Comme l’énonce Dan Freeman, ce n’est ni l’émotion, ni la raison, mais bien la “ conscience ” qui distingue l’homme du règne animal et le rend véritablement et fondamentalement humain. Et pour Benoît Rancourt, psychologue et auteur de l’ouvrage “ Franchir les étapes de la conscience ”, c’est la “ conscience agissante ” qui est essentielle pour évoluer vers une plus grande humanisation de l’être humain. Essentiellement, un “ savoir quoi faire ” avec “ ce que je sais ” conduit à une nouvelle expérience, à un “ savoir être ” qui se veut “ conscience agissante ”. Franchir les étapes de la conscience, c’est d’abord développer cette conscience agissante en soi liée à une action consciente dans sa vie quotidienne. Nous explorons avec Benoît Rancourt certaines connaissances qui facilitent la croissance tant sur les plans personnel, interpersonnel que transpersonnel. Il propose également des outils de travail sur soi avec la conviction qu’il est possible d’utiliser les événements, ses expériences, ses relations interpersonnelles dans une direction de croissance. Des outils qui vous offrent l’occasion de devenir le véritable spécialiste de votre développement dans la vie quotidienne, en devenant créateur de nouveaux outils d’auto-développement adaptés à vos besoins. Mais comme il le précise, à ces informations il est essentiel d’y rajouter vos propres ingrédients que sont la réflexion et la remise en question.
En guise d’introduction, nous identifions ce qui nous est commun en tant qu’humains, la façon dont nous sommes constitués et influencés par notre éducation socioculturelle. Et nous explorons le fonctionnement optimal d’une personne actualisée et déterminons si nous sommes constitués pour agir d’une telle façon.
Le processus d’auto-développement.
Pour Benoît Rancourt, l’auto-développement c’est faire quelque chose pour soi, par soi avec les autres, en direction de sa croissance, dans sa vie quotidienne. Mais pour faire quelque chose, il faut une énergie de motivation accompagnée d’une intention d’agir. Et cette énergie nécessaire à l’action devient disponible quand se fait sentir ce besoin d’actualisation de soi. C’est souvent le mal-être qui éveille lentement ce besoin de grandir et qui élève la conscience. Sans mal-à-vivre, sans malaise, la nature humaine se fait facilement paresseuse et stagne, ce qui en soit devient une autre source de mal-être. En réalisant que notre tâche existentielle consiste à franchir tous les obstacles qui limitent notre épanouissement, nous devenons alors candidat à l’auto-développement. Le processus commence avec la prise de conscience d’être le premier responsable de son bien-être, personne d’autre que soi ne peut effectuer ce travail intérieur nécessaire.Tel que le précise Gustave Thibon : “ Tout homme reçoit deux sortes d’éducation. L’une qui lui est donnée par autrui et l’autre, beaucoup plus importante, qu’il se donne lui-même ”. Pour fonctionner correctement, la société n’exige pas que nous nous donnions cette seconde éducation. Par contre, pour vivre dans notre plénitude, nous ne pouvons pas reculer devant cette tâche d’auto-éducation. Gagner sa vie est une nécessité sociale. Réaliser sa vie devient une nécessité personnelle tout aussi vitale quand les symptômes d’arrêt de notre développement se font entendre à travers le langage du corps (migraines, maladies répétitives, ulcères, etc.) ou de l’être (perte de sens à la vie, sentiment de futilité, de vide, etc.). Mais ces souffrances ont un sens : elles doivent se transformer en conscience par un nécessaire travail sur soi. Et travailler sur soi, c’est s’inscrire volontairement à la grande école de la Vie, au lieu de rester assis paresseusement sur ses bancs en rêvant d’école buissonnière. Personne n’échappe jamais à cette grande école de toute une vie ; on peut la subir ou la choisir. Travailler sur soi, c’est choisir d’apprendre à apprendre. Apprendre est une chose, apprendre à apprendre en est une autre qui repose sur la créativité. On apprend une base comme les connaissances présentées ici, on agit pour vérifier leur valeur et on découvre un nouveau savoir-faire qui conduit au savoir-être ; c’est l’art d’apprendre à apprendre.
