elle retient amèrement la critique de son patron et oublie les compliments qu’il lui a faits. Le mental sait nous pousser parfaitement dans les extrêmes de “ l’exagération ” et de la “ minimisation ”. C’est l’art de facilement grossir nos erreurs par 10, ce qui nous donne droit à une dépression parfaite de 100 %. Le mental menteur fait porter aux gens des lunettes déformantes sans qu’ils s’en aperçoivent, tel le modèle des “ conclusions hâtives ”. Après deux peines d’amour consécutives, ils concluent que l’amour n’est pas pour eux. Ça ne marchera plus jamais et, de plus, c’est bien connu jamais deux sans trois ! D’autres portent le modèle “‌ généralisation excessive ”. Véritables boules de cristal, ces lunettes permettent de voir l’avenir : le malheur d’un jour se reproduira toujours !

Le mental peut bel et bien voiler ce qui est et faire voir ce qui n’est pas. Comment s’en rendre compte ? Benoît Rancourt vous suggère d’appliquer cet exercice pendant un mois. Chaque fois qu’un événement vous contrarie, précisez les trois éléments énumérés ci-dessous.

Ce qui arrive (la situation) :

Vos réactions spontanées (ce que vous vous dites, ce que vous éprouvez) :

Vos réactions rationnelles (les autres manières de “ voir ” l’événement) :

Si j’ai le pouvoir de me faire souffrir par mes discours intérieurs négatifs, n’ai-je pas le pouvoir de me guérir ? L’ego qui se rappelle que c’est son discours intérieur qui le fait souffrir et non l’événement comme tel réajuste son “ périscope ” et agit d’une façon plus satisfaisante. Mais pour mieux corriger ses fausses perceptions de la réalité, il doit d’abord apprendre à l’accepter telle qu’elle est.

Accepter la réalité.

Le point de vue égocentriste reste toujours le même : “ Que ma volonté soit faite et comme le dit si bien le psychologue et philosophe Durkheim : “ Une des tâches les plus difficiles données à l’homme est de renoncer à lui-même, au désir de se mettre en avant, à vouloir que le monde corresponde à l’idée qu’il s’en fait ”. L’ego n’accepte que la réalité conforme à ses désirs. L’autre réalité, celle qui le contrarie dans ses plans, se voit refusée ou niée. Ainsi, le yoga de “ l’acceptation inconditionnelle ” commence par un NON qui devient OUI  à tout ce qui est, un OUI à tout ce qui émerge à la conscience. Accepter ne signifie pas être d’accord, personne n’est d’accord avec un homme qui bat sa femme ou une femme qui bat son enfant. Mais il est possible d’accepter ce fait, cette réalité. Personne n’approuve la violence, mais la violence fait partie de la réalité et doit être acceptée inconditionnellement. Tout ce qui arrive doit être reconnu, accepté, du stylo qui permet d’écrire jusqu’à l’accident de voiture qui décime toute une famille, parce que ça existe, tout ça arrive. Mais l’ego a peine à reconnaître ce qui le fait souffrir et le prive de ses biens matériels et affectifs. Il criera NON à cette réalité qui pourtant, existe bel et bien. Pour mieux comprendre le processus de négociation de l’ego, on peut  présenter les différentes phases qu’un patient condamné à mort par un diagnostic médical est susceptible de traverser. Le premier NON peut prendre la forme du déni. “NON ! Ce n’est pas possible, il doit y avoir une erreur, ça ne peut être aussi grave ”. Et le malade peut faire comme si tout allait pour le mieux. Mais les symptômes finissent par s’aggraver et rendent le déni difficile. Le NON peut prendre alors la forme de la révolte : “ Pourquoi moi, c’est injuste ”. La colère passe et le patient peut tenter de négocier avec le ciel : “‌ Si je survis, je promets de …”. L’ego a compris que le déni est inutile, que la colère est vaine, pourquoi ne pas négocier pour éviter de tout perdre. Après l’échec de la négociation, le NON peut prendre la forme de la dépression. L’ego s’avoue vaincu et, de toute évidence, la mort est au rendez-vous. Le malade peut accepter enfin la réalité, la seule étape oùil peut ressentir la sérénité qui l’accompagne jusqu’à son dernier soupir.