Grandir est un besoin fondamental latent en chacun de nous, mais il se manifeste avec force qu’à une certaine étape de sa vie. Comme tout besoin, le besoin de grandir commence à se faire entendre par une frustration, un manque de quelque chose quine relève pas du monde de l’avoir mais qui concerne plutôt le monde de l’être. Il arrive une étape où ce “ manque-à-être ” commence à nous faire souffrir et pour la première fois, nous nous regardons dans le miroir de la vie. Nous voyons notre façon de vivre qui fait de nous des frustrés existentiels. Nous prenons alors conscience de la marge entre ce que nous vivons et ce que nous aimerions vivre, quand ce n’est tout simplement le goût de vivre que nous avons perdu. Nous voyons défiler nos futilités quotidiennes avec impuissance et parfois avec dégoût. Quand ce jour arrive, un grand jour s’est levé. Le jour où de nouveaux besoins sont nés : le besoin de grandir, de se connaître, de donner un sens à son existence, de communiquer au-delà des banalités, de ressentir ce mouvement vers une conscience accrue de soi et de l’Univers. C’est un grand jour, mais nous sommes bien démunis. La société nous indique ce qu’il faut faire pour gagner sa vie, mais une fois que cette vie est gagnée par le travail rémunéré, quelque chose manque encore. L’école de la Vie tente de nous enseigner une toute autre leçon, mais comme il n’y a ni professeur, ni examen, ni diplôme, rien pour nous pousser, nous attendons passivement que quelque chose de “ grandissant ” se passe dans notre vie. Mais rien ne se passe, car c’est justement à nous à passer à l’action. L’apprentissage au travail sur soi n’est que cette action qui conduit vers une meilleure connaissance et conscience de soi. Cette action peut suivre deux directions opposées : la sécurité (le connu) ou le risque (l’inconnu). L’actualisation de soi exige que nos actions tendent de plus en plus vers le pôle du risque. Ce qui est connu doit servir de tremplin vers l’inconnu. Il existe tout un continuum entre ces deux pôles. Plus l’actualisateur fait des actes qui lui semblent risqués, mais possiblement enrichissants pour lui, plus il devient un haut preneur de risques. Il lui devient facile de prendre des risques, puisque la peur d’agir en direction de sa croissance a diminué, dans la même mesure où sa sécurité intérieure a grandi. Il lui devient naturel d’apprendre à apprendre et il sait mettre l’inconnu au service de sa croissance. L’actualisateur découvre que le processus d’auto-développement conduit à la création continuelle de nouveau outils de croissance. Il découvre peu à peu que de nouvelles méthodes de résolution de problèmes viennent se rajouter à celles qu’il connaît déjà. Plus la personne grandit, plus elle se dirige de l’intérieur, comme si une sagesse la prenait en charge pour la guider dans les meilleures directions. Elle offre de moins en moins de résistance au passage de la Conscience en soi.
Société et développement personnel.