Chaque fois qu’il y a un NON, la souffrance émerge. Quand enfin le OUI apparaît, le calme s’établit. La volonté de l’ego coïncide avec la volonté de l’Univers. L’ego devient un en lui-même, en mettant fin à toutes ses luttes pour masquer la réalité. La souffrance de l’ego découle du fait qu’il est prisonnier d’une forme ou l’autre de refus, plus ou moins similaire à ce qu’éprouve un patient qui apprend qu’il va mourir. L’ego se libère de sa souffrance en cessant de nier ou de refuser. L’ego se libère par l’acceptation. La réalité acceptée passe ; l’ego acceptant passe également en avançant sur le chemin qui doit l’unir au Soi. Car, c’est bel et bien la destinée de l’ego que d’être un passage vers le Soi. Le sentier de l’acceptation inconditionnelle est un chemin suicidaire pour l’ego. De même que le sentier de l’authenticité conduit à la mort de l’ego public, c’est l’ego dans sa totalité cette fois qui disparaîtra par la voie de l’acceptation inconditionnelle. Chaque réalité acceptée est un pas vers la réalité du Soi, ce “ témoin en soi ” auquel on accède en accueillant tous les aspects de la réalité qui émergent à la conscience. Ce chemin est une ascèse difficile, c’est “ le yoga de la  soumission à la réalité ”.

Tous les maîtres spirituels insistent particulièrement sur l’acceptation de la réalité quotidienne qui fait partie du chemin vers la réalité ultime. Théoriquement, le chemin de l’acceptation est simple à comprendre, mais c’est un chemin contre nature pour l’ego car, par nature, il refuse tout ce qui le frustre et ne dit oui qu’à ce qui le gratifie. Il faut donc s’attendre à ce qu’il résiste à s’engager totalement sur ce sentier. Et plus l’ego a de la difficulté à accepter ce qui se passe dans son monde émotionnel, plus il a de la difficulté à accepter son semblable et les événements de la vie quotidienne. L’acceptation de ce qui arrive hors de soi est reliée à l’acceptation de ce qui émerge en soi et tout ce qui est au fond de soi sans être accepté alimente notre mal-à-vivre existentiel. Plus nous refusons notre réalité intérieure (émotions, pensées, désirs) parce que nous la jugeons mauvaise, plus elle s’accroche à nous et tente de refaire surface à la moindre occasion. Il faut voir tout ce qu’il y a à voir en soi, même si ce regard intérieur soulève des émotions douloureuses. Nous devons retrouver notre faculté d’être en contact avec nos émotions sans les juger, puisque le jugement constitue le voile qui empêche de faire la lumière sur ce qui nous habite, sur ce que nous sommes. Ainsi, l’obstacle majeur sur le chemin de l’acceptation inconditionnelle est le “ jugement ” ; le jugement de son semblable, comme le jugement de soi-même. La voie de l’acceptation passe par la connaissance et la conscience de soi, nécessaires à la conscience du Soi impersonnel. Et tout ce qui arrive, en soi comme à l’extérieur de soi, doit être signé par le OUI, sans aucun jugement.

OUI ; passe-partout sur le chemin de la conscience.

Le OUI c’est l’Ouverture à ce qui est, l’Unification de notre être et l’Intelligence active en nous.

L’ouverture consiste à voir ce qui est. L’unification consiste à voir ce qui est, sans comparer avec ce qui aurait dû être. Devenir un avec ce qui est en faisant disparaître la marge entre ce qui est et ce qui n’est qu’une idée, c’est-à-dire ce que l’on souhaiterait qui soit. L’intelligence active en soi engendre le savoir-faire avec ce qui est : maintenant que cela est, qu’est-ce que je fais avec cette réalité ? Le OUI, trois lettres passe-partout sur le chemin de la conscience ; un mot plein de pouvoir qui transforme la souffrance en conscience. Voir ce qui est, sans le comparer avec une idée et savoir-faire avec ce qui est arrivé. Autrement dit, je m’ouvre à la réalité au lieu de dire non. Je suis un avec cette réalité puisque je ne compare pas avec ce qui aurait dû être et qui n’existe que dans ma tête. Je fais un avec cette réalité en agissant avec intelligence ; qu’est-ce que je fais maintenant ?

OUI, un mot simple à dire, mais si difficile à vivre. Et pourtant, pour nous rappeler ce OUI libérateur, nous pouvons toujours compter sur le NON. Il nous rappelle que nous ramons à contre-courant, que nous nions une réalité, que nous sommes hors du réel. Le non fait partie du chemin qui conduit au oui. C’est par le non et la conscience souffrante qui l’accompagne que l’émergence du oui et l’évolution de la conscience s’effectuent. Le OUI est le mantra le plus puissant, le plus mortel qui soit pour l’ego. Vivre dans la vigilance du OUI pour mourir à soi et naître au Soi impersonnel. Dès que le malaise émerge, dès que le mal-être surgit, symptôme du non, il est utile de se poser une question : y a-t-il quelque chose que je refuse, que je n’accepte pas, une réalité que je voudrais autre ? La souffrance est accompagnée du non, c’est vrai, mais qu’est-ce que je fais maintenant ? Et même s’il n’y a rien de concret à faire, même si je suis réduit à l’impuissance, c’est toujours cette question qui assure le passage du NON au OUI, passage de la souffrance à la conscience. La marge entre ce qui est et ce qui devrait être disparaît. La marge entre la souffrance et la conscience disparaît. Qu’est-ce que je fais maintenant ? Une question qui efface toutes les marges. Je change ce que je peux changer et, dans l’impossibilité, je dis OUI à la souffrance qui me change.

Vivre le OUI à la réalité, c’est un peu comme obéir à un gourou. En Orient, le gourou incarne celui qui sait. Non pas un savoir conceptuel, théorique, mais un savoir qui vient du cœur et vérifié par l’expérience, un savoir-être. Un “ je sais ” qui signifie “ je vis ”. En Occident, les gourous ne sont pas légion. Pour un véritable sage qui a connu l’illumination, une masse de faux gourous tentent de rehausser leur propre ego en se faisant aduler par des disciples de plus en plus nombreux. Il est donc très facile de se tromper dans sa recherche d’un gourou authentique. Nous oublions souvent dans notre recherche de gourou qu’un seul ne ment jamais, est toujours authentique et constitue le guide le plus sûr : la VIE elle-même. Ce qu’on oublie trop souvent, c’est que la vie nous propose toujours des occasions pour nous amener à voir la réalité telle qu’elle est. Donc, voilà où se trouve le véritable gourou devant moi, face à moi, en moi. Le gourou est la vie dans toutes ses manifestations, la somme de tous les événements qui composent mon existence. Quand le disciple est prêt, le gourou apparaît, dit-on en Orient. Sommes-nous capables d’accepter la vie comme une autorité qui peut nous faire avancer sur le chemin de notre évolution spirituelle ? Pouvons-nous suivre sa volonté, au lieu de dire non aux événements qui ne correspondent pas à notre volonté ? Que choisir la volonté de la vie ou celle de l’ego ? Les événements de la vie ne mentent jamais, ne cachent rien. Ils sont là, devant nous, avec les réactions qu’ils soulèvent dans notre for intérieur. Trouver un gourou en Occident consiste à s’ouvrir au gourou qui respire en soi, la vie en soi, réagir et agir aux incessants événements qui composent notre vie quotidienne. Que dois-je faire ? ” demande le disciple au gourou. À cette question, la vie répond toujours la même chose : fais avec ce qui est. Tel est le chemin ; refuser ce qui est revient à détruire l’escalier qui élève la conscience. Tous les événements qui m’arrivent, agréables comme désagréables, sont bel et bien là et j’ai à faire avec ce qui est. Faire avec ce qui est, en oubliant ce que j’aurais souhaité qui soit. Suivre la volonté de la vie et oublier ma propre volonté. Telle est la discipline qui conduit tout au bout du Chemin, discipline tout aussi efficace que la méditation, le zen ou le yoga.  Faire avec ce qui est et découvrir ce que l’on est. La vie est gourou, l’autre est aussi gourou et les événements sont gourou, tout ce qui arrive représente le gourou qui vit en Soi.