Les obstacles sont cependant nombreux dans notre projet de vivre plus consciemment. L’un d’eux provient du contexte socioculturel dans lequel nous baignons. La culture dans laquelle nous naissons favorise d’innombrables apprentissages et prend en charge une grande partie de notre développement qui peut être orienté dans toutes les directions, selon la société qui nous accueille. Notre personnalité se construit avec les éléments que fournit notre culture qui en constitue le cœur. Chaque société favorise l’apparition de certains comportements et en réprime d’autres jugés incompatibles avec les buts et les objectifs qu’elle poursuit. La culture remplit donc une fonction normalisatrice de nos conduites et de nos expériences. Le processus de développement individuel se voit ainsi orienté dans une certaine direction compatible avec les objectifs sociaux. Cette orientation opère une sélection de certaines façons de penser, de ressentir et d’agir et entraîne inévitablement une limitation de notre façon d’être et de faire. La personne ne peut pas tout faire, tout penser, tout ressentir à cause des normes intériorisées autorisant ou interdisant la manifestation de certains comportements, idées ou émotions. Il existe en nous un code inconscient permettant ou interdisant ce qu’il convient ou non d’être et de faire. L’éducation actualise donc une partie de notre potentiel, tout en réprimant une autre partie qui ne doit jamais se manifester pour ne pas entrer en conflit avec le mode de fonctionnement social établi. Comme l’énonce Fromm dans son ouvrage Le caractère social : “ Toute société pour survivre doit façonner le caractère de ses membres de façon à ce qu’ils désirent faire ce qu’ils doivent faire ”. Et Marcuse de considérer que “ Dans le développement normal, l’individu vit sa répression librement, comme si elle était sa propre vie ; il désire ce qu’il est normal de désirer ”. C’est ainsi que le “ bon ” fonctionnement social se voit favorisé.
Alors que “ l’adaptation ” consiste en cette capacité qu’à l’individu de répondre aux nouvelles exigences de son environnement qui se modifie, “ l’actualisation ” est la capacité de se développer en fonction de sa propre exigence personnelle, en fonction de son rythme, de ses aspirations, de ses objectifs personnels. Pour Joshi : “ la différence qui s’établit entre adaptation et actualisation de soi réside principalement en cette possibilité qu’a l’organisme, lors de l’actualisation, d’utiliser un potentiel nouveau jamais utilisé auparavant pour répondre à de plus grandes exigences ”. Alors que la personne qui s’adapte répond aux exigences de son environnement, la personne qui s’actualise développe son potentiel en fonction de ses propres besoins et de ses valeurs, ce qui lui permet de reconquérir la totalité de son être qui s’est vu amputé dans ce long processus de socialisation. S’actualiser, c’est élargir constamment son répertoire expérientiel et comportemental, c’est-à-dire sa façon de penser, de ressentir et d’agir. C’est reconquérir son droit d’être dans sa totalité.
Adaptation versus actualisation.
Tout le processus de croissance repose sur la capacité d’apprentissage. L’actualisateur utilise cette capacité d’une façon supérieure, comparativement à l’adaptateur.
En mode adaptation.
L’individu est pris en charge par le milieu parental et social dans son enfance et son adolescence, milieu qui lui inculque les normes et les modèles qui lui sont nécessaires pour jouer les rôles sociaux. Une fois adulte, il a la responsabilité d’être conforme aux attentes sociales. La responsabilité devient synonyme d’obligation et prend un caractère de nécessité. Il a la responsabilité de “ gagner ” sa vie, d’acquérir son autonomie financière, personnelle et sociale. L’individu a tendance à faire des choix en fonction de sa sécurité psychologique, qui favorisent le statu quo développemental. Face à un conflit, il cherche à éviter le malaise. Il n’ose affronter les situations qui lui font peur. Il agit dans un cadre existentiel relativement restreint hors duquel il craint de s’évader. Il choisit de protéger ses acquis pour ne rien perdre. L’individu est conforme aux rôles et aux attentes correspondantes pour exprimer son vécu. Il s’inscrit dans un réseau de double protection où chacun s’efforce de garder la face tout en sauvegardant celle de l’autre. Chacun se protège derrière la façade du paraître en évitant de déranger l’autre et d’être dérangé par lui. Il est préoccupé du jugement des autres, il recherche leur approbation, il craint d’être abandonné, de perdre l’amour d’autrui s’il ose exprimer ce qu’il vit réellement.
En mode actualisation.