Maintenant que j’ai trouvé mon gourou, donc que je sais que la vie est mon gourou, cette vie hors de moi (les événements, les rencontres avec l’autre), comme la vie en moi (mes pensées, mes émotions, tout ce qui constitue mes événements intérieurs), suis-je plus avancé ? L’autre est mon gourou. Soit. Mais il n’a pas encore atteint le bout du Chemin. Il est toujours coincé dans ses propres illusions, dans ses désirs contradictoires, dans ses peurs et ses conflits. Comment autrui peut-il m’aider à traverser un chemin qu’il n’a pas traversé lui-même ? Si l’autre est mon gourou, il ne l’est pas en soi.Il n’a ni l’autorité ni la sagesse pour exiger ma soumission ou m’imposer une discipline. L’autre n’est pas gourou en lui-même. Il n’est que le miroir du véritable gourou intérieur qui se trouve en moi : le Soi. En sachant cela, je peux découvrir un gourou partout. La mission du sage ayant transcendé l’ego consiste à conduire le disciple aux portes du Soi, au stade de la Conscience universelle, là où tout fait Un. Or, la connaissance du Soi passe par la connaissance de soi et l’autre est un véritable maître dans ce chemin de la connaissance se soi. L’autre sera toujours un maître qui me fera passer par toute la gamme des émotions. L’autre me révélera toute ma peur, ma possessivité, ma jalousie, l’ombre en moi qui demeure cachée au soleil de la conscience. L’autre est miroir qui me révèle à moi-même. Tous les conflits que je n’ai pas résolus avec papa-maman referont surface tôt ou tard, à cause de l’autre, grâce à l’autre, afin d’être finalement réglés. On n’atteint pas l’unité du Soi sans réduire la division en soi. L’autre-gourou, c’est celui qui me sert de miroir sur le chemin de la connaissance de soi. C’est celui qui me ramènera à tout ce qui habite en moi et que j’aurai à connaître, reconnaître, avant de naître au Soi. Le Chemin consiste à traiter l’autre en gourou au lieu de voir en lui le responsable de ma souffrance. L’autre, c’est la personne en face de moi, comme l’événement qui se présente à moi. Le gourou se présente partout. Il y a “ l’autre personne gourou ” sur le chemin, comme il existe “ l’autre événement gourou ”. Et cette “ autre personne-événement-gourou ” devient tout aussi important sur le chemin de la connaissance de soi. Ce que je refuse, ce qui me déplaît, ce qui m’impatiente dans un événement, comme dans ma rencontre avec l’autre, n’est-il pas l’expression de ce que je refuse en moi, à ce moment précis ? Ce que je refuse à l’extérieur est souvent le miroir d’un refus intérieur ; ce qui me déplaît à l’extérieur est miroir de ce qui me déplaît à l’intérieur. Mais nous voyons si facilement la poussière dans l’œil de notre voisin sans tenir compte de la poutre qui fausse notre vision… Au lieu d’ouvrir le feu sur le coupable poussiéreux, pourquoi ne pas faire une trêve en s’arrêtant sur la question qui nous rend disciple : Qu’est-ce que je fais avec ce qui m’arrive ? La réponse à cette question ne peut suivre deux directions : celle du OUI, de la reconnaissance de ce qui est et celle du NON, du refus de ce qui est.

L’acceptation de ce qui est en soi, comme hors de soi est pourtant la seule direction qui conduit à la transformation. Je ne suis pas libre de ce qui m’arrive hors de moi comme en moi. Par contre, je suis libre de mon attitude face à ce qui m’arrive ; l’attitude du OUI ou l’attitude du NON. La liberté vient de l’acceptation jamais du refus de la réalité. Cette liberté qui repose sur la responsabilisation de sa vie, inséparable d’une attitude d’acceptation de tout ce qui arrive. Telle est la mission du gourou : amener le disciple à parcourir le Chemin de la libération. Chemin sur lequel n’existe aucun coupable (ni moi ni toi) ni aucun refus de ce qui arrive. Il n’y a que la responsabilité d’avancer en acceptant tout ce qui est sur ma route. Que le gourou s’appelle Bouddha, Krisna, Christ ou encore Claude, Martine, une clef perdue, une maladie ou un divorce, tous ces personnes-événements-gourous sont des représentants de la Gourou-Vie. Tous ces gourous conduisent à la découverte de l’éternel gourou en soi, celui qui veille toujours quand on se soucie de sa présence.

L’ego qui s’engage sur la voie de l’acceptation inconditionnelle gagne de la maturité, cette maturité nécessaire à un amour plus inconditionnel. L’ego infantile, c’est l’enfant de trois ans qui pique une colère monstre parce qu’on lui refuse un bonbon. Après sa colère, de toute façon, il devra composer avec la réalité frustrante. Le bonbon tant désiré demeure toujours inaccessible. Une fois l’émotion exprimée, l’enfant redevient ouvert et aimant. L’acceptation de l’émotion lui permet d’accepter l’événement refusé au début. L’émotion est comme une deuxième chance de gérer la frustration en l’acceptant. Je ne peux accepter ce fait ” (pas de bonbon), mais “ Je peux accepter ce que cela me fait ” (la colère). L’émotion passe, guérit la blessure et libère du passé. L’émotion ressentie et exprimée est ce mouvement d’évolution vers la maturité en permettant le passage du NON au OUI libérateur. Malheureusement, l’émotion peut être bloquée pour une foule de raisons. La charge émotionnelle ne trouve plus de voie de passage. Le refus de l’émotion à la conscience la refoule dans l’inconscient corporel. Avec les années, la tension peut augmenter et le corps commence à exprimer en maux (douleurs, ruminations, dysfonctions, maladies) ce que la conscience n’a pu dire en mots. “ Qu’est-ce que ce fait extérieur me fait à l’intérieur ?(émotion) et “ Qu’est-ce que je refuse dans ce fait ” ? Cette question clef nous aide à effacer la marge entre ce qui est et ce que le mental menteur aurait voulu qui soit et à saisir qu’une émotion qui émerge est le signe que le fait extérieur est mal accepté ; ce qui est attendu par l’ego et ce qui se produit ne coïncident pas. L’ego refuse d’accorder à l’autre ou à l’événement le droit d’être différent de ses attentes. En accordant ce droit à l’autre ou à l’événement, l’ego se renonce, en renonçant aux gratifications qu’il espère obtenir. Lorsque l’ego découvre qu’il engendre lui-même sa souffrance en refusant à la réalité le droit d’être simplement ce qu’elle est, la frustration n’a plus raison d’exister. La relation avec l’autre peut prendre une nouvelle dimension. En libérant l’autre de son obligation d’être à notre service, on se libère de ses fausses attentes, de sa fausse vision égocentrique, fausse parce qu’il est faux que l’autre existe pour combler notre propre manque-à-être, notre propre manque-à-vivre. L’ego libéré de ses attentes n’est pas encore libre de ses besoins et de ses désirs, mais il cesse de regarder l’autre comme une nourriture à conquérir. Il le regarde comme un ego qui lui aussi cherche à se nourrir, à recevoir et le laisse libre dans sa quête de nourriture (d’amour). L’ego voit l’autre comme il se voit lui-même : en attente, en quête de quelque chose qui comblera ses besoins (d’amour). Or, l’ego renonce à voir combler ses besoins par un autre ego qui lui aussi est toujours en attente de voir combler ses propres besoins. L’ego reconnaît qu’il est vain d’attendre de l’extérieur de soi ce qui le comblera ; son regard se tourne maintenant vers lui-même, vers sa propre source de nourriture. Son regard est dans la bonne direction ; dans la direction du plus grand en lui, qui seul peut le libérer à tout jamais de ses besoins et de ses désirs. Quand l’ego libère l’autre de son obligation d’être nourriture pour lui, il se libère de ses attentes et découvre que tout est en Soi. L’ego est devenu sage, approchant de sa propre mort pour entrer dans le royaume du Soi.

Le renoncement.