L’individu n’est plus pris en charge par son milieu. Il est maintenant le seul responsable de son existence. Il est toujours interdépendant des autres pour faire ses apprentissages, mais il est à la fois son propre maître et son propre élève. Il est responsable de découvrir les situations d’apprentissage, les objectifs qu’il se fixe et les moyens pour y arriver. Il a la responsabilité de ses besoins et de leur satisfaction. Il assume les conséquences de ses actes. La responsabilité n’est pas vécue comme une obligation mais comme un libre choix. En somme, il assume la responsabilité de “ réaliser ” sa vie. L’individu fait des choix de croissance même si ces choix impliquent un risque. Il se permet donc de vivre de nouvelles situations. Il est ouvert à l’expérience. Il sait utiliser les conflits dans une perspective développementale. Sa peur devient un guide lui indiquant la direction à prendre pour se découvrir davantage. Il élargit constamment son répertoire expérientiel et comportemental face à l’environnement. Il choisit de risquer ses acquis pour se réaliser davantage. L’individu transcende les rôles sociaux pour exprimer son vécu, ceux-ci ne permettant pas de communiquer toute la complexité de ses émotions et de ses sentiments. Il ne protège pas l’autre, pas plus qu’il ne se protège lui-même outre mesure. Son être émerge de la façade, du paraître. Il se montre authentique, congruent, ouvert. Il exprime autant sa faiblesse que sa force, sa peur autant que son courage. Il devient son propre juge. Il sait ce qui est bon ou mauvais pour lui. Sa valeur personnelle ne dépend plus du jugement d’autrui. L’actualisateur peut éprouver des conflits, de l’anxiété, de la culpabilité, comme tout être humain. Mais comme Maslow le précise : “ le processus d’actualisation de soi implique que la personne ressente pleinement ce qui se passe en elle, que ses décisions et ses choix le soient en direction de sa croissance en découvrant sa véritable nature ”.
La personne qui s’actualise.
En quoi consiste le fonctionnement optimal de la personne actualisée ? Carkuff a effectué plusieurs études sur les personnes actualisées. Pour lui, les personnes en voie d’actualisation recherchent constamment à étendre leur répertoire comportementale et expérientiel comme source de leur liberté, de leur productivité et de leur créativité. La liberté, la spontanéité et la créativité font que leurs interactions avec l’environnement sont très flexibles. La liberté caractérise les actualisateurs, tandis que le déterminisme dirige la vie des personnes fonctionnant moins pleinement, qui réagissent de façon rigide et stéréotypée face aux situations souvent répétitives. La personne qui s’actualise apprend à conquérir la totalité de son être dans sa vie quotidienne et elle sait même utiliser les périodes de crise en direction de sa croissance, considérant celles-ci comme une meilleure occasion de croissance. Carkuff considère le processus d’actualisation du potentiel humain comme un processus d’apprentissage, d’acquisition de nouvelles réponses impliquant un développement qualitatif et quantitatif dans sa façon de penser, de sentir et d’agir, dans son interaction avec l’environnement. Cette disposition à l’apprentissage, qui est une caractéristique dominante des actualisateurs, offre un contraste évident avec le névrosé pour qui, selon Benoît et Berta : “ la création de nouvelles formes de conduite se réduit de plus en plus. Les possibilités de choix diminuent. Il perd des options et par cela même, il n’est plus libre. Le névrosé se trouve dans une impasse dans laquelle il ne trouve ni l’information ni le courage nécessaire pour réaliser des conduites alternatives qui facilitent son dépassement. Le déficit de conduites alternatives chez le névrosé détermine un déficit évident de sa capacité d’apprentissage ”.
En somme, le névrosé est un individu qui a appris à ne plus apprendre, tandis que l’actualisateur possède ce potentiel d’apprentissage et l’utilise pleinement. Ce processus comprend trois phases : une phase d’exploration des expériences et des situations d’apprentissage permettant à la personne de reconnaître quand elle se trouve en contact avec ces situations d’apprentissages et de s’y engager ; une phase de compréhension et de détermination des buts d’apprentissage à atteindre, phase où les objectifs sont fixés ; finalement, une phase d’action où la personne réalise son programme d’action pour développer les habiletés fixés par ses objectifs. En résumé, l’actualisateur sait percevoir les situations d’apprentissage et même en créer, déterminer ses propres objectifs d’apprentissage et agir concrètement pour les réaliser.