Le chemin de l’acceptation inconditionnelle qui prépare celui de l’amour inconditionnel nécessite de renoncer à sa propre satisfaction et semble conduire au “ tout à toi, tout pour toi ”. S’il est vrai que l’abnégation de soi conduit à la libération, il est encore plus vrai que ce renoncement, mal compris, conduit plus sûrement à la névrose et à la maladie. Avant d’être capable de s’oublier soi-même, il faut d’abord être capable de s’occuper de soi en revendiquant ses droits, en assumant la responsabilité et la satisfaction de ses besoins. Avant de renoncer à sa place, il faut d’abord occuper cette place. Il faut distinguer le sacrifice de soi et le renoncement à soi. Même si extérieurement le comportement peut être le même, le vécu est fort différent parce que les motivations sont différentes. Dans notre propre contexte religieux, le sacrifice de soi par charité chrétienne est proposé comme une valeur importante. L’autre doit passer avant soi et la personne qui pense trop à elle sera jugée égoïste, quand ce n’est pas elle-même qui éprouve des sentiments de culpabilité lorsqu’elle a l’impression de faire passer ses besoins avant ceux des autres. La peur de perdre l’amour des autres et la crainte de ressentir de la culpabilité d’être égoïste sont des motivations sous-jacentes au sacrifice de soi. Une telle personne n’est pas libre de ne pas se sacrifier. C’est sa seule manière d’être au monde qui lui permet de s’aimer conditionnellement elle-même. Tout sacrifice de soi effectué consciemment ou très souvent inconsciemment dans le but d’être aimé par l’autre afin de s’aimer soi-même conduit le plus souvent au mal-à-vivre et à la maladie plutôt qu’à la santé et à l’amour de soi. “ Charité bien ordonnée commence par soi-même ”. Je peux vraiment commencer à m’oublier quand j’ai réussi à prendre ma place parmi les autres. Je peux vraiment m’effacer pour le bien de mon semblable quand je suis aussi capable de m’affirmer pour mon propre bien. Pour se renoncer, il faut avoir quelque chose à abandonner, il faut pouvoir se détacher d’un état d’être que l’on a déjà connu. Il est essentiel d’avoir atteint un certain niveau de satisfaction de ses besoins avant de pouvoir se centrer sur les besoins de son semblable et l’aimer pour ce qu’il est et non pour les besoins qu’il nous permet de satisfaire. Quand l’ego s’intéresse suffisamment à lui-même, il se nourrit et il grandit et, alors et alors seulement, il peut s’intéresser vraiment à autrui de façon plus gratuite. Le fait de donner peut alors devenir un geste gratifiant en lui-même sans être associé à l’espoir de recevoir en retour. Préparer la mort de l’ego, c’est d’abord connaître une belle vie d’ego bien nanti, occupant une grande place. Puis l’ego passe à autre chose, se détache, se déplace pour enfin donner une place à l’autre. La personne réalise alors son bien en concourant au bien de ses semblables, cette aptitude à se centrer sur autrui étant une caractéristique que l’on retrouve chez les personnes actualisées. Comme le précise Walsh : “ Plusieurs traditions suggèrent que l’attachement, le désir très fort de voir ses besoins assouvis, est la source de la souffrance et que les individus au développement élevé sont plutôt motivés par le désir d’apporter leur contribution, de se mettre au service des autres. La santé pourrait être associée à une diminution des attachements et à une proportion plus élevée de comportements orientés vers le service, par rapport à ceux centrés sur l’ego ”. “ Le Soi nous demande seulement d’accueillir ce que nous sommes au plus profond de nous-mêmes ”nous dit Durckhein. Et nous sommes d’abord un ego bien égoïste et bien égocentrique. C’est en acceptant cet ego que nous allons vers le Soi. De l’attachement, nous passons au détachement et à la conscience après avoir reconnu la souffrance liée à l’attachement à nos dépendances. Le Chemin nous demande d’accepter tout, malgré tout, en prenant la responsabilité de tout ce qui nous arrive.

La responsabilité.

Les sages sont particulièrement intransigeants envers l’ego. Ils ne lui laissent aucune chance de se défiler en clamant qu’il s’attire tout ce qu’il lui arrive. L’ego est donc ainsi entièrement responsable de sa souffrance. Bouddha fut sans doute en des premiers grands maîtres spirituels à insister sur la responsabilité de sortir de sa souffrance. Seul, ayant renoncé à ses gourous précédents, il se mit à réfléchir sur le Chemin de la libération, un chemin situé entre l’abandon aux plaisirs du corps et une ascèse excessive se transformant en torture déraisonnable du corps et de l’esprit, le Noble Chemin. Voici l’interprétation de ce Noble Chemin que nous propose Benoît Rancourt.

Sur le long du Chemin de la Conscience, il y a la souffrance qui n’est que le premier pas vers la Conscience. La souffrance, c’est de la Conscience en puissance. La souffrance est donc graine de conscience. Le Droit Chemin qui conduit à la conscience est parcouru grâce à l’attitude juste. L’attitude juste transforme la souffrance en Conscience en passant par trois simples questions :

Qui souffre ? Qui me fait souffrir ? D’où vient cette souffrance ? À la première question, la réponse est MOI. À la deuxième, la réponse est encore MOI. À la troisième, la réponse est toujours MOI. Voilà la Noble Vérité sur l’origine de la souffrance. La souffrance provient de notre propre moi. L’attitude juste consiste à vivre avec cette conscience : “ Je suis responsable de ma souffrance, j’ai donc le pouvoir de transcender cette souffrance et personne d’autre que moi peux réaliser cette tâche ”. Quand je me reconnais comme à l’origine de ma souffrance, j’ai le pouvoir de m’en libérer. Tant que je considère que c’est l’autre ou un facteur extérieur à moi qui me fait souffrir, je suis condamné à souffrir, en attendant peut-être, que mon environnement se modifie. Avec ce Noble Chemin de l’attitude juste, il est inutile de chercher qui a raison ou qui a tort, c’est la faute à qui ou à quoi. Il n’a qu’un seul but : transformer la souffrance en conscience, l’impuissance en pouvoir, en assumant la responsabilité de sa vie.

La notion orientale de karma vient appuyer l’importance d’assumer la responsabilité de sa vie. Toutefois, considérer le karma comme une simple loi éthique selon le bien et le mal, de récompenses et de punitions, dénote une compréhension boiteuse et incomplète. S’il demeure vrai que dans l’ensemble “ on récolte ce que l’on sème ”, la mauvaise récolte n’est pas une punition du justicier cosmique, mais bien une infraction à certaines lois de la vie, que nous ignorons certes, mais que nous devons finir par connaître et respecter. Dans cette optique, le karma prend le rôle d’un instructeur, d’un guide. Il nous fait réfléchir sur les conséquences de nos actes. Si je rame dans le bon sens du fleuve, j’arriverai finalement à la mer. Si je rame dans le sens contraire, j’aurai des signes pour me ramener dans le “ Droit Chemin ”. Il nous incombe d’interpréter correctement ces signes et, tant et aussi longtemps que nous en demeurons inconscients, la loi de cause à effet tentera patiemment, inlassablement, de nous éveiller. La loi du karma est plus qu’une comptabilité éthique, c’est une loi d’évolution de la conscience. Dans cette optique, les notions de punitions que je dois expier passivement ne tiennent plus. Je ne peux plus me décharger de la responsabilité de mon changement en disant : “ C’est la vie !, c’est mon destin ”. Je suis libre potentiellement et toutes les traditions  spirituelles ne cessent de signifier cette liberté. Je suis tout à fait libre d’aller à contre-courant et d’en assumer les conséquences. Je suis libre de boire, comme je suis libre de cesser de boire ; je suis libre de blâmer tout le monde, comme je suis libre de cesser ce jeu inutile ; je suis libre de faire le bien comme je suis libre de faire le mal. La loi du karma n’est que le guide cosmique qui nous permet de faire les apprentissages qui nous sont nécessaires pour aller là où nous devons aller. Voir le karma comme un guide cosmique au lieu de le voir en comptable justicier ne change pas grand-chose aux faits, nous récoltons toujours ce que nous semons. C’est au niveau de notre attitude que la transformation s’accomplit. Je deviens responsable de mes actes et de mes choix. Je ne peux plus invoquer la punition cosmique pour me décharger de ma responsabilité et justifier ma passivité. Je ne peux plus invoquer qu’il faut que j’expie, que je fasse mon temps, que c’est mon destin. Je suis bel et bien le créateur de ma destinée.