Alors que le processus de socialisation oriente notre façon d’agir, de penser et de sentir dans une direction déterminée par les nécessités sociales, le processus d’actualisation opère un mouvement inverse en redonnant à la personne sa liberté d’auto-direction, en permettant d’élargir son répertoire comportemental et expérientiel dans les directions les plus satisfaisantes. L’élargissement de son répertoire comportemental et expérientiel implique que la personne assume la responsabilité de cette transformation. C’est à ce niveau de la prise de responsabilité que l’individu se trouve démuni. Comme le fait remarquer St-Arnaud : “ L’espèce humaine ne dispose présentement d’aucun environnement socioculturel capable d’assurer simultanément la santé mentale de l’individu et la santé socioculturelle de la collectivité ”. Il existe un “ compromis ” au niveau de l’adaptation où la santé mentale de l’individu et la santé socioculturelle de la collectivité s’équilibrent en apparence, mais c’est l’individu qui sort perdant de ce compromis. La société, par ses agents de socialisation, est responsable d’une grande partie de l’éducation – socialisation de l’individu et cette responsabilité se termine une fois la capacité d’adaptation atteinte. Seul l’individu peut prendre la responsabilité de s’actualiser. C’est cette prise de responsabilité qui, même à son insu, fait de lui un “ conspirateur du verseau ” tel que définit par la psychologue Marilyn Ferguson. En amorçant une transformation intérieure, il favorise une transformation sociale, les modèles sociaux devenant progressivement plus respectueux de la nature humaine. L’adaptation n’est que le premier temps du processus d’humanisation de la personne, l’actualisation en est le second, qui peut s’amorcer à l’âge adulte. C’est à cette phase que l’individu redonne à la société des éléments nécessaires à son évolution, comme jadis il reçut d’elle les éléments nécessaires à l’élaboration de sa personnalité.
Pour démontrer l’importance de cette boucle de rétroaction entre l’individu et la société, rappelons les réflexions de Joël De Rosnay tirées de son ouvrage Le macroscope, vers une vision globale: “ Les rapports humains, à tous les niveaux d’organisation de la société doivent être fondés non seulement sur une morale des individus, mais sur une nouvelle morale des groupes entre eux, compatible avec celle des individus. C’est cette morale des groupes, intermédiaire essentiel entre la morale de l’espèce et celle des personnes, qui est à créer. Un des moyens est de repartir de soi. Pour mieux comprendre les autres. ” Comme le rappelle A. Reich, le seul vrai moyen de communiquer avec les autres est d’abord d’être vrai avec soi-même. Il faut parvenir à définir ses propres valeurs, ses propres buts, son style de vie et, en même temps, accepter et respecter ceux des autres. Au niveau de la critique du projet de société, il faut remettre en avant les points fondamentaux sur lesquels elle porte : centralisation du pouvoir, bureaucratie, unidirectionnalité du flux d’information, croissance et consommation, pauvreté des rapports humains, dogmatisme de la science, anarchie du progrès technique, inadaptation des institutions, carences de l’éducation. Pour construire un nouveau projet de société, il faut partir de nouveaux rapports de l’homme avec l’homme, de l’homme avec la nature et de l’homme avec son avenir. Faire appel à la créativité de chacun, respecter son indépendance, la quête du bonheur individuel, la recherche du plaisir, le désir d’accomplissement personnel ; ce qui implique nécessairement, à côté du traditionnel “ liberté, égalité, fraternité ”, pluralisme, personnalisation, responsabilité et participation ”. Et Henri Laborit, de remplacer la devise républicaine “ liberté, égalité, fraternité ”, par “ conscience, connaissance, imagination ”, formule qu’il développe ainsi, “ conscience de nos déterminismes, connaissance de leurs mécanismes, imagination permettant d’assurer au mieux la survie de l’ensemble des hommes vivant sur la planète ”. À cet égard, je vous réfère à l’ouvrage Le chemin de l’espérance, dans lequel Stéphane Hessel et Edgard Morin proposent une nouvelle politique économique et sociale, du travail, de l’éducation, de la culture, de la production, de la consommation, de la ville, de la campagne, tous moyens divers et complémentaires d’une politique du bien-vivre qui, certes inclut le bien-être matériel, mais qui signifie avant tout la qualité de la vie et englobe le bien-être affectif, psychique et moral.
La personne humaine : un système complexe supérieur.
Sommes-nous constitués pour adopter le fonctionnement optimal d’une personne actualisée ? Il est possible de comprendre le mode de fonctionnement de notre personnalité en portant notre attention sur ses composantes. La personnalité humaine est constituée de plusieurs composantes comme les valeurs, les attitudes, les besoins, le concept de soi, etc. Ces différentes composantes interagissent pour assurer un bon fonctionnement de toute la personnalité, celle-ci étant évidemment plus que la simple addition de ses composantes. La personnalité peut être considérée comme un système global par rapport à ses composantes qui deviennent des sous-systèmes : psychosexuel, psycho-représentatif, attitudinal, axiologique, cognitif, etc. La personnalité peut donc être représentée comme un système, de même que la biologie perçoit l’organisme comme un ensemble de sous-systèmes : système nerveux, digestif, cardio-vasculaire … chacun fonctionnant en étroite collaboration pour assurer la bonne marche de l’organisme. La théorie des systèmes s’applique bien au mode de fonctionnement de la personnalité. Il devient alors possible d’aborder le fonctionnement de la personnalité comme un système vivant et ouvert à son environnement, c’est-à-dire un système capable d’échanger des matériaux, de l’énergie et de l’information avec le monde extérieur.
On reconnaît huit caractéristiques principales aux systèmes vivant et ouvert considérés comme des systèmes complexes. Un tel système apparaît comme une totalité, organisée en structure, formée par un ensemble d’éléments, en interaction dynamique interne et avec son environnement, qui assure des fonctions, capables d’atteindre des buts et d’évoluer dans le temps. La personne humaine correspond bien à ces caractéristiques. Le système total de la personnalité est composé de plusieurs sous-systèmes structurés (concept de soi, valeurs), eux-mêmes composés d’éléments (les différents contenus du concept de soi, les différentes valeurs) en interaction interne comme en interaction avec l’environnement matériel et social, qui assurent des fonctions de coordination en orientant nos perceptions, nos cognitions, nos émotions et nos comportements. La personne humaine est évidemment capable de poursuivre des buts et d’évoluer dans le temps. La personne humaine, en tant que système complexe, est capable de fonctions supérieures d’actualisation, permettant à son potentiel de se manifester concrètement dans ses interactions avec l’environnement. Grâce à sa fonction de design, qui consiste à imaginer des modèles de système ou d’éléments dans le but d’ajouter à sa conscience de nouvelles connaissances subjectives, la personne peut inventer, créer de nouveaux modèles intérieurs (croyances, valeurs). La fonction de design repose sur la capacité d’imagination créatrice. La fonction de gestion, qui consiste à faire des choix, joue un rôle complémentaire en rendant possible un choix parmi toutes ces nouvelles créations. La fonction de gestion permet de choisir une direction ou un but et de mettre en œuvre les moyens qui favoriseront l’atteinte du but fixé. La fonction de gestion repose sur la capacité d’auto-direction.
L’homme possède la faculté d’imaginer
(design) et de faire des choix en fonction de ses propres valeurs et objectifs
(gestion). Mais peu
d’hommes acceptent cependant la responsabilité de ce pouvoir d’auto-direction.