La psychologie occidentale a aussi, jusqu’à un certain point, un concept qui s’apparente à la notion de karma. C’est ainsi qu’il y a ceux qui croient en leur contrôle sur leur existence et ceux qui croient que la vie n’est que hasard. Ceux qui croient qu’ils sont responsables de ce qui leur arrive et ceux qui s’en remettent au destin. L’internalité et l’externalité sont deux concepts liés à la croyance qu’ont les gens sur leur pouvoir dans la vie. Alors que l’interne fait l’expérience qu’il a une emprise sur sa vie, qu’il peut maîtriser une bonne part de ce qui peut lui arriver, l’externe fait l’expérience de non-maîtrise de son environnement. Au niveau de la motivation, l’externe ne cherche pas à contrôler une situation difficile ; au niveau cognitif, il fait rarement le lien entre ses actions et les résultats ; au niveau émotionnel, il fait plus souvent l’expérience de l’impuissance et du désespoir. L’externe se retrouve souvent en inhibition de l’action, il souffre d’une impuissance acquise. Cette inhibition de l’action (efficace et gratifiante pour maintenir son équilibre physique et psychologique) est un des facteurs qui augmente le degré de stress et les risques de troubles et de maladies psychosomatiques. Inutile de mentionner que les recherches constatent que les internes ont de meilleures capacités d’adaptation, qu’ils réussissent mieux à l’école, souffrent moins de signes d’anxiété. Ils sont beaucoup moins démunis devant l’adversité de l’existence. Les traditions spirituelles penchent toujours du côté de l’internalité. Chacun s’attire tout ce qui lui arrive parce qu’il l’a provoqué ! Est-ce bien vrai ? Comment savoir ? Mais, quoi qu’il en soit, agir “ comme si ” c’était vrai donne plus de pouvoir qu’il n’en enlève. Le pouvoir de se transformer et de s’assumer au lieu de chercher à détenir le pouvoir sur l’autre, considéré comme la cause de tous nos malheurs.

De la conscience de soi à celle du Soi.

Sur le sentier de l’acceptation inconditionnelle, l’ego découvre sa vérité : son égoïsme et son égocentrisme. Toujours avoir mieux, toujours avoir plus, toujours avoir encore, mais aussi toujours récolter la souffrance inexorablement liée à l’avidité d’avoir. Se préparer à la mort de l’ego, c’est d’abord et avant tout mourir à la souffrance. Présentée ainsi, la mort de l’ego plaît à l’ego. L’ego a horreur de la souffrance et il manifeste plein de bonne volonté pour l’éviter. Quand il réalise qu’il s’inflige lui-même sa souffrance en créant toujours une marge entre ce qui est (volonté de la vie) et ce qui devrait être (volonté de l’ego) et en abandonnant sa responsabilité d’agir d’une façon plus satisfaisante parce qu’il attend que l’autre ou l’Univers répare l’offense, il accède à son pouvoir de transformation. Sa motivation à sortir du cercle de la souffrance s’accroît. L’ego entre alors au monastère de la Conscience. Sa prière consiste à voir ce qui est en composant avec la réalité telle qu’elle est. Prière du quotidien débusquant les pièges du mental menteur qui engendre sans cesse la division par ses interminables “ Cela aurait dû arriver autrement ”. Sa méditation quotidienne, dans ce monastère de la Conscience, est celle de la responsabilité. J’ai choisi ce qui m’arrive. Phrase mortelle qui tue immédiatement tous les blâmes contre les autres ou contre soi-même. C’est maintenant à moi, et à moi seul, qu’incombe la responsabilité de transformer ma souffrance en conscience. Personne à blâmer pour cette souffrance. Elles ne sont pas toujours facile cette prière de l’acceptation inconditionnelle et cette méditation de la responsabilité dans ce monastère de la Conscience qu’est la Vie. Et pourtant, y a-t-il une meilleure prière que celle qui conduit à accepter la réalité quotidienne en faisant grandir la conscience de soi jusqu’à la Conscience du Soi. Y a-t-il une méditation plus puissante que celle qui conduit à abandonner tout blâme, pour ses besoins non-satisfaits, en accédant de plus en plus au pouvoir de l’Amour.

Lire la suite les étapes de la conscience : l’amour conscience et guérison dans le couple.


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