L’homme est en effet un système d’apprentissage qui lui permet non seulement de
s’adapter aux conditions de l’environnement, mais de s’organiser par essais et
erreurs. Grâce aux essais au hasard du contrôleur-chef, les décisions efficaces
dans un contexte donné sont renforcées, les décisions inefficaces sont
affaiblies. C’est le centre
d’imagination qui constitue la nouveauté essentielle de ce type de système qui
engendre des actions possibles sous l’effet de perturbations extérieures ou
intérieures du système. Ainsi, le système peut se complexifier, c’est-à-dire se
développer, non seulement en réponse à l’environnement, mais peut changer par
lui-même, grâce à son centre d’imagination, sans qu’il y ait nécessairement
stimulation de l’environnement. Les organismes vivants peuvent être
principalement actifs au lieu d’être simplement réactifs ; au lieu de s’adapter
passivement à l’environnement, ils sont créateurs de nouveaux schèmes de
structure et de comportement. Le système s’organise grâce à ce centre
d’imagination qui engendre des solutions (nouveaux comportements,
nouvelles façons d’expression, nouveaux moyens de satisfaction des besoins
d’apprentissage), l’environnement lui renvoyant des “ succès ” ou des “ erreurs
” que sa mémoire intègre. L’auto-organisation
débouche finalement sur la recherche autonome ; le centre d’imagination
cherchant en permanence de nouvelles combinaisons d’objectifs à atteindre. En somme, le système humain est un système
potentiellement conçu pour se complexifier et se perfectionner à l’infini.
Malheureusement, à cause d’une
non-utilisation ou d’une sous-utilisation de ses fonctions supérieures
d’actualisation, la personne demeure en deçà de ses possibilités créatrices. Par
son incapacité à assumer sa fonction de gestion, la personne renonce au choix
de sa propre direction existentielle, à ses capacités d’auto-direction. Si elle
n’active pas sa fonction de design, faisant alors appel à son imagination
créatrice, elle se retrouve incapable de créer les moyens ou de développer les
stratégies nécessaires à la réalisation de ses projets existentiels. La personne humaine est un super-système à
buts, c’est-à-dire, conçu pour atteindre les buts fixés. S’il n’est pas constamment nourri en buts,
en projets existentiels, en objectifs, il fonctionne à un niveau stationnaire. L’évolution
s’efface pour ne laisser place qu’au maintien du système. Le système n’évolue que dans la mesure où de nouveaux buts ou
objectifs lui sont confiés. En l’absence totale de buts, le système se désorganise
et pour la personne, c’est la névrose existentielle, le sentiment de futilité,
de vide intérieur que fait surgir l’absence de sens à la vie. Le système humain est conçu pour créer et
son carburant est la recherche de nouveaux projets existentiels à réaliser. Plus
les buts et les projets sont choisis par le système lui-même, mieux ils sont
susceptibles de favoriser l’évolution, c’est-à-dire la manifestation concrète
des potentialités du système.
L’actualisateur qui se fixe de nouveaux projets existentiels peut dépasser le stade de l’adaptation grâce à sa faculté d’auto-direction existentielle. Ainsi, l’adaptation et l’actualisation ne sont pas deux modes de croissance opposés, mais complémentaires. Notre organisme est conçu pour se perfectionner à l’infini et malheureusement, le plus souvent notre croissance s’arrête au palier de l’adaptation, stade de développement nécessaire et exigé par la société. Bref, la personne humaine est système vivant, à l’apprentissage continu, conçu pour apprendre à apprendre. Mais cette capacité demeure sous-développée et elle le demeurera tant et aussi longtemps que la responsabilité face à sa croissance ne sera pas assumée. L’adulte que nous sommes est donc face à ce défi d’assumer son pouvoir d’auto-développement.
Lire la suite : Franchir les étapes de la conscience : nos guides intérieurs.
